Henri rêvassait à une future demeure. Il lui était venu de l'argent. Toujours cette vieille histoire des héritages. Il n'avait pas particulièrement besoin de cet argent. Mais depuis qu'il en avait fini avec le notaire, les banques où cet argent était consigné le sollicitaient pour lui offrir divers placements ou pour lui demander de faire quelque chose de cet argent que, visiblement, les banquiers ne supportaient pas de voir dormir sur un compte.
Il lui était venu l'idée d'acheter une maison. Il ne voulait pas effectivement que cet argent disparaisse par usure de l'inflation. Cette inflation qu'il fallait absolument dépasser dans les placements qu'il devait faire en tant que conseiller financier. Il détestait ce que représentait l'argent, mais il était content d'en avoir.
C'est sans doute pour cela qu'il avait envie de faire le placement le plus ringard qu'on puisse imaginer, voire le plus inefficace en matière de rendement (mais malgré tout, si sûr) : acheter une maison. Il poussait le bouchon jusqu'à imaginer une maison qu'il ne louerait pas, qu'il n'habiterait pas, sauf peut-être un ou deux jours par an.
Il voyait une grande maison, de celle qu'on appelait « maison bourgeoise » ou « maison de maître » voire quelques fois « château ». Avec un parc bien sûr, de grands arbres séculaires. Des chênes, des sapins. Il envisageait une maison sans travaux. Sans doute quelques aménagements techniques comme l'électricité, le chauffage ou l'eau seraient vieillissants. Il suffirait qu'ils fonctionnent. Il ne voulait pas de quelque chose de récemment restauré, modernisé. De toute façon il ne s'en servirait pas. Il ferait de cette maison une maison de la Belle au bois dormant. Il imaginait la brume qui se lève à peine au fond du parc. Le silence. Il viendrait jusqu'à la grille. Il l'ouvrirait, elle grincerait. Il regarderait longuement la maison, essaierait d'entendre sa respiration, de sentir des vibrations, puis il repartirait, fermant la grille et donnant quelques consignes à celui qui aurait le rôle de régisseur du domaine.
Il avait cependant l'intention de venir y vivre quelques jours dans l'année, car sinon il avait le sentiment que cette maison n'existerait pas vraiment, ne serait pas réellement une maison.
Il pensait qu'il fallait venir un temps très court, une seule fois dans l'année. La semaine serait peut-être la bonne durée. Il se demandait s'il fallait qu'il choisisse une date symbolique ou qu'il vienne au hasard, ou encore que, comme pour ce qui se passait dans les civilisations lunaires, il décale de quelques jours ses visites annuelles.
Plus il évoquait ce projet, puis l'idée lui plaisait. Ce serait un mausolée à la mémoire de ses parents qui avaient laissé l'argent.
Et sans avoir pourquoi, il voyait aussi ce bâtiment qu'il imaginait assez somptueux comme une sorte de coffre fort ou comme le timbre de la nouvelle de Poe, qui orne la lettre qui annonce qu'un trésor est caché quelque part, en étant lui-même le trésor.
Il y avait dans cette idée quelque chose qui était contre tout bon sens. Et c'est ce qui lui plaisait.
Il fallait que cette maison soit entièrement meublée, fonctionnelle, que les lits soient faits, qu'il y ait serviettes, savons et tutti quanti dans les salles de bain, des conserves dans la cave et bien entendu une belle collection de vins ainsi qu'un bar avec les meilleurs alcools dans le salon, des vêtements dans les armoires. Ainsi quand il le déciderait, il viendrait, sans même une valise, il ouvrirait la maison, s'installerait comme s'il était tout le temps là. Puis au bout de huit jours il repartirait, donnerait un tour de clef, bien sûr une très grosse clef, qu'il mettrait dans sa poche.
Il faudrait aussi une bibliothèque, peut-être une filmothèque à condition qu'il puisse la constituer avec des DVD, car il n'était pas question d'avoir internet.
En rêvassant à tout cela, il s'aperçut qu'il venait de se resservir un troisième whisky. Il était juste au bon moment du whisky, quand celui-ci diffuse une bonne chaleur dans le corps et dans l'esprit. Mais il fallait qu'il fasse attention à ne pas se laisser prendre par la boisson, qu'il n'aille pas jusqu'à ce moment où l'alcool devenait amer et douloureux.
Cette rêverie et le whisky l'apaisaient. Il s'étendit un peu plus sur le divan de son appartement et se laissa aller à une douce somnolence.
Mais l'idée de cette maison le tira de sa torpeur. Il se leva et ouvrit son ordinateur pour regarder ce que proposaient les sites d'annonces immobilières.