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Billet de blog 15 mai 2022

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Un bout de "L'Homme riait".

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Je parlais hier d'un roman inachevé. Pour les curieuses et les curieux, pour celles et ceux qui m'encourageraient encore à en poursuivre l'écriture, en voici un extrait choisi. Il s'agit d'un monologue - il occupe plusieurs entrées de chapitre au début du livre -.  Un des deux principaux protagonistes du roman le déclame du haut d'une arête rocheuse surplombant un fleuve. Il parle au second personnage important du roman.

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" Regarde le fleuve. Tout est là. Là, dans le lit du fleuve, tout commence toujours et rien ne peut finir. En amont, là-haut dans la montagne, la vie sort de la roche. L'eau issue des pluies, accumulée dans les nappes souterraines, gicle de la source qui n'en est pas une. Je veux dire par là qu'elle existe déjà avant de surgir du flanc du rocher, cette flotte folle. Tu vois ? Tu sais ça ! Tout le truc sur l'évaporation des eaux qui, en vapeurs dansantes, forment les nuages. Tu connais ! Après son long voyage, elle sort des confins du sol. Elle coule violente et vive, l'eau des torrents. Elle dévale, éperdue, désirante, furieuse, elle s'agite avec force dans un étroit chemin qu'elle se façonne dans la pierre et elle se nourrit d'humus sur son passage, de cadavres même. Elle ramasse. Elle amasse. Elle collecte à ses bords. Elle fonce. Elle descend. Elle cherche en renversant tout sur son passage, parfois. Une sorte d'impatience. Elle est jeune. "

" Elle est encore jeune, l'eau de la future et lointaine rivière, quand elle comble les ruisseaux au printemps à la fonte des neiges. Elle a cette puissance adolescente qui fait se marrer les poissons quand il la sente bouillonnante, l'eau folle qui chatouille leurs flancs. Parfois sa tourbillonnante force ne fait pas qu'amuser les grenouilles, habituées qu'elles sont à chanter au plus calme des heures du torrent, elle dérange. Elle commente l'inertie quand elle franchit des chutes. Il lui arrive même de changer quelques cours pour quelques temps, l'espace d'une révolution mouillée. Bientôt, et les poissons joyeux et les grenouilles circonspectes le savent bien, elle se calme, l'eau des montagnes. Elle trouve dans la plaine des résistances suspectes, la pente s'adoucit et, malgré elle, il lui faut se soumettre au sol plat de modestes vallées. Quelques cascades encore dans le creux d'un village, une nouvelle course qu'elle propose aussi à une dernière pente entre deux modestes collines et la voilà qui baisse son rythme ravageur, son souffle enfin s'apaise et elle regarde, devant ses toutes dernières écumes, l'étendue qui l'afflige. Quel est donc ce mystère qui la fait ralentir, elle lorgne un peu boudeuse l'horizon élargissant son lit. Surprise, déçue certainement il faut le dire, elle constate le frein que lui oppose la nature qu'elle pensait faite sienne. Elle modifie sa raison. Elle consent à la chose. Elle va devenir rivière. Elle atteint l'âge adulte. "

" Les terres arides succèdent aux terres alluvionnaires. Elle taille dans la roche ou enrichit le sol, la rivière semble creuser son doux chemin paisible. Ce n'est qu'un leurre. Vois comme elle serpente ! Elle hésite, même en se croyant sûre d'elle. Elle contourne le difficile d'accès, elle bifurque et même parfois fait marche arrière se dérobant ainsi aux questions que lui pose sa légitime existence. Elle connaît son aval et accepte l'estuaire qui la verra un jour se dissoudre dans la mer en regrettant souvent l'amont de ses jeunes années. Elle va vers sa mort certaine, toujours soumise au doute des terres qu'elle foule, mais sans vraiment en comprendre l'enjeu. Elle coule tant qu'elle se sent couler dans les plaines fertiles, là l'eau affiche son sourire. Si l'étau de ses rives se resserre sur elle, l'eau dans sa veine devient vite maussade en forçant les passages. C'est pour cet équilibre instable entre paix et colère qu'elle adopte sa voie, et si même parfois elle sort de son lit inondant d'idées neuves des terrains en jachère, elle finit toujours par aller se coucher. Cette vie lui suffit, les mêmes paysages devant ses yeux rêveurs. Elle peut rejoindre un fleuve, retraite souhaitée. "

" Je l'ai appelé rivière mais c'est un fleuve. Regarde le fleuve ! Il impose son calme dans une présence hors norme. Qui pourrait se douter des violences traversées en amont depuis sa naissance, les sautes d'humeur torrentielles, les assauts et les reculades ? Qui pourrait y déceler aussi la caresse douce des berges et quelques traces de vent sur son incroyable périple ? Qui pourrait y voir encore le mince et fragile filet d'eau de l'accouchement de sa source ? Qui pourrait se remémorer le long chemin sinueux parcouru depuis lors ? Qui peut, là, en contemplant un résultat, y voir l'ensemble d'une œuvre immense jusqu'au moindre détail de sa réalisation ? Qui peut se faire suffisamment petit et humble pour "connaître" et "reconnaître" enfin la somme de connaissances amassée dans le lit d'un fleuve ? Il est majestueux et n'a plus besoin de rouler des épaules pour se faire connaître. Il n'a pas d'exigence. La plaine est son lieu, il y règne sans ennemi et nul ne peut plus le contraindre. Il vit l'orgueil de son chemin en pleine conscience. Il est la vieillesse sage de l'eau. Une eau de mémoire qui coule doucement vers l'estuaire jusqu'à sa mort, sa dispersion. Le fleuve va lentement n'ayant aucun souci de l'horizon. Il le sait, il le sent dans ses flancs, cela viendra, cela arrivera. Tout au bout, la mer comme un cosmos. Mais ça, c'est une autre histoire, n'est-ce pas !? "

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