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Billet de blog 30 décembre 2024

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Le temps des morts en masse

Depuis que les sociétés humaines existent, la mort provoquée par quelques puissants ou par quelques puissances naturelles frappe, le plus souvent sans prévenir.

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Le temps des morts en masse

Il est des catastrophes naturelles, en effet, de celles qui vient de frapper Mayotte.

Le cas de Mayotte n’est pas sans évoquer celui de la Nouvelle Orléans et du passage de l’ouragan Katrina ) en 2005 et ses 1836 décès.

Le tsunami de décembre 2004 qui a frappé l’Indonésie et d’autres Etats de l’Océan Indien était d’une autre ampleur quant à sa portée et ses conséquences (250 000 disparus).

Celui du Japon en 2011 qui a détruit la centrale nucléaire de Fukushima, a causé le décès de 18 000 personnes et des dommages environnementaux comparables à ceux provoqués par la fusion du cœur d’un réacteur de la centrale de Tchernobyl en 1986.

J’ai associé dans un précédent billet la catastrophe humaine de Gaza, celle de Marioupol aux conséquences du passage du cyclone Chido à Mayotte.

Deux catastrophes d’origine humaine, produit de la rage destructrice d’un individu, relayée par l’obéissance servile d’une armée.

Une catastrophe qui n’a de naturelle que l’origine atmosphérique d’un flux destructeur qui aura provoqué la mort de laissés pour compte en nombre plus ou moins sous contrôle.

Le décompte politique de quelques dizaines de victimes permet d’éviter la comparaison avec d’autres décomptes eux-mêmes relativisés au nom d’une vision réaliste d’une guerre qui ne choisit pas ses morts.

Une guerre sans morts n’est pas une guerre. Il suffit de se souvenir de l’épisode du Covid 19 et de la guerre au virus déclarée par E. MACRON.

Une guerre dont nous avons été invités à compter les morts, jour après-jour, dépassant chaque jour le record de la veille, vague après vague.

Nous n’étions pas aux 1500 soldats russes sacrifiés chaque jour mais pas loin.

Le nombre de morts vient ici témoigner de la force de l’engagement et de la capacité des citoyens russes à sacrifier leur existence pour la grande Russie.

Le nombre de morts de la Covid démontrait la force de l’ennemi et l’importance d’une mobilisation générale destinée à en réduire le pouvoir mortifère.

Il n’était pas forcément précisé que l’ennemi s’attaquait aux plus vulnérables, ciblant ses victimes comme le ferait une armée ennemie pilonnant et rasant des villes, écrasant ses habitants sous les bombes (Marioupol, Gaza).

La résistance a consisté à créer les conditions d’un confinement de la population, puis d’une restriction de ses déplacements avant l’instauration de laisser-passer médicaux dans le cadre d’un « retour à la normale » sous contrôle.

Passée cette ultime étape, il n’était plus question que de de « cas positif », de « cas contact », de vaccinés de doses de vaccin et de vagues. La quantophrénie du pouvoir politique rencontrant l'addiction aux nombres d'une part importante de la population.

Les morts ont ainsi très rapidement disparu des radars médiatiques.

Il n’était plus nécessaire de focaliser l’attention sur les plus fragiles que nous avions tous le devoir de protéger, par tous les moyens imposés par des pouvoirs publics capables de déployer des moyens de contraintes et de contrôle d’une autre époque.

Le pouvoir politique s’adressant à tous et plus seulement aux gilets jaunes, les informant de sa détermination à provoquer notre soumission et notre obéissance, au prix de la liberté et de la qualité d’une information amputée de ses aspects les plus polémiques.

Nous faisons actuellement les frais de la censure qui ne veut rien dire de ce qui se joue à Gaza d’une volonté de puissance sans limite, l’exercice du monopole de l’exercice de la contrainte mortelle sur une population réduire à sa condition la plus élémentaire de groupe humain entre la vie et la mort.

Il me semble et cela n’est qu’une hypothèse, que la période de la pandémie, les grands nombres associés aux victimes du virus conjugués aux grands nombre associés aux victimes de la folie destructrice des hommes ont produit l’effet d’une insensibilisation ou pour mieux dire d’une forme d’anesthésie affective.

Pour mémoire, l’anhédonie ou perte de plaisir est associée, cliniquement à l’émoussement des affects et renvoie à des tableaux pathologiques qui ne sont pas sans évoquer la sidération.

Certains cliniciens ont mis en garde les autorités du risque de sidération et de ses conséquences parmi lesquelles le retrait affectif de tout évènement majeur capable en d’autres circonstances de susciter une compassion active.

La lecture des témoignages de Mayotte m’a amené à évoquer une possible sinon nécessaire indignation dont je considérai en 2011 qu’elle n’égalait pas la colère dans la petite polémique qui m’avait opposé aux soutiens de Stéphane HESSEL.

Les témoignages collectés par le site +972 documentent depuis un an et demi la réalité des habitants de Gaza et des territoires occupés tout autant que des Israéliens qui ne partagent pas l’enthousiasme de leurs dirigeants d’extrême droite pour la violence et la guerre, prélude à la renaissance d’Israël du Jourdain à la mer.

Certains évoquent le passage de la sidération à la colère du côté de Mayotte.

Les EDL ou « éléments de langage » qui tiennent lieu de pensée aux technocrates et politiciens médiocres m’ont amené, à l’issue d’une émission d’Arrêt sur Image à m’interroger sur la capacité de ces individus à prendre la pleine mesure des évènements, à s’y hausser et à en dépasser les conséquences matérielles, apportant avec eux une aide inconditionnelle, massive, au nom d’une solidarité strictement humaine.

Je ne suis pas allé au bout de mon raisonnement mais là comme à Gaza, il n’y a pas d’identification possible avec les populations victimes, des populations infériorisées du fait de leur appartenance ethnique ou religieuse, du fait de leur ancrage à une terre perçue comme inhabitable parce que surpeuplée, prison (Gaza), camp de transit (Mayotte).

Pour résumer, il me semble que les évènements récents ont modifié notre rapport à la mort de masse, invitant à l’inhibition de toute réaction affective ou intellectuelle : nous sommes ainsi régulièrement invités à prendre l’information qui nous est donnée comme une vérité indiscutable.

Nous sommes encore sous l’effet de la sidération des morts de la Covid et de ses records quotidiens annoncés lors des journaux télévisés de grande écoute. Nous devions avoir peur sans condition : notre âge du moment, notre état de santé, nos lieux de vie ne devaient pas interférer dans l’écoute inconditionnelle des messages d’alerte.

Nous sommes invités à ne pas lier trop rapidement état de ruine et nombre de victimes à distance de toute forme d’évidence et de tout calcul logique, 400 000 habitant sur 400 kilomètres carrés (Mayotte), 2,2 millions d’habitant sur 360 kilomètres carrés (Gaza), soufflés et bombardés : combien de morts ? Beaucoup moins que vous pourriez le penser et bien moins que ce que des témoins directs, sous le coup de l’émotion, peuvent annoncer.

Bien sûr.

Après cela il est possible d’adopter la posture fataliste et heideggerienne de l’être pour la mort : mourir ici ou là-bas, maintenant ou demain, c’est mourir (point).

Avatar d’une thanatopolitique somme toute assez efficace : Israël va pouvoir reprendre possession de la moitié de Gaza et les survivants de Mayotte auront un peu plus d’espace qu’avant Chido.

Nous en sommes là, dans l’attente des morts en masse à venir : guerres et catastrophes, effets directs ou indirects de la folie destructrice des hommes.

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