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Billet de blog 7 mars 2025

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Les banlieues érogènes - Hélas Alice (1)

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Hélas Alice

En seconde classe, elle tire sa vie fadasse
Alice est lasse
Elle danse en rêve au Palace
Dans le métro, entre ses cuisses, des yeux qui glissent
Hélas Alice, métro-police
Rimmel raté, ça cloche, les cils au fond des poches
Alice est moche


La lampe de soixante watts éclairait l’évier et les murs blancs, blanc et jaunis, de la cuisine. Sans fard. Blafard. Elle regardait sa cuisinière déglinguée qui fuyait d’un souffle surgelé. Lasagnes d’hier réchauffées dans la barquette encore givrée. Dans la pièce à côté ça sentait la télé, et là, sur ses cheveux brillantine ça sentait le métro parfumé. Elle avait une mèche noire entre les yeux rimmel rafistolés. En ce soir ordinaire. Elle remontait son sous-tif sous le pull lycra qui colle. Alice est lasse, elle danse en rêve au Palace. Mégot mort sur les pelures de pommes de terre dans le sac-poubelle au pied de l’évier. Trace de rouge à lèvres sur le filtre, comme un baiser raté trop longtemps appuyé et qui a dérapé. Dans la pièce à côté il y avait la pub à la télé. Elle, elle venait de rentrer après sa caissière de journée, par le métro comme une automate, et les types qui matent. Entre les cuisses sous les bas fumés, les jambes d’Alice sont fracturées. Hélas Alice. Elle rejette la mèche noire sur le front, geste des doigts qui remontent sur la peau trop blanche. Elle n’a plus rien au fond des yeux qu’un peu de poussière de banlieue. Sous les rides précoces, les cils au fond des poches, Alice est moche.

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Cela faisait cinq ans – depuis le CAP – qu’elle fourguait sa vie à coups de radioréveil, pour aller turbiner comme caissière à l’hypermarché de Créteil Soleil. Et ce matin-là, comme tous les matins, le réveil avait vibré jusqu’au creux du matelas, stridence habituelle qui lui plaquait l’oreille au fond de l’oreiller. Station silence dans la chambre sombre, encore allongée, puis sortant du lit à chaton-tâtons pour aller défroisser son corps de vingt ans sous la douche, immobile, avec la peau qui dormait encore sous la flotte javellisée. Sèche-cheveux agité en souffle tiède comme un avant-goût de vent du métro, elle regardait ses petits seins blancs dans le miroir au-dessus du lavabo. Mini-jupe noire, coton Tati, pin-up de zone urbaine, elle bâclait un maquillage bon marché en écoutant passer le goutte-à-goutte du café. Ses talons claquaient dans l’escalier intérieur vers les étages inférieurs. Elle ne prenait plus l’ascenseur, il y avait trop d’odeurs.

Il était tôt. Dehors sur la pelouse dévastée devant l’immeuble, un type en pyjama et robe de chambre usée faisait pisser son berger allemand. Un Africain passait dans la diagonale du parking dans un manteau gris de nuit, entre les peintures taggués sur les murs d’un relais EDF et l’esplanade vers le RER. Elle marchait sur l’allée qui longeait les HLM. Il y avait des poubelