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Billet de blog 21 juillet 2024

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La question du temps en situation de travail prescrit

La question du temps nous occupe tous, plus ou moins : le temps disponible, le temps libéré, le temps pour agir, le temps pour penser nos actions dans le champ professionnel.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La question du temps est étroitement liée à celle des délais : chacun vient à déterminer les termes de son rapport aux délais à partir de la façon toute personnelle où il vient à habiter le temps.

Ce temps se découvre jour après-jour, heure après heure, apportant son lot de possibilités et d’impossibilités, révélant nos disponibilités à faire, à penser, à agir et nos indisponibilités à faire comme, à penser comme et à agir comme il nous est demandé de faire, penser et agir.

Le quotidien d’un directeur d’ESMS, à fortiori d’association est marqué par la rencontre récurrente et insistante avec une norme extérieure qui se rappelle à lui, régulièrement. L’effet positif, il y en a au moins un, procède des effets psychologiques de cette pression normative, pression au respect de délais, d’usages, de modalités de communication.

L’idée est alors de limiter autant que faire se peut le recours aux normes intérieures à l’organisation pour répondre à la recherche de conformité externe, celle là même qui vient fort opportunément anticiper les résistances du directeur qui peine à suivre le mouvement souvent brownien des administrations publiques.

Les évaluations et plans d’action dictés sous contrainte organisent la mise en conformité totale de nos organisations, mise en conformité théorique bien entendu, pour le moment.

Ce travail de pression, notons-le, est désormais continu : il ignore les périodes de vacances, le rythme jour-nuit, travail de jour, travail de nuit, les week-end et tout ce qui peut freiner le flux continu des informations dirigées vers des cibles invitées plus ou moins poliment à réagir le plus près du temps réel.

Ainsi va l’air du temps décrit par un H. ROSA et une accélération qui confine souvent à l’emballement et la recherche de réalisation de prophéties auto-réalisatrices, anticipant les futures modalités de contrôle et de vérification, de validation et de sanction de ce qui est attendu pour demain mais serait bien inspiré d’être exprimé dès- maintenant, en intention, en acte et en preuve de réalisation des actes.

Ce sociologue allemand, héritier de l’école de Francfort et de la théorie critique nous propose une forme d’antidote, ce qu’il appelle la résonance et la capacité à se rendre disponible pour du lien, de l’altérité.

Observons que cette capacité qui est au principe même des pratiques professionnelles de nos salariés les plus proches du terrain clinique, observons qu’elle est elle-même attaquée par les processus techniques, de contrôle et de traçage qui envahissent leurs quotidiens.

Retenons ici que le temps à vivre et travailler est devenu une variable comptable à part entière dont il convient d’optimiser l’usage et si possible d’en brouiller les limites pour que son utilité sociale et économique l’emporte sur sa dimension individuelle et le rapport qu’il vient fonder entre le possible et l’impossible.

Évoquer l’impossible (sinon l’impensable) n’est pas ce qu’il y a de plus favorable à la reconnaissance d’une utilité sociale et professionnelle réputée devoir se mettre au service d’intérêts supérieurs à l’individu, de principes auxquels il convient de faire allégeance, de pratiques auxquelles il convient de se soumettre, d’instructions auxquelles il convient d’obéir.

Pourtant, jour après jour, dans nos établissements se dévoile un univers des possibles qu’il nous est de plus en plus difficile d’investir faute de moyens, de temps et parce que le travail que nous envisageons dans cet espace, n’est pas prévu par les cahiers des charges, appels à projet et autres cadres prescripteurs.

La frustration, la colère, la résignation et la fatigue viennent comme autant de réponses à des incitations à penser et agir, restrictives, créant l’effet d’un formatage, et d’un conditionnement progressif de réponses stéréotypées.

L’empire des normes déjà bien présent dans notre quotidien de citoyens, un empire dans lequel existe des espaces de non-droits, de déviances tolérées, cet empire étant son emprise ou manifeste sa volonté d’emprise, relayée par quelques zélateurs soucieux d’incarner le statut de bon élève tout autant qu’à percevoir les fruits économiques d’une obéissance plus ou moins calculée.

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