Et puis, je l'embrassais comme du bon pain... C'était nouveau. Sans doute avions nous fait la paix, ou plutôt, sans doute, avais-je fait la paix. C'était simple, enfantin presque. Je pouvais rester là, à côté d'elle, essayant autant que je le pouvais d’ensoleiller ses jours. J'avais eu un temps quelque impatience. J'étais présent, attentif, mais au fond facilement irritable. Oh, une irritation modérée et contenue mais une irritation tout de même. Comme si être là, m'empêchait d'être ailleurs où ma vie se jouait certainement. D'abord, il fallut être raisonnable, c'est à dire à la fois que je puisse me raisonner et que j'en ai l'envie, ou que j'en sente la nécessité. Et peu à peu nous avons glissé vers une étrange plénitude. Elle acceptait mon don, et cette acceptation de mon don était un don en retour. C'était aussi simple que ça. Il suffisait d'être là. Rien de plus. Être là, attentif, mais aussi détendu et ne pas renoncer à l'humour. Il fallait d'abord être heureux de la situation. Cela avait un goût d'éternité. Ce qui était là, à ce moment là , le serait infiniment. Cela construisait de l'absolu. C'est à dire que ça ne faisait référence à rien. Ni au devoir, ni au bon sens, ni à une règle, ni même à l'amour. Cela était exactement ce que ce devait être. C'est étrange. Être juste là, assis, regardant peut-être la télévision, expliquant, pour palier sa mauvaise vue qui était ce personnage qui venait d'apparaître et ce qu'il était dans l'intrigue. Ou ne rien dire. Ou évoquer des choses anciennes. Ou parler du voisinage. Dire les nouvelles qu'on avait de vieilles connaissances. Ça n'avait pas vraiment d'importance. Ce n'était pas parler pour ne rien dire, c'était comprendre qu'on faisait partie d'un grand tissage, qu'on avait habité, qu'on habitait réellement une partie du monde. On n'était pas suspendu en l'air, dans rien. On était fait de la terre à laquelle nous allions retourner. Moi, j'avais encore un peu de temps, me semblait-il pour penser à tout ça. Mais quand nous étions dans ces moments, dans ces évocations, ce n'était pas que pour elle. C'était pour moi aussi. J'étais apaisé. J'étais apaisé de mes démangeaisons de mon être au monde.
Je l'avais connue capricieuse, un peu autoritaire. J'avais deviné depuis longtemps que chez elle comme chez tout le monde sans doute, cela cachait des blessures, mais aussi de grands espoirs. Et je m'apercevais enfin que beaucoup de ses espoirs avaient été comblés. Je la regardais à la dérobée et je ne pouvais m'empêcher de sourire en voyant encore sur son visage un petit air buté.
Ce petit air buté, elle l'avait toujours eu, non qu'il lui échappait, non qu'il la trahissait, bien au contraire, elle le portait presque en étendard. Voilà qui je suis proclamait-elle, il faudra compter avec moi. Et cet air buté s'accompagnait d'un frisson d'orgueil. Il faudra compter avec moi, disait-il, et un pli du coin des yeux, comme une ironie disait : parce que je sais ce que je vaux, je connais mes atouts, à bon entendeur salut.
Cet air buté, elle le gardait donc avec moi. Mais il était un partage, une tendresse. Il disait : je sais que tu me connais, et je ne me cache pas. Elle affirmait qui elle avait été et qui elle était. Et, semblait-elle dire, j'ai bien raison, puisque tu es là. Je souriais intérieurement et j'étais saisi par cette grande intelligence. Ce final que nous construisons me faisait-elle comprendre, il est bon pour nous deux. Comme on dit aujourd'hui c'est gagnant-gagnant.
Arrivait le moment où je me levais. J'avais veillé à ce que tout soit en ordre pour elle avant que je ne parte, et je l'embrassais comme du bon pain.