A peu près en capacité d’assumer avec plus ou moins de plénitude mes obligations citoyennes, de réaliser mes démarches administratives « en ligne » et autres faits de la vie quotidienne, aussi anodins que communs, j’en viens à m’interroger sur les limites de ce qui m’apparaît de l’inflation des usages obligatoires des outils numériques.
Nous devenons obligés d’un système qui est conçu par des spécialistes plutôt bien intentionnés, probablement bien heureux de pouvoir créer, sur commande ou à leur initiative des outils réputés « nous faciliter la vie » et « nous faire gagner du temps » ou encore, « nous permettre de nous consacrer à des tâches qui mobilisent notre intelligence plutôt qu’elles nous épuisent à la répétition sans la moindre plus-value, ni pour nous ni pour nos organisations.
A ce propos, petite incise tout de même : les tâches routinières lorsqu’elles sont limitées permettent au sujet et à son cerveau de prendre un peu de repos sans quitter une veille active.
Un pilote de chasse qui exécuterait en permanence des figures complexes verrait son espérance de vie aux commandes de son avion assez réduite pour lui permettre d’envisager sérieusement le risque imminent d’accident.
Pour revenir au cœur de ce billet, les fameuses plates-formes dont l’accessibilité se trouve supervisée par un outil technologique encore plus complexe et consommateur d’énergie : la désormais incontournable, puisque nous voilà sommés de la considérer comme telle, « intelligence artificielle ».
Il fut un temps pas si lointain où les outils numériques existaient déjà mais dans des limites humainement acceptables à partir desquelles nous pouvions considérer après usage, qu’ils étaient conçus pour faciliter l’accès à des informations plutôt qu’à des droits, qu’ils nous permettaient d’aller à l’essentiel en cas de recherche de données plutôt qu’à nous perdre dans des dédales de portails et autres validations numériques itératives.
Nous n’en sommes manifestement plus là et je doute que cette évolution procède d’un accident de l’histoire au terme duquel nous devrions consentir à déléguer toutes nos facultés intellectuelles, cognitives, physiques à des outils dirigés par des informations numériques qui disposent désormais d’une réelle capacité à produire leurs propres informations numériques.
L’épuisement, la lassitude, la colère parfois, même si cette dernière expose, trop clairement exprimée à des mesures de rétorsion numérique, menacent notre capacité à disposer encore des ressources indispensables à la préservation d’un lien social épargné par les médiations numériques, pour l’instant.