La phase d’approche était entamée. Le DC10 cabré jouait du réacteur. Par les trous des nuages, la campagne de Normandie affichait son patchwork. On descendait, bientôt ce fut l’Île de France et les champs cédaient peu à peu la place aux autoroutes et aux pavillons. On distinguait maintenant les voitures, petits insectes sur les rubans du bitume – We are now proceeding to our final approach to Paris Charles de Gaulle. Please refrain from smoking, fold up the back of your seat and keep your seat belts fastened until the signs are over. Local time is now 10.45 and the outside temperature in Paris is 12 degrees Celsius. We hope you have enjoyed your flight with TWA and we would be pleased to welcome you again. Thank you and have a good day. Le « jet » tanguait un peu et il scrutait par le hublot le sol qui grandissait, tentant de reconnaitre un détail de la ville ou du paysage. Ça c’est le centre Parinor, et ça là-bas c’est l’échangeur de l’A3 à Bobigny. Et ça ? Les Buttes-Chaumont ? Ah… la basilique Saint-Denis et la tour Pleyel. Puis ce fut le choc, un peu de biais comme à chaque fois. L’avion freinait en force, ses volets aérodynamiques redressés sur les ailes.
À l’intérieur du DC10, une musique d’ascenseur avait remplacé le grondement régulier des moteurs. Chacun regroupait ses effets, debout dans l’allée ou penché au-dessus du siège. Il se leva à son tour, et se redressa mains calés contre les reins engourdis, puis leva le bras vers le coffre à bagages. Le petit sac fila en bandoulière, avec le flacon Givenchy tax-free.
Le « jet-lag » commençait déjà à se faire sentir, et il clignait des yeux, regard brouillé contre le ciel blanc à travers les vitres du terminal d’arrivée. Il marchait d’un pas rapide vers les postes de contrôle douaniers, le long du couloir autoporteur, se faufilant entre la foule des passagers venus des quatre coins du monde, sur le caoutchouc du tapis roulant, pour raccourcir le temps des retrouvailles. Seuls quelques dizaines de mètres les séparaient, maintenant. Bientôt ils s’embrasseraient. Passeports, police de l’air, concierges des frontières en sentinelle. Au-delà de la cloison de verre, derrière les pistes et les hangars, s’étendait la grande ville invisible qui grouillait d’inconnus ignorant que le vol 816 au départ de Boston venait d’atterrir. À cet instant il n’existait pas encore pour la ville qui l’accueillait dans son ventre comme un fœtus étranger, et il était planté là en file d’attente sur le carrelage pâle, indifférencié en zone internationale. Avec le Givenchy tax-free au fond du sac.
Il franchit le contrôle des douanes comme une lettre à la poste, à peine un regard sur le passeport – tandis qu’un pauvre sud-américain au guichet voisin était martelé à grands coups de tampons par le képi autoritaire et chefaillon d’un fonctionnaire discipliné. Puis ce fut la course vers les carrousels à bagages qui charriaient en méandre leurs valises incognito, cargaisons suivies par le regard fatigué de possibles propriétaires qui baillaient devant leur caddy vide. Il participait à l’agglutination verticale devant le défilé anonyme des valises, tout engourdi par les heures immobiles passées dans la carlingue sèche de l’avion. Chacun en silence traquait du regard ce cortège qui s’écoulait avec lenteur. Les valises ventrues exhibaient en nonchalance un signe de quelqu’un d’autre, vides de sens pour tous ces yeux à la recherche de leur propriété. À intervalles, une main chanceuse délivrée de l’attente saisissait l’un quelconque de ces objets, et le type s’éloignait en poussant le caddy avec son bout de soi retrouvé. Il était planté dans la raideur du décalage horaire. Son bagage arrivait là-bas, au bout du tapis, son gros sac, écrasé par deux valises de première classe.