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Billet de blog 18 avril 2025

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Les oubliés de l’Histoire : les rapatriés d’Indochine

Soixante-dix ans d’oubli : pour une justice mémorielle des Français d’Indochine. Ils furent les premiers rapatriés de l’histoire française, mais restent les derniers oubliés.

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Un retour oublié

Après la chute de Diên Biên Phu, le Service des Français rapatriés d’Indochine du Ministère de l’Intérieur a organisé le retour en métropole des Français d’Indochine, en les répartissant dans divers Centres d’Accueil des Rapatriés d’Indochine (CARI), dont celui de Noyant-d’Allier et Sainte-Livrade-sur-Lot.

C’est en tant que rapatriés d’Indochine que nous sommes revenus en France, et ainsi désignés jusqu’en 1962.

La loi de 1961 : un déclassement silencieux

"De 1955 jusqu'à décembre 1961, aucun texte de loi ne régissait le statut des rapatriés d’Indochine, à l’exception de l’arrêté Morlot du 20 mai 1959.

La loi du 26 décembre 1961, votée dans le contexte du rapatriement des Français d’Afrique du Nord (notamment d’Algérie), a mis fin à notre statut de rapatriés.

 Elle a introduit une distinction au sein même de la citoyenneté française.

"Les rapatriés d’Indochine furent les premiers rapatriés de l’histoire française. Ils demeurent les derniers oubliés du législateur."

Cette loi a ignoré le fait que la majorité des Indochinois avaient obtenu la nationalité française grâce au décret du 4 novembre 1928, qui permettait aux métis nés de parents légalement inconnus d’accéder à la citoyenneté française.

Un héritage colonial toujours actif

Ce décret avait pour but de « régler » la présence d’enfants métis, issus des relations entre colons et indigènes.

Perçus comme un désordre moral, ces enfants étaient une menace pour l’ordre colonial.

"Il fallait leur donner la citoyenneté française afin de les éduquer, les former, pour qu’ils ne deviennent pas une menace."

La majorité des rapatriés d’Indochine étaient donc Français par décret, et pourtant, cette loi de 1961 a opéré une requalification silencieuse, les désignant désormais comme Français d’Indochine, et non plus comme rapatriés.

Exclus des droits, exclus des aides

Avec ce changement de statut, nous avons été exclus des dispositifs d’aide à la réinstallation mis en place pour les rapatriés d’Afrique du Nord : pas d’indemnisation, ni de reconnaissance officielle.

Toutes les lois suivantes — 1969, 1970, 1978, 1982, 1994, 1999… — nous ont été refusées, car elles dépendaient de la loi de 1961.

"Cette requalification a écarté cette population de tous les processus d’indemnisation et d’aide à la réinstallation."

Une histoire niée, une mémoire absente

En 2005, lors de l’adoption de la loi Alliot-Marie, qui devait indemniser les Français rapatriés d’Outre-mer, l’Indochine n’aurait même pas été mentionnée sans notre intervention, portée par le député Yves Simon.

Plus récemment, la loi du 23 février 2022 reconnaît la Nation envers les harkis et les rapatriés d’Algérie. Nous en avons encore été exclus, malgré les conditions d’accueil indignes que nous avons subies.

Et pourtant, nous avons été les premiers à subir ces conditions, régies par l’arrêté Morlot du 20 mai 1959, avec ses 19 articles répressifs.

Une volonté d’effacement ?

Cette exclusion systématique ne serait-elle pas un résidu des mentalités coloniales, où l’on nous perçoit encore comme des indigènes, silencieux et invisibles ?

"Cette histoire dramatique ne mérite-t-elle pas d’être enfin reconnue, au niveau départemental, régional et national ?"

Des rêves brisés, une dignité préservée

Les rapatriés d’Indochine sont arrivés en France pleins de fierté d’être Français, pleins de rêves.

Arrivés à Noyant-d’Allier et Sainte-Livrade-sur-Lot, ils ont perdu leurs rêves, mais ont fait en sorte que ceux de leurs enfants se réalisent, en s’enracinant sur cette terre bourbonnaise et du Lot et Garonne.

Un lieu de mémoire pour réparer l’oubli

Depuis 2003, l’Association des Rapatriés d’Indochine de Noyant-d’Allier  ARINA réclame la création d’un espace mémoriel à Noyant-d’Allier, afin que cette histoire ne sombre pas dans l’oubli.

Le rapport Diefenbacher de 2003 écrivait déjà :

"Il importe de veiller à ce qu’aucun territoire, aucune communauté, aucun épisode ne soit négligé… Une attention particulière devra être apportée à la mise en valeur des sites de Sainte-Livrade et de Noyant-d’Allier."

Aujourd’hui, la commune de Noyant-d’Allier porte enfin ce projet. Mais sans un soutien moral et financier de l’État, il ne pourra aboutir.

Une proposition de loi : un espoir bloqué

Le 3 février 2025, avec le soutien d’Olivier Faure, et des député·e·s Anne Le Hénanff, Yannick Monnet, Nicolas Ray, nous (Le Collectif des Eurasiens pour la Préservation du CAFI de Sainte-Livrade-sur-Lot CEP-CAFI et l’ARINA) avons porté une proposition de loi n°949, cosignée par plus de 100 députés.

Cette loi vise à reconnaître la Nation envers les rapatriés d’Indochine et à réparer les préjudices subis par leurs familles.

Mais le gouvernement refuse son inscription à l’ordre du jour. Des consignes auraient été données pour faire barrage au débat parlementaire.

Enfin, la reconnaissance ?

"Ne serait-ce pas là une juste et infime compensation, après 70 ans de silence, d’oubli et d’exclusion ?"

"Le sort qui nous fut réservé induit une forme de sous-citoyenneté française, bien loin des principes républicains d’égalité."

Il est temps de mettre fin à ces discriminations, de reconnaître l’histoire des rapatriés d’Indochine, et de réparer ce qui peut encore l’être.

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