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Billet de blog 22 septembre 2015

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"Vous vivez dans le monde des Bisounours" !

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Il peut y avoir le sentiment que ce serait déchoir que de répondre au discours nauséabond de l’extrême droite, tant les arguments utilisés échappent à la logique et la raison. Sans doute il conviendrait mieux de traiter par le mépris l’expression d’une haine imbécile qui n’a nullement vocation à alimenter le débat mais bien plus à flatter quelques obscures pulsions reptiliennes du cerveau humain.

Pourtant, en cette période où la notion de « politique décomplexée » cache mal une réelle volonté de remettre en cause des valeurs humanistes que l’on croyait solidement ancrées, convient-il de défendre les principes  qui furent le cœur battant de la République Française. Le mépris affiché d’une certaine droite pour les « droits de l’hommiste » au nom d’une improbable croisade contre le « politiquement correct » sonne comme la revanche  posthume de Maurras sur Jaurès et Hugo.

Cette notion de politiquement correct est dénoncée comme le masque sémantique d’une réalité qu’il conviendrait de révéler à nouveau. Que cette réalité ait une face hideuse ne semble pas entrer en ligne de compte. Ne plus employer les termes de « nègre », « youpin », « bicot », de « sexe faible », de « races supérieures », ou autre « bienfaits de la colonisation », c’est sans doute en effet payer tribut au politiquement correct et il faut s’en féliciter. Le politiquement correct n’est pas tant un masque que le voile pudique jeté sur ce que l’humanité a produit de plus barbare, de plus détestable. Le politiquement correct est sans doute une tentative, peut être illusoire,  de freiner dans nos esprits nos pulsions infâmes et primitives. N’est ce pas cette  aspiration que l’on nomme civilisation ?

Sous les coups de ciseaux zemouriens ou finkelkrautiens voilà cependant que le voile se déchire et que s’en échappe des discours de plus en plus « décomplexés » de rejet de l’autre. La récente crise des réfugiés affluant en Europe  en constitue  un terrain d’expression privilégié. Sur les réseaux sociaux se lisent, sans plus aucune retenue, des appels à la xénophobie la plus primaire et l’expression sans filtre de la haine des étrangers. Discours particulièrement exacerbés quand il est question du monde arabo-musulman.

Un certain nombre d’arguments sont opposés au contradicteur qui tente de faire barrage à ces diatribes émergées du fond des âges. La référence aux valeurs humanistes et sociales, socle de nos lois et coutumes républicaines, vous garantit le gain du sobriquet de « Bisounours », terme très en vogue dans la fachosphère. Je sais ça surprend. Dans la gamme des insultes qui peuvent vous être attribuées ça n’est certes pas la plus infâmante, mais pas non plus la plus éclairante sur la pensée de votre contradicteur. La référence idéologique à la pensée Bisounours peut être déstabilisante si vous ne maitrisez pas la philosophie holistique des ours en peluche ! De plus cette école de pensée a plusieurs maîtres, auquel se référer ? Grosdodo ? Grosfarceur ou Groschéri ? (oui j’ai vérifié sur wikipédia). Débattre avec un contradicteur d’extrême droite exige donc que vous possédiez un bagage culturel assez robuste et diversifié.

Affublé du titre de Bisounours, il vous reste à affronter le corps de l’argumentation anti réfugiés. Le plus en vogue ces derniers temps est l’infiltration massive au sein des réfugiés de taupes terroristes.

Un argument sécuritaire qu’on ne peut certes pas balayer d’un revers de main. Dans l’optique des dénonciateurs de cette migration, celle-ci serait favorisée par l’état Islamique qui machiavéliquement amorcerait ainsi un sournois envahissement et placerait au cœur même de nos sociétés des Merah et autre Coulibali en puissance.

À ce jour c’est une vision en complète contradiction avec le discours officiel de l’Etat Islamique qui au contraire s’oppose véhémentement au départ des Syriens et Irakiens. Ce qui est d’ailleurs assez logique dans la mesure où, à ce stade, leur objectif seraient plutôt de faire venir d’Europe de nouveaux combattants convertis à leur cause, dont ils ont grand besoin, et non l’inverse. Mais surtout cette fuite effrénée de la population locale est à leurs yeux une détestable contre publicité à leurs messages de propagande présentant les territoires sous leur contrôle comme pays de Cocagne ! Aussi les leaders de l’EI multiplient les messages visant à dissuader les migrants de partir en Europe. Quitter la terre sainte de l’Islam serait même proche selon certains de l’apostasie ! « Vous allez vider les poubelles des mécréants. Vous faites la plus grande erreur de votre vie en quittant la Syrie ou l'Irak pour l'Europe » peut on lire sur les sites de l’EI.

À supposer néanmoins que l’EI veuille infiltrer des terroristes en Europe, on peut douter qu’ils aient besoin de passer par des filières aussi longues, dangereuses et aléatoires que celles empruntées par les réfugiés. Malheureusement, les affaires Merah et Kouachi ont démontré qu’ils n’en avaient nul besoin. Enfin il faut noter que les réfugiés sont, à leur arrivée en Europe, listés, enregistrés, suivis, ce qui n’est généralement pas l’ambition première d’un terroriste.

Le deuxième type d’argument, repris par certains de nos plus éminents politiciens lorrains est la lâcheté présumée de ces réfugiés qui devraient prendre les armes plutôt que la fuite. Evidemment tous ces spécialistes de la bravoure guerrière n’ont jamais approché, ni de près, ni de loin, un théâtre de guerre, et les notions d’horreurs de la guerre leur sont, somme toute, assez théoriques. C’est un gros avantage pour pouvoir donner des leçons de courage et fanfaronner avec nos grands parents qui eux ne seraient pas partis et se seraient battus. En écrivant ces lignes je regarde une photo, des centaines de familles, femmes, enfants, bagages sous le bras, marchant sur une route. Des Syriens ? Ah non, la photo a été prise en 1940 à Orléans ! Il y avait déjà des Syriens ? Non, des français fuyant l'arrivée de l'armée allemande. Au lieu de se battre, ils voulaient mettre leurs enfants à l’abri ! Ah les lâches !

La troisième tirade définitive d’un contradicteur d’extrême droite lambda est : « t’as qu’à les prendre chez toi ». Vous pouvez être journaliste, ministre ou Pape, à toute déclaration empathique vis-à-vis des réfugiés vous gagnez cette injonction locative définitive. Au-delà du fait que cette option soit parfaitement envisageable par un nombre croissant de nos compatriotes à l’âme plus généreuse (possiblement des Bisounours tendance Groscadeau), l’idée d’une prise en charge institutionnelle par les pouvoirs publics déclenche des réactions hystériques. 

C’est évidemment le 4e type d’arguments et, avouons le, de prime abord pas le moins pertinent : la prise en charge institutionnelle de réfugiés se ferait au détriment de l’attention portée à notre misère nationale. Les réfugiés viendraient manger le pain de nos SDF. La question des réfugiés a d’ores et déjà, notons-le, un premier impact positif qui est la prise de conscience par l’extrême droite de la problématique des SDF en France. Ceux-ci sont promus de parasites et assistés, qualificatifs les plus souvent lus dans Valeurs Actuelles, au rang de victimes collatérales de l’immigration.

La France, 5e puissance économique mondiale, devrait être en mesure de prendre en charge quelques milliers de réfugiés tout en gardant, voire en renforçant, sa politique sociale. On comprend bien qu’il s’agit là d’un débat qui dépasse la question des réfugiés. L’idée que la prise en charge des réfugiés puisse avoir un impact sur la politique de réduction de la pauvreté en France n’a évidemment aucun sens. Les mécanismes en jeu, les ordres de grandeur, les options de politique économique, ne sont tout simplement pas de même nature. Mais l’argument fait poids dans la mesure où la critique quant à la prise en considération d’une précarisation croissante de nos sociétés, chômage, mal logement, paupérisation, et l’efficacité des mesures prises pour lutter contre ces maux, est éminemment recevable ! La collision de ces deux problématiques est une manipulation, mais il est difficile d’en faire le reproche à ceux qui en France subissent de plein fouet cette dévalorisation sociale et économique.

Le reproche doit être fait en revanche à ceux qui, en responsabilité politique, alimentent et instrumentalisent ces raccourcis intellectuels.  Des reproches pas tant d’ailleurs destinés à une extrême droite qui a dans son ADN même le ciblage de l’autre comme facteur explicatif de tous les maux de  la terre, qu’à une droite dite républicaine tentée par des simplifications jugées électoralement productives.

Il y a, il y aura, un jugement sévère de l’Histoire pour les hommes politiques qui auront joué avec le feu, et par opportunisme électoral ouvert la boite de pandore de la xénophobie. Ces élites qui, devant l’interpellation légitime des classes défavorisées demandant à leur gouvernants des comptes sur les insuffisances des politiques menées, tentent pour mieux se dédouaner de leur propres responsabilités de leur faire croire que leur misère est la conséquence de ceux qui sont plus miséreux encore. Si vous êtes pauvre, c’est la faute des étrangers, et non de ceux qui vous ont gouverné. On pourrait croire la ficelle un peu grosse et élimée pourtant ce vieux truc marche toujours. L’Histoire est mauvaise pédagogue.

Le résultat c’est cette haine sans retenue exprimée sur les réseaux sociaux qu’on pourrait croire l’expression d’une minorité perdue si elle ne se traduisait, à en croire les sondages, par un sentiment de méfiance majoritaire à l’égard des réfugiés.   

Le bobo Bisounours observe interloqué une surenchère effarante de propos infâmes et dépouillés jusqu’à l’os de la moindre trace d’humanisme. Cela fait peur ! C’est précisément le mot qui convient !

La peur. Ces gens qui vocifèrent, qui en meute chassent une famille de Roms, qui n’ont pas de mots assez durs pour salir l’image d’un père pour qui la mort de ses enfants a été un événement planétaire, sont des populations en situation d’effroi. Ces gens-là ont peur, ils ont peur des autres, ils ont peur du monde, ils ont peur du futur. Et on sait avec Konrad Lorentz à quel point l’agressivité est mue par la peur. Ont-ils tort d’avoir peur ? Malheureusement nos mondes de moins en moins protecteurs, et la place de l’humain de moins en moins centrale, nous obligent à entendre cette angoisse. Il faudrait aussi que certains de nos hommes politiques comprennent qu’à alimenter sans cesse cette peur, à l’instrumentaliser, à la manipuler, ils enfantent un monstre qu’ils ne contrôleront plus.

L’heure n’a jamais été autant à la solidarité et à la protection. Nos sociétés n’ont jamais été aussi riches quoi qu’en disent les tenants de la paupérisation de l’État. Nous avons les moyens de renforcer la solidarité et la protection à l’échelle européenne. Il ne manque que cet ingrédient, quel en est le nom déjà ? C’est gratuit,  accessible, disponible. Ah oui ! La volonté. 

Jean-Fabrice Pietri

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