Ca roulait fluide sur l’autoroute A1, dans la ouate lumineuse de cette journée de printemps. Le taxi obliquait sur l’échangeur de l’A86 à hauteur du Bourget. La banlieue nord dressait ses immeubles et Montmartre passait en cliché dans les vitres du taxi. Le chauffeur engagea la voiture sur les quais rive gauche, laissant le pont de Gennevilliers dans la perspective rectiligne de ses huit voies rapides. Pourvu qu’elle n’ait pas eu d’accident. Tout raide à l’arrière du taxi, il luttait contre le sommeil lourd qui tombait en nappes, gorge serrée, ventre en angoisse, triturant sa ceinture de sécurité. La ville passait comme une étrangère. Quelques minutes plus tard, la voiture stoppait devant le béton d’une tour de douze étages. Il régla la course et descendit, levant les yeux, interrogeant une fenêtre quelque part là-haut, leur fenêtre, à plat sur le béton au milieu des autres fenêtres.
Il est dans l’ascenseur, tête basse, un œil sur les chaussures. Il essaie de ne pas y penser - pourvu qu’elle n’ait pas eu d’accident. Il est dans le couloir, pression sur l’interrupteur et il avance vers la porte. Il est devant la porte, appuie sur la sonnette. Souffle en suspens. Il attend devant la surface lisse et muette, devant le judas, l’œilleton rond qui l’observe. La porte ne répond pas. Pourvu qu’elle n’ait pas eu d’accident. Mal de ventre, cœur en chamade. Silence. Sonnette à nouveau. Rien. Il respire difficilement maintenant. Une main plongée dans la poche, il fouille, il cherche. Trousseau de clés, grincement dans la serrure. Il ouvre. Il entre.
Rien ne bouge. Les persiennes laissent filer quelques rais de lumière. L’appartement respire calmement. Il franchit le couloir de l’entrée, puis passe dans le salon. La pièce est assoupie dans l’ordonnance des meubles et des bibelots. Aucun signe. Il se tourne, hébété, et là il les voit, bien rangés, luisants dans la pénombre, sur l’étagère. Tous les flacons de Givenchy tax-free.
Sur l’étagère, dans son appartement de célibataire.
Fin