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Billet de blog 5 avril 2020

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Comment les médias maltraitent l'économie

Dans « L’économie vue des médias» (*) Michaël Lainé a décortiqué six titres de référence de la presse écrite nationale. Il analyse, avec rigueur et sans concession, le traitement de l'actualité économique et propose des pistes pour une autre information.

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Michaël Lainé a épluché deux années d'articles dans trois quotidiens et trois hebdos. Ses conclusions : ils traitent les sujets économiques sous l'angle moral plutôt que scientifique. L'auteur argumente, dans un langage simple.
Il a lu un total 15323 articles et les a analysés dans Le Monde, Le Figaro et Libération mais aussi dans  L'Express, Le Point et L'Obs. Il justifie son choix : ce sont les médias papiers qui ont le plus de notoriété et ces journaux d'information générale tiennent une rubrique économie.

L'essai démarre fort sur la place des acteurs économiques dans les médias. « Nul ne reprochera aux journalistes de ne pas être omniscients » précise-t-il. Ils font donc appel à des experts. A côté des économistes indépendants (salariés de la fonction publique), M. Lainé distingue trois catégories d'experts  avec des conflits d'intérêts, presque jamais mentionnés : salariés d'une banque, économistes à gages (liés à des entreprises) et les dirigeants d'institutions et groupes de réflexion, les think tanks qui veulent peser sur le débat public. Ils représentent 86% des avis d'experts cités dans Le Figaro et 32% dans Libération. Bien sûr, le journaliste peut en présentant l'avis d'un expert, afficher ses préférences « mais sans taire la pluralité des analyses». L'auteur s'applique d'ailleurs à lui même ce principe.

Les vertus de la rigueur

« Comment l'information économique est-elle traitée ? ». M. Lainé fait un tour des principaux sujets économiques traités dans ces médias : « les vertus de la rigueur, la gabegie de l’État manager, haro sur les fonctionnaires, l'exigence de compétitivité, le bonheur des riches fait-il celui des pauvres ? Le code du travail ennemi de l'emploi, le SMIC tue les emplois, les 35 heures causes du décrochage français, les méfaits de l'assistanat.... » Il décortique d'abord les articles parus sur le sujet. « Globalement, il y a six fois plus d'articles en faveur de l'austérité que de son alternative qu'on appelle la relance » Pour Le Figaro c'est 95%, l'Express 96%, Le Monde 76%, Libération 58% des articles rédigés par des journalistes. Les journaux accueillent aussi des tribunes d'experts : leurs positions sont plus nuancées, pour Le Monde et Libération.L'auteur souligne « l'angle moral de la presse [qui] se base sur le parallèle entre budget de l’État et budget des ménages (…) : il faut s'abstenir de dépenser plus qu'on gagne » M. Lainé précise «Ici, le bon sens induit souvent en erreur». Il dénonce «l'économie vue du nombril» et argumente. Michaël Lainé apporte sur chaque sujet un éclairage théorique. Pour « l'austérité », par exemple, il explique « la cascade de revenus générés par la circulation de l'argent ». Il précise aussi les notions « d'austérité », de « croissance » et de « sortie de crise ». Il montre enfin, le manque de rigueur des médias qui négligent l'endettement du secteur privé et fustigent les vices de la dette publique.

Le débat interdit sur l'Europe

Et, en plus, Michaël Lainé creuse ce dont les médias ne parlent pas : les inégalités, le débat interdit sur l'Europe, l'absence de mémoire des médias, le monde du travail,. « Très rares sont les fois où la rubrique économie aborde les rivages des conditions de travail, son organisation ». Il a dénombré sur deux années : 33 articles dans Libération, 25 dans Le Monde, 6 dans Le Figaro ou L'Obs et 0 dans L'Express soit moins de 1% des articles économiques, excepté L'Obs 2,8% mais pour seulement six articles..

L'ouvrage se lit facilement, parfois même avec plaisir. Les chapitres se découvrent dans l'ordre de vos préférences. Vous y trouverez la démonstration de ce que vous pouvez ressentir à la lecture d'un papier, à l'écoute d'une radio ou à la vue d'un reportage à la télé. M. Lainé critique les médias « avec des biscuits »  : on comprend mieux pourquoi les médias ont mauvaise réputation. Il s'appuie sur des publications de 2014 et 2015. Mais compte tenu du poids des arguments, on peut estimer qu'il n'y a pas eu de révolution au cours des dernières années..

Un léger regret : l'auteur n'a pas retenu l'angle de l'économie sociale parmi les sujets traités dans la presse. Pourtant, ce pan de l'économie privilégie une répartition différente des pouvoirs au sein des entreprises (scop, scic...), entre les salariés et les détenteurs des moyens de production. Ce sont aussi des pistes pour demain.

D'autres médias parlent d'économie

Bien sûr, d'autres quotidiens nationaux parlent d 'économie, les quotidiens régionaux aussi. Accordons à l'auteur qu'il ne pouvait tout étudier. Et peut-être quelques étudiants s'attelleront-ils à cette tâche pour d'autres médias. Notons aussi que des médias abordent l'économie sous des angles différents. A titre d'exemples, non exhaustifs, une émission de radio « on n'arrête pas l'éco » sur France Inter et Le mensuel « Alternatives économiques » .

L'ouvrage peut être utile à tout citoyen et indispensable à ceux qui s'intéressent aux médias et à l'économie. Tous les journalistes parlent, à l'occasion, d'économie dans leurs papiers : cette lecture leur permettrait d'éviter de diffuser des informations approximatives ou fausses. C'est un livre de base pour les écoles de journalisme.

(*) « L'économie vue des médias , anatomie d'une obsession morale » Michaël Lainé. Éditions Le bord de l'eau. 22€. (225 pages). Michaël Lainé est docteur en économie maître de conférence à l'université Paris 8.

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