En guise de préambule ancré dans l'actualité
C'est ce que vient m'inspirer la démarche politique actuelle de repousser l'âge de départ à la retraite. L'écrasement du temps, l'appel à anticiper la retraite avant même de commencer à vivre, l'amputation de l'âge de la retraite d'une partie pour certain et de la totalité pour d'autres de l'espérance de vie en bonne santé, tout cela vient rencontrer le débat institué sur la fin de vie par une exécutif qui semble soucieux d'appréhender les citoyens comme les salariés d'une entreprise au service de la production et de l'enrichissement de ses actionnaires.
Puisque nos vies sont désormais vouées à la production de biens et de services dont les plus-values sont réputées tomber dans l'escarcelle d'une minorité de rentiers soucieux de s'aménager un espace de vie à distance des effets de dégradation de l'environnement, nous devrions nous soumettre à cette volonté sans rechigner, cela étant comme la réforme des retraites, "pour notre bien". L'Etat "big mother" si bien décrit par Michel SCHNEIDER désormais lié aux intérêts d'une caste de capitalistes sans humanité ne s'interdit plus désormais de diriger nos temps de vie et le temps de nos vies à distance de toute réflexion partagée et de tout projet collectif, ne liant plus son destin à l'accord de la majorité, s'autorisant à penser son avenir à distance de la démocratie, instrumentalisant la démocratie pour en subvertir le pouvoir.
Pour en venir au cœur de ma réflexion.
A une période de l’histoire nationale où il est question d’aller vite pour anticiper les problèmes budgétaires de demain sans agir pour prévenir les catastrophes climatiques d’aujourd’hui, je me suis interrogé sur ce que je perçois des dynamiques politiques à l’œuvre aux différents niveaux de décisions de la technostructure administrative.
Une technostructure d’autant plus politisée que les citoyens eux-mêmes, la société, bon nombre de bénéficiaires de fonds publics sont invités à se laisser couler dans le bain néo-libéral et de gouter au plaisir d’être dirigé fut-ce par des individus sans carte ni boussole, simplement mus par la convictions, qu’en toute circonstance, ils sont dans le bon camp, celui de la raison.
En témoigne les attaques récentes contre les associations de défense de l’environnement un peu trop militantes au goût d’un pouvoir qui ne veut plus voir qu’une seule tête, la sienne.
Gageons que la période qui s’ouvre jeudi 19 janvier 2023 avec quelques mouvements de contestation qui s’annoncent d’ampleur viendra perturber fut-ce à la marge les certitudes de l’exécutif et de toutes celles et ceux qui semblent bien déterminés à défendre leur camp contre celui de l’intérêt général et du bien vivre social, économique et écologique.
Pour revenir à ma réflexion, celle du temps, la pratique des administrations publiques, le vécu direct avec celles et ceux qui dirigent nos actions dans le champ associatif subventionné, renvoie à quelque chose de l’ordre de ce que j’appelle avec d’autres le rouleau compresseur, un engin qui avance sans se préoccuper de ce que la réalité vient lui assigner d’obstacles et autres impossibilités ou limites pourtant évidentes.
Plus les limites de l’action sont manifestes, moins la machine, rappelons tout de même, dirigée par des humains, semble en capacité d’apprendre de l’expérience des autres, voire même tout simplement de les écouter.
Qu’un rapport accouche d’une recommandation, que cette recommandation soit traduite en loi et que celle loi s’applique, que le cadre prévu par quelques décrets d’inspiration centralisée vienne à forcer la réalité de terrains dont l’hétérogénéité semble être considérée comme un obstacle à une volonté politique omnipotente.
La société civile est lente par composition puisqu’elle n’est pas cela va sans dire, homogène et qu’elle est traversée d’intérêts différents sinon divergents voire contradictoires.
Le rôle d’une puissance publique devrait pouvoir consister à faciliter le dialogue entre les acteurs plutôt que de prétendre diriger leurs actions, forçant les uns et les autres à des pratiques qui viennent à ne jamais s’accorder avec leurs identités.
Personne n’y trouve son compte en dehors de celles et ceux qui occupent les deux places, prescripteurs et agents de la volonté politique dominante.
Les échecs, ratés et autres témoignages de l’humanité de nos actions ne parviennent plus à suivre les initiatives technocratiques prises au nom de la recherche d’une efficience devenue le seul mot capable de guider la pensée des acteurs de terrain à distance des effets de la rencontre avec la réalité.
La réalité en elle-même est devenue secondaire. Le verbe l’emporte, la raison raisonnante et réductionniste l’emporte, masquant des motivations bassement matérielles et un goût prononcé de certains pour le pouvoir, serviteurs zélés soucieux de complaire aux princes avec la distance requise avec leurs propres convictions, en cours d’extinction.
L’accumulation des contraintes exercées sur les acteurs de terrain et leurs relais administratifs et politiques, l’empilement des dispositifs et autres dispositions techno-administratives réputées apporter toutes les bonnes réponses à toutes les résistances de la réalité, un rythme soutenu et irrépressible fût-t-il de temps à autre marqué par quelques abandons tactiques : tout cela amène à une forme de résignation et de soumission à une volonté vis-à-vis de laquelle il est devenu presque impossible d’opposer intelligence et construction d’un projet collectif bâti à distance d'un pouvoir à visée hégémonique, produit du mariage du marché et de l’État.
A cela vient s’affronter des colères, exaspérations, sidérations, questionnement quasi-métaphysiques, au moins philosophiques sur le sens du social et du politique dans un environnement autoritaire, conformiste, dirigiste.
La période qui s’annonce semble témoigner de ces sentiments, de ce que les hommes et femmes de raison considèreront comme le témoignage de l’immaturité et de l’insuffisance pour ne pas dire l’insignifiance d’une majorité de citoyens rappelés à une obligation de se soumettre dérivant de la prise en compte d’un horizon politique et économique unique fut-t-il marqué par la violence et la souffrance individuelle et collective d’une majorité.
Cela ne semble plus importer pour celles et ceux qui se sont appropriés tous les niveaux de pouvoir et tous les lieux de décision. Obéir et consentir à la résignation, éteindre toute forme d’espoir alternatif et se ranger dans le camp de la raison.
Admettre l'idée que mon temps n'a aucune importance et pour reprendre le titre de ce billet que je devrais me soumettre à une politique qui écrase le temps de la majorité au seul bénéfice de la poursuite d'un horizon commun à une majorité qui consiste à maintenir le cadre social préexistant coûte que coûte, à en accentuer les injustices et à en approfondir le violence tout en se donnant les moyens de contenir la révolte par la désinformation, la propagande, le doute instillé, jusqu'à s'autoriser à la réprimer et l'étouffer, écraser le temps, annuler nos vies.
Voilà le seul avenir possible, à moins que.