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Billet de blog 24 novembre 2015

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La kalash, l’imam et le sociologue.

Le djihad pour les nuls ou tout comprendre à la guerre en Syrie en 10 points, ne sont probablement pas des lectures appropriées

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La kalash, l’imam et le sociologue.

Les attentats du 13 novembre sont l’improbable conjonction de deux problématiques distinctes. Deux phénomènes que rien a priori n’appelait à se rejoindre mais qui pour notre plus grand malheur se sont pourtant rencontrés. D’un coté l’implosion d’une région du monde soumise à l’éclatement de toutes ses structures sociales, économiques et politiques : l’Irak. De l’autre le lent et oublié pourrissement d’une frange sociale française : les ghettos urbains.  La difficulté de l’analyse post attentat tient à l’amalgame qui peut être fait de ces deux phénomènes en une espèce de magma pseudo religieux et civilisationnel. Si on ne discerne pas ce qui relève d’une problématique ou d’une autre on peut craindre que les réponses apportées n’offrent que peu de résultat.

D’un coté il y a une logique géopolitique qui fait du moyen orient un théâtre séculaire de luttes régionales, mais selon des rapports de forces que l’intervention US en Irak a complètement bouleversé. Les cartes ont été rebattues et dans cette redistribution des atouts, un certain nombre de forces jouent un jeu classique de conquête politique. Des espaces politiques se sont ouverts, d’autres se sont fermés, et toutes les ambitions de pouvoir s’y confrontent dans un maelström de violences débridées.  Seuls quelques éminents spécialistes de la géopolitique régionale sont sans doute encore en position de cartographier les éphémères et fluctuants mécanos politico-militaires qui ne cessent de s’y confronter.

Daesh est un pion de ce mécano, un pion féroce, un pion monté en puissance, mais un pion quand même. Pour schématiser à outrance on peut concevoir qu’il soit la marionnette de puissances opposées à l’influence iranienne croissante dans la région.  Certes il peut arriver que les marionnettes échappent à leurs créateurs, mais enfin ca n’est pas le cas de figure le plus fréquent.

Dans un tel contexte on comprend assez bien que l’ajout de pions supplémentaires pourrait ne pas simplifier le jeu. En revanche que les joueurs déjà attablés à ce festin barbare du pouvoir puissent être mis en demeure de changer quelques règles et tactiques est probablement une option (Turquie et Pays du Golfe en priorité). Pour le dire autrement, une intervention directe, par voie aérienne ou terrestre, de forces non régionales, comme la Russie ou la France, dont certains semblent aujourd’hui faire l’axe prioritaire de la lutte contre Daesh, si elle ne s’accompagne pas d’une urgente clarification du rôle et de la stratégie des parties déjà prenantes au conflit, ne fera sans doute qu’ajouter confusion et désolation. Des frappes militaires sur Daesh ? Une utilité à démontrer. Des frappes diplomatiques sur l’ensemble des parties ? Une évidente nécessité. Supposons que c’est, à Vienne, ce qui est mis en œuvre désormais. Au fond pour bloquer et sortir Daesh du champ militaro-politique on dispose de 3 verrous. Un verrou militaire pour lequel on ne peut pas faire l’impasse sur une nécessaire implication de troupes sunnites au sol, un verrou économique qui dépend essentiellement de la Turquie, et un verrou idéologique qui exige des pays du Golfe une clarification doctrinale et politique sans équivoque. Si ces trois clefs ne sont pas actionnées de concert, Daesh, sous une forme ou sous une autre, perdurera.

Daesh est donc une tête trouble aux motivations pseudo religieuses. Mais quels sont les bras assassins qui, en France, servent cette tête ? Quels sont ces corps, totalement étrangers aux enjeux arabo-persan, qui trouvent judicieux, légitime, pertinent, d’épouser des causes qui leurs sont de prime abord inconnues ? Daesh est l’ennemi. C’est entendu. Hier c’était Al Qeida ou le GIA, demain un autre ? Au fond peu importe le drapeau. S’ouvre donc une deuxième problématique, complètement différente, bien que connectée, à la première : qu’est ce qui fait que des jeunes de notre pays se sentent attirés par des étendards aussi radicaux ? 

De jeunes idéalistes égarés ? Des psychopathes ? Des déclassés sociaux ? Des victimes de méthodes sectaires ? Des piétistes égarés ? Des chercheurs d’aventures ?

J’ignore s’il existe un morphotype de ces jeunes djihadistes qui sont partis en Irak ou en Syrie, il est probable que chaque profil a son propre itinéraire, chaque profil a son histoire personnelle, familiale, psychologique, culturelle, sociologique. Et sans doute trouve-t-on dans la nébuleuse Daesh, à leur arrivée, tous les types possibles ; pris en main et formaté ensuite par l’organisation terroriste pour en faire, selon leurs aptitudes, des cadres ou de la chair à canon.

Alors bien sur on cible notre attention sur la force attractive de Daesh et sa « sophistiquée » propagande 2.0. Nul doute  qu’un certain savoir faire sectaire pave la voie de leur dérives assassines, il reste cependant à comprendre ce qui conduit de jeunes femmes et de jeunes hommes à prêter à ces sirènes avariées des oreilles attentives.

