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Billet de blog 3 juin 2025

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Les banlieues érogènes - Voiture de tête (4)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

20h45, juste la bonne heure pour le ciné avant le train d’Amsterdam. Il filait rue Coquillière, rue Rambuteau, à rebrousse poil de la foule du week-end, vers le Forum des Halles. Parmi les sept ou huit films, il y en aurait bien un qui collerait. Un truc avec des pop-corns et pas trop de monde dans la salle. L’air moite dans l’escalier roulant qui menait aux galeries succédait à la douceur du mois de mai. Il y avait moins de monde que tout à l’heure et la faune bigarrée de la nuit s’était invitée dans les couloirs. Les salles de cinéma étaient plus bas, pas loin des entrées de parking. C’était plutôt pratique, il n’aurait qu’une ou deux minutes à marcher avant de grimper dans sa voiture et filer sur le boulevard Sébastopol vers la Gare du Nord. Bon, alors, on passait quoi comme films ?

Il y avait bien sûr l’inévitable Lelouch empaillé, ‘Divergente’ – un truc de science-fiction qui avait l’air bidon, un Disney-Pixar, deux trois ou trucs et une rétrospective Ridley Scott, qui programmait ‘Thelma et Louise’. Il aimait ce film, un road-movie féministe, les grands espaces de l’Ouest américain, la bagnole décapotable qui emmène les deux nanas flingues à la main, Thelma qui braque un supermarché, le flic qui se fait coffrer par Louise dans la malle arrière de sa voiture, l’explosion du camion du gros redneck pervers, tout lui plaisait. Et cette fin, un chant du cygne. Allez, va pour ‘Thelma et Louise’ ! En plus, question horaire ça tombait à pic. Il prit place dans la file, « Thelma et Louise, une place s’il vous plait. ». Un couple de tourtereaux piaillait dans son dos. Décidément l’air était moite, de fines gouttes de sueur perlaient sur sa nuque. Il entra avec un soupir d’aise dans la salle climatisée. Les jeunes tourtereaux étaient à sa suite. Il prit place près du mur sur la rangée latérale, et, bien calé dans son cocon, attendit que le rideau se soulève pour dévoiler l’écran. Les jeunes tourtereaux jacassaient juste derrière lui. C’était pénible. Pourvu qu’ils la bouclent pendant le film.

Le rideau s’ouvrit, l’obscurité se fit et le générique de début démarra – Susan Sarandon – Geena Davis – Ridley Scott – magnifié par la guitare moelleuse et aiguë qui accompagnait les images des paysages infinis de l’Ouest. Bientôt il plongeait dans le film. Thelma se faisait violer sur le capot d’une voiture sur le parking d’un saloon, et Louise dégainait un flingue. Le gros pervers de violeur s’écroulait sans vie. Pas de témoin, il ne leur restait que la fuite, la course à travers l’Arkansas, l’Oklahoma, le Colorado. La fuite vers l’Ouest jusqu’au Mexique. Les deux tourtereaux commentaient le film à voix haute - « s’il vous plaît, pourriez-vous parler moins fort » - fit-il à mi-voix, se retournant vers eux. Il était surpris de sa hardiesse, non pas qu’il fût couard mais il lui arrivait rarement de sortir ainsi de ses gonds. En tout cas, ça leur avait coupé le sifflet aux deux jeunes. Il replongea dans les images, la musique et l’action. Thelma et Louise roulaient maintenant dans la nuit du Colorado, au son d’une guitare lancinante. Elles avaient jeté au panier leur passé de femme au foyer et de serveuse de fast-food. Elles s’étaient libérées de leur carcan contraignant et s’accomplissaient en femmes fortes, surgissant en fleurs sauvages de leur quotidien banal. Unies. Comme il le serait avec elle lorsqu’elle descendrait tout à l’heure du train d’argent.

Le générique de fin défilait sur l’écran, puis le rideau se refermait. Il se leva. Les deux jeunes tourtereaux avaient repris leur babillage dans la queue vers la porte de sortie.

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