JL Caron (avatar)

JL Caron

Retraité écrivaillon amateur - militant CGT

Abonné·e de Mediapart

66 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 mars 2025

JL Caron (avatar)

JL Caron

Retraité écrivaillon amateur - militant CGT

Abonné·e de Mediapart

Les banlieues érogènes - Givenchy Tax Free (6)

JL Caron (avatar)

JL Caron

Retraité écrivaillon amateur - militant CGT

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il n’y avait plus qu’une porte, une dernière porte. Les derniers pas avec le flacon tax-free, vers cette dernière cloison vitrée derrière laquelle s’entassaient les familles ou les amis d’accueil. Il pénétrait la foule du regard, voulant écarter les corps entassés, à sa recherche. Où était-elle ? Dans la cohue derrière cette vitre, il guettait le déclic d’une couleur de cheveux, le signal d’un regard, la réponse d’une silhouette. Il franchit la dernière porte, hésitant à marcher plus loin, haussant la tête au-delà de la barrière des gens, Il scrutait l’écran compact de la cohue, à gauche, à droite. Quelques pas. Le regard en périscope dans la marée humaine. Où était-elle ? Quelques pas encore, en avant, à gauche, à droite. Autour de lui, on faisait de grands signes. Une jeune femme venait de laisser tomber son bagage au sol pour enlacer un homme qui avait couru vers elle.

Où était-elle ? Au bout du bras, son sac tirait, pesant. Il le posa à terre et se figea en fouillant des yeux tout cet espace devant lui, dans l’air qui dansait sous le décalage horaire. Les carillons légers rebondissaient sur les murs du hall, et des voix aseptisées valsaient en annonçant les départs et les arrivées. Où était-elle ?

Elle le cherchait aussi, c’était certain. Là, maintenant. Elle devait sûrement trier les gens, guettant un appel dans les corps multipliés. Elle devait avoir ce petit pli au front qu’il connaissait bien, et dans les yeux un atome d’inquiétude. Elle devait être là, perdue dans cette masse étrangère. Il reprit son bagage et s’éloigna du centre de la mêlée. À l’écart, elle l’apercevrait plus aisément s’il était à l’écart. Bras croisés, bagage au pied, adossé – à l’écart – contre le mur des arrivées. Il attendait qu’elle émerge de cette foule, et qu’ils courent enfin l’un vers l’autre, en surprise soulagée. Au fond du sac en bandoulière, le flacon de Givenchy tax-free attendait lui aussi.

Le « jet lag » lui avait anesthésié la mâchoire et la nuque, et des vagues irrépressibles de fatigue lui plombaient les paupières. Cigarette aux lèvres pour ne pas céder à cette torpeur. À côté, les derniers passagers franchissaient la porte d’arrivée dans le hall maintenant quasi déserté. Goutte à goutte en silence, après la fureur. Il attendait depuis vingt minutes. Elle avait dû avoir un bouchon sur l’A1, ou un problème d’embouteillage sur le périphérique, ou quelque chose comme ça. Ou alors, elle s’était trompée de porte d’arrivée, ou bien elle était allée l’attendre à l’aérogare 1, l’autre aérogare. Oui, ça ne pouvait être qu’un truc comme ça. Soit elle avait eu un embouteillage, soit elle s’était mélangé les deux aérogares. Quoiqu’il en soit, le mieux était d’attendre là, sans bouger, contre le mur et bien visible. Avec le Givenchy tax-free, pour mieux parfumer le désarroi et le soulagement qu’elle aurait tout à l’heure lorsqu’elle arriverait en courant au bout du hall. Ils finiraient quand même par se trouver. Simple question de patience. Inutile de s’inquiéter plus avant.

L’horloge du hall indiquait midi maintenant. Cela faisait une heure qu’il attendait. Elle ne pouvait pas avoir eu un problème d’embouteillage, ni un problème d’aérogare. C’était trop long. Il tripotait entre les doigts un mégot encore fumant, assis dehors à quelques mètres de la porte d’arrivée. Pourvu qu’elle n’ait pas eu d’accident sur la route. Ou alors, si elle était malade ? De toute façon il ne pouvait plus rester là à attendre sans savoir. Oui mais. Si elle arrivait quand même, là dans quelques instants. Ce serait trop bête de se louper. Pourvu qu’elle n’ait pas eu d’accident. Il regagna le hall. Il hésitait, un œil sur sa montre. Midi quinze. Pourvu qu’elle n’ait pas eu d’accident. L’estomac pinçait. De toute façon, s’il rentrait en taxi et qu’elle arrivait, elle comprendrait bien qu’ils se sont simplement ratés. Non ? Oui, bien entendu qu’elle comprendrait. Oui. Il n’y avait pas à s’inquiéter. Et le baiser de leurs retrouvailles n’en serait que plus amoureux. Il sortit de l’aérogare. Pourvu qu’elle n’ait pas eu d’accident.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.