Je ne suis ni sociologue, ni psychologue et je ne doute pas que ceux-là se penchent déjà sur l’étude et l’analyse de ces parcours, mais il est raisonnable d’imaginer qu’une pensée radicale ne s’installe que si un certain vide idéologique le lui permet. Une absence de structuration mentale citoyenne ne peut être que la condition nécessaire à l’invasion d’une pensée simpliste. Le vide culturel pourrait quand même bien être le meilleur allié  de la pensée totalitaire.

Un imam faisait remarquer que les plus sensibles à la propagande radicale était souvent ceux qui étaient au départ les moins sensibilisés  à la culture musulmane, ceux qui disposaient du plus faible bagage de connaissance religieuse. D’où sans doute d’ailleurs la surreprésentation des néo-convertis dans les bagages de Daesh.

Au delà du domaine religieux, une déficience de culture politique, historique, économique, interdit aux individus de pouvoir se construire un esprit analytique, une capacité critique, seuls outils efficaces contre les pensées simplificatrices.

Je ne sais pas si la nature a horreur du vide, mais l’esprit humain à coup sur. L’absence d’outil structurant pour comprendre le monde et s’y mouvoir est ressenti comme une souffrance ; l’humain semble avoir désespérément besoin de buts s’inscrivant dans un cadre cognitif de l’univers. Voilà ce qu’est le monde,  voilà quelle y est ma place et ce que j’y fais. D’ou cette quête humaine permanente de religion, d’idéologie, de lois universelles, bref de théories holistiques. L’homme veut comprendre le monde et pouvoir y lire sa trajectoire future dans une logique qu’il peut croire maitriser intellectuellement. 

Or je ne suis pas certain que nos sociétés encouragent beaucoup à la quête de sens. Du moment que vous produisez et que vous consommez la société vous accepte, sans manquer cependant de vous rappeler sans cesse à vos obligations économiques. En contrepartie de ce stress permanent, elle vous gratifie de divertissements variés. Des divertissements qui pour beaucoup n’ont pas tellement  vocation à vous remplir de connaissances et d’esprit critique. Il paraitrait même que pour certains divertissements l’effet recherché serait la disponibilisation de temps de cerveau. Le grand appel du vide qui se nourrit du creux.

Stress et vide,  un cocktail détonnant. Des addictions de toutes sortes permettent à beaucoup d’en supporter les effets les plus néfastes, et si ca ne marche pas il reste les anxiolytiques ou le suicide.

Le seul et unique projet construit qui s’insère parfaitement dans nos sociétés, qui y a toute sa place, qui fabrique du lien, de l’adhésion, de la reconnaissance sociale, est celui de la production compétitive et l’unité de mesure en sont essentiellement les unités monétaires. Il faut produire plus, gagner plus, croitre plus. L’horizon de l’accomplissement passe par la maximisation. Plus d’argent, plus de buzz, plus de like. Hors de ce schéma compétitif point de salut. Celui qui ne rentre pas, ne rentre plus, dans ce schéma tombe dans les rubriques infamantes du déclassé, du looser, du no-life, du cassos ou pire de l’anonyme. Celui-là est une proie idéale pour toutes les idéologies contestantes, du militant FN au candidat au djihad.

La reconnaissance est financière ou médiatique (souvent allant de pair) et elle est surtout individuelle. Pour caricaturer on aspire à être Bill Gates ou Justin Bieber. Le projet collectif, le sentiment d’appartenir à un mouvement, à une idéologie fédératrice qui projette un horizon commun, un but pour tous, s’est dissout depuis les années 80. Le communautarisme, le régionalisme, le nationalisme, ne sont que des tentatives désespérées de se re-bricoler du collectif permettant de se sentir moins isolé dans un système internationalisé qui ne reconnaît plus que la réussite individuelle. 

Ceux qui ont perdu à ce jeu du « ma bobine partout » (du selfie au star système) et de la « popularité » (qu’elle soit micro locale ou planétaire) se retrouvent confrontés à des logiques de dévalorisation sociale. Si rien dans leur univers personnel ne les raccroche à une ambition sociale qui donne du sens à leur parcours personnel, ils sont murs pour les recruteurs de la haine.

Il suffira à ces recruteurs de leur donner ce dont ils manquent le plus, de la reconnaissance !  Inutile de penser que les recruteurs de Daesh utilisent de puissantes et sophistiquées techniques de recrutement, il suffira de faire du candidat un « élu » un « héro potentiel » quelqu’un chez qui on a su détecter un potentiel que personne jusqu’ici n’avait vu, pour donner à un type un peu paumé un regain de motivation et une énergie dévastatrice. Que le vecteur soit l’Islam, la Scientologie ou le nationalisme au fond peu importe.

Alors, si guerre il y a, il y en a plusieurs, et sans doute convient-il de ne pas se tromper de combat, il nous faudra savoir combattre sur deux fronts. Pour chaque problématique impossible d’appliquer une seule grille de lecture. Le djihad pour les nuls ou tout comprendre à la guerre en Syrie en 10 points, ne sont probablement pas des lectures appropriées. Ces combats devraient s’inscrire dans des logiques de projet, un projet politique pour l’Orient, un projet de société pour l’Occident, on mesure alors l’ampleur du gouffre qui vient de s’ouvrir sous nos pieds ! Quitter l’émotion et la réaction pour le champ de la réflexion et de la construction !

Je ne suis pas optimiste.

Jean-Fabrice Pietri.

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