
Ce vendredi 27 mars au matin, un ballet inédit a pris place à la mairie du XVIIe arrondissement de Paris, transformé en drive-in de test au coronavirus. Après avoir décliné son identité au vigile de l’entrée et récupéré un masque, Jacques, chef du service d'anesthésie d'un grand hôpital parisien, pénètre au volant de sa voiture dans la grande cour en forme de U. Quelques mètres plus loin, il s’immobilise face à une tente blanche d’où sort un médecin qui le questionne sur ses symptômes et prend ses coordonnées. L'hospitalier est inquiet, il se sent fourbu depuis deux jours sans savoir s'il doit l'attribuer au rythme effréné auquel il est confronté ou à un début de maladie. Un peu plus loin, une biologiste, chasuble, charlotte sur la tête, lunette de protection et masque FFP2, procède en quelques secondes au prélèvement à l’aide d’un coton-tige inséré dans sa narine. Jacques n’a plus qu’à remonter la vitre et repartir sans même avoir à faire demi-tour. Bien pratique, la cour de la mairie dispose en effet d’une sortie. L’échantillon sera envoyé dans la journée au laboratoire, Jacques aura le résultat dans un délai de 24 heures. Ce concept de drive-in emprunté à la Corée du sud, est désormais ouvert à tous les professionnels de santé parisiens présentant des symptômes du coronavirus. Il leur suffit pour se faire tester de prendre préalablement rendez-vous sur Doctolib.
A l’origine de ce dispositif on trouve deux médecins. Le généraliste Marc Baillargeat, membre du conseil départemental de la ville de Paris de l’ordre des médecins et le pédiatre Sydney Sebban, coordinateur du réseau bronchiolite d’Ile-de-France et membre du comité technique de vaccination de la haute autorité de santé. Les deux hommes se connaissent, ils exercent tous les deux dans le XVIIe arrondissement de Paris et travaillent ensemble à la constitution d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) dans leur quartier. « Dès le confinement, les cabinets de ville ont été déserté. Le constat c’est que les malades chroniques ne sont plus pris en charge, or il nous faut des médecins et des paramédicaux en état pour assurer aussi le suivi des patients habituels sans risque de les contaminer ou de se voir contaminer et de propager ainsi le virus » assure Marc Baillargeat. En première ligne, les soignants ne disposent pas d’une réserve de masques suffisante pour affronter l’épidémie et jusqu’ici ils ne pouvaient pas non plus se faire tester. Face à cette situation, c’est donc le système D qui prédomine.
L'initiative des deux médecins libéraux a débuté le jour suivant l’annonce du confinement. Dès le mercredi 18 mars, Sydney Sebban décroche son téléphone pour joindre le maire du 17e, Geoffroy Boulard et lui expose le projet. Rendez-vous est pris à la mairie. Celle-ci dispose d’une grande cour, « une configuration idéale pour installer un centre drive » admet l’édile qui se laisse volontiers embarquer dans l’aventure. En quelques jours les deux médecins activent leur réseau et dénichent trois laboratoires du quartier qui disposent enfin de tests. De fait, autorisés officiellement dès le 9 mars, à réaliser les tests de dépistage du Covid-19, ces laboratoires privés étaient jusqu’ici dans l’incapacité de le faire. Faute de kits nécessaires aux analyses, dont les masques et surtout les réactifs du test en pénurie car provenant principalement de Milan en Italie, d’Allemagne et de Chine ! Tandis que les deux médecins organisent la logistique avec les laboratoires et les concertations avec l’Agence régionale de santé, la mairie loue quelques tentes et s’en fait même prêter par les pompiers. Il ne reste plus qu’à constituer deux équipes (une pour le matin, une pour l’après-midi) composées chacune d’un médecin et d'une biologiste pour assurer les prélèvements. « On a fait avec les moyens du bord. L'ordre départemental des médecins nous fournit cinquante masques par jour, on a récupéré aussi des chasubles et des gants. Quand la bonne volonté est là on y arrive » sourit Sydney Sebban. Ce matin là en effet, c'est Didier Evenou, kinésithérapeute et président du réseau bronchiolite d'Ile-de-France qui accueille les candidats au test. "Une trentaine de mes confrères et consoeurs se sont déjà porté volontaires pour assurer la suite" précise t-il. Le drive compte en effet assurer cinquante tests par jour la première semaine et monter en puissance si le besoin l’exige. D'ores et déjà cette première matinée annonce la couleur. L'information de l'ouverture du centre dépistage a en effet commencé à circuler bien au delà du quartier. Aux côtés des médecins de ville d'autres soignants se sont présentés tôt ce matin sans rendez-vous comme cet interne d'une clinique de banlieue tout droit sorti de sa garde. "On n'allait pas le renvoyer" confie Sydney Sebban. Le pédiatre ne croit pas si bien dire. Derrière lui un commissaire de police patiente pour obtenir des informations. Quatre membres de sa brigade de nuit présentent des symptômes. "Je suis du quartier. Quand j'ai su pour le centre de dépistage, j'ai décidé de tenter ma chance. Je dois quand même savoir si je peux continuer à faire travailler mes gars sans risquer de contaminer toute la brigade". Là aussi impossible de refuser. Sydney Sebban s'engage à recevoir les policiers en fin de journée.
A ce rythme la centaine de tests journaliers promis par les laboratoires sera t-elle suffisante ?
Un centre de dépistage est également ouvert sur le site du parc des Expositions de la porte de Versailles (Paris XVe).
Ailleurs aussi, les initiatives se multiplient. A Neuilly-sur-Seine et à Lisses, des drive-in de test se sont ouverts dès le 19 mars à l’initiative de laboratoires privés. Dans le midi, Labosud, qui regroupe 74 laboratoires de biologie médicale dans le Gard, l’Hérault et les Bouches-du-Rhône, organise des tests à Arles, Montpelliers, Alès, Nîmes et Béziers.