Lorsque les commissaires aux comptes effectuent un contrôle, l’université du Havre planque les dossiers compromettants.
Pascal REGHEM, le président de l’université du Havre est aussi un prestidigitateur. Quelques mois avant mon départ, je travaillais un matin, avant de l’arrivée de mes collègues qui embauchaient plus tard dans la matinée, sur la mise à jour du registre et du tableau des marchés publics de l’université pour actualiser les codes de nomenclatures qui avaient changé au profit de la nouvelle numérotation NACRES. Pour ce faire, je reprenais donc un à un tous les dossiers en cours des marchés publics et ceux qui s’étaient terminés sur l’exercice comptable de l’année précédente. Je rangeais le dossier que je venais d’exploiter et passais au suivant dont l’objet était « Réhabilitation de trois espaces de l’université du Havre ». Il s’agissait d’un marché de travaux alloti qui comportait donc plusieurs candidats. Visiblement il n’était pas à sa place. Je m’étais d’abord dit qu’une de mes collègues l’utilisait et qu’il devait se trouver sur un bureau mais il n’y était pas. J’avais ensuite parcouru les rayonnages situés dans le bureau, pensant qu’il avait été rangé par mégarde ailleurs mais il demeurait introuvable. En dernier recours j’allais voir dans le local à archives mitoyen de notre bureau mais toujours rien. Je m’étais résolu à passer au dossier suivant en attendant l’arrivée de mes collègues. Elles arrivèrent à partir de 8h30 mais aucune d’elles ne savaient où avait été rangé ce dossier « Trois espaces ». Entre temps, l’un des contrôleurs de l’équipe des commissaires aux comptes en visite à l’université était entré dans le bureau pour vérifier les pièces d’un autre dossier de marché, puis tard dans la matinée le chef du pôle achats et marchés prenait son service. Son bureau était mitoyen du nôtre et la porte qui séparait les deux pièces restait le plus souvent ouverte. Occupé sur un dossier je lui laissais le temps de s’installer et alors que je terminais ma tâche elle entra dans notre bureau. Je lui demandais alors si elle savait où avait été rangé le dossier « Trois espaces ». Elle ne me laissa pas le temps de finir ma phrase et me fit signe de me taire avec de grands gestes et les yeux écarquillés.
Ce marché « Trois espaces » était le marché le plus ancien de l’université qui s’était prolongé bien au-delà des prévisions initiales. De nombreux avenants avaient été signés sur plusieurs années et son montant global atteignait plusieurs dizaines de milliers d’euros. Je me souviens que les derniers avenants avaient soulevés des polémiques avec la direction des ressources immobilières (DRI) car ils étaient injustifiés et illégaux. En effet, il s’agissait d’un marché formalisé et le montant total des avenants avait atteint puis dépassé le montant global du marché initial.
En 2015, l’article 20 du Code des marchés publics indiquait que le montant cumulé des avenants ne devait pas engendrer un bouleversement de l’économie du marché et la jurisprudence reconnaissait que les avenants pouvaient aller jusqu’à 15 % d’augmentation par rapport au montant initial du marché. Par conséquent la réalisation d’un nouveau marché était impérative mais la DRI en avait décidé autrement en ignorant une nouvelle fois la réglementation en vigueur avec l’aval du président.
Ce dossier de marché « Trois espaces » avait donc été écarté intentionnellement pour qu’il ne soit pas contrôlé par les commissaires aux comptes alors que quelques jours auparavant il était bien à sa place dans les rayonnages du bureau. Et les comptes de l’université ont été certifiés. Ce fait a aussi été rapporté au rectorat de Rouen et au procureur du Havre.
(à suivre)