l sortit dans les couloirs maintenant dépeuplés de la galerie commerciale des Halles. Un coup d’œil à la montre, 22h50, il était dans les temps. Une femme passait devant une boutique de vêtements. C’était la femme en velours noir de tout à l’heure au resto. Leurs regards se croisèrent et elle le reconnut également. Elle n’attendait donc pas de rendez-vous amoureux dans la brasserie ? Elle était seule ? Ils échangèrent un petit sourire. Il lui aurait bien fait un peu de conversation à cette femme seule moulée de noir, seule dans la vie malgré sa beauté. Une beauté esseulée ? Mais il ne restait que peu de temps avant le train d’argent. Ce serait pour une autre fois, et elle laisserait un souvenir fugace, teinté de doux regrets. Voiture, portière, contact, clic clac ceinture.
Sortie de parking dans le dédale souterrain des Halles. A cette heure ci ça devait rouler – pas d’embouteillages. Feu vert au croisement de la rue de Turbigo, il était au volant dans la nuit, vitre descendue. Il ne restait plus que quelques minutes avant les retrouvailles sur le quai. La masse épaisse de la Gare du Nord se découpait dans le noir de la fin de soirée. C’était un instant de bascule, l’instant où l’on est seul encore mais où l’on sent déjà la chaleur retrouvée de celle qui vient d’Amsterdam, l’instant où l’on anticipe le glissement des doigts sur la longue chevelure, l’instant où la connivence revient et se love entre leurs corps étreints.
Gare du Nord. Il coupa le moteur, sortit de la voiture et se dirigea d’un pas rapide vers les ascenseurs entre briques et béton au fond du parking. Ça sentait l’urine et le moisi. Il aurait préféré un lieu de ciel bleu et de soleil éclatant au zénith. Mais le train d’Amsterdam, comme tous les trains, finissait sa course dans la poussière grasse et la sueur aigre des gares. Ce n’était pas grave, c’était transitoire, et il était le preux chevalier qui venait délivrer sa princesse de ce lieu de perdition mal famé, âcre et sale, et qui l’emmène loin, dans la voiture, dans les phares à travers le noir. Loin. 23H10.
Il avait tout juste le temps et filait en courant vers le quai. Pas besoin de regarder le panneau des arrivées, il savait que c’était voie 4. Vite, 23h13, plus que quatre minutes. Il était maintenant sur le quai, essoufflé, sur le quai vide, le quai désolé. Son regard fouillait l’horizon au-delà des voûtes métalliques de la gare, vers les rails au loin, ceux du train d’argent. 23H17, il est seul et les rails lointains s’enchevêtrent dans le dédale des aiguillages. Seul.
Il n’y avait pas de train à l’arrivée. Il n’y avait personne à attendre sur le quai de la Gare du Nord.il n’y avait pas de train Amsterdam-Paris sur les panneaux des arrivées. Il n’y avait jamais eu de train de 23h17. Il n’y avait jamais eu aucun train. Il n’y avait jamais eu personne à retrouver à l’arrivée d’un train qui n’avait jamais existé..
Il y eut soudain un cri d’effroi qui emplit brutalement la gare. Un cri strident, une zébrure sur les rails luisants. Il y eut ce cri strident et il s’éveilla soudain, haletant, assis sur le lit, chez lui, chez eux. A son côté, la femme qu’il aimait dormait paisiblement. Il avait fait un mauvais rêve. Rien qu’un mauvais rêve.