La formule est facile, mais le défilé exprime une défiance sans que celle-ci contribue à ébranler les doutes d’un pouvoir occupé à rendre la réalité conforme à l’idée qu’il s’en fait et à laquelle ses électeurs, majoritaires auront contribué à lui accorder une confiance rendue aveugle par la propagande et une manipulation médiatique aussi évidente que sous-estimée.
Nous le savons, le doute appelle des conduites qui tendent à le rendre moins présent dans la pensée de celles et ceux qui ne parviennent pas à s’en défaire.
La rhétorique en est une, la provocation aussi ; ces deux moyens confrontant celles et ceux qui expriment leur colère, leur frustration ou leur déception. Je pense ici aux plus naïfs, celles et ceux qui auront accordé leur confiance aveugle à l’élu, imaginant que de la parole aux actes, il y a quelques nuances qui contribuent à éviter les drames politiques, économiques, collectifs, individuels et intimes.
Le paysage politique international est d’allure inquiétante, conforme à ce que nous pouvions en attendre dans le contexte de la transition observée dans de nombreux pays, de pouvoirs centristes vers des pouvoirs clivants et polarisants à seule fin d’asseoir une autorité qui s’affirme dans des délais plus ou moins courts, aussi incontestable qu’illégitime.
Incontestable, les foules étasuniennes, serbes, françaises en témoignent : le défilé des contestations est sans effet favorable à celles et ceux qui s’emploient à exprimer pacifiquement leur colère.
Il permet au pouvoir contesté de se livrer à un décompte des oppositions qui se rendent visibles dans l’espace public et dans l’espace numérique.
Illégitime, pour les seules parties prenantes au vote mais pas encore pour les pouvoirs économiques et financiers qui pour l’instant s’exercent à tirer profit du rapport de force qui s’installe aux Etats-Unis comme il s’est installé en France.
La défiance des manifestants ne trouve aucune issue électorale dans un contexte médiatique capable de « ramener le peuple à la raison » et de rappeler à l’électeur qu’il a plus à perdre qu’à gagner à menacer la pérennité d’un pouvoir qui se présente comme le meilleur rempart aux forces hostiles à l’unité de la nation, à l’intérieur en France, à l’extérieur aux Etats-Unis.
Il y a enfin, comme un air de provocation des pouvoirs politiques bien installés dans la place, défiance adressée aux opposants politiques tout autant qu’aux manifestants défilant physiquement ou numériquement dans un espace public sous surveillance, de mieux en mieux contrôlé et en voie d’instrumentalisation radicale. Il est question de provocation à la violence physique avec, comme possibilité, le recours à la violence d’Etat, de celle qu’ont connu, en France les gilets jaunes.
La définition de l’illibéralisme dépasse les frontières de ce qui viendrait en rupture avec le libéralisme (au sens philosophique du terme, celui de Locke). Il n’est pas question de la simple affirmation d’un pouvoir capable de conditionner l’exercice des libertés publiques et privées au respect de règles de conduite collectives et individuelles de plus en plus strictes, capables de créer les conditions d’une protection du pouvoir lui-même, à l’échelle des individus et des groupes sociaux.
L’auto-censure, la peur de la répression économique et sociale, l’angoisse du bannissement de l’espace commun économique et social, balisé et banalisé, neutralisé : c’est bien à l’échelle de l’individu que se dessine les grands traits d’un illibéralisme actif, capable de réduire l’expression individuelle à un investissement productif dans une économie tournée vers les besoins d’un Etat en quête de puissance.
De démocratie, il n’est alors plus réellement question, celle-ci supposant pour être vivante la collusion formelle ou informelle d’individus en quête d’espaces politiques ouverts à la délibération et capables de structurer et articuler une parole collective dans laquelle chacun s’y retrouve dans les termes d’une capacité affirmée et réfléchie au renoncement partiel et à la reconnaissance d’une perspective d’avenir, un chemin sur lequel il est possible de construire un projet politique tourné vers l’intérêt majoritaire d’un peuple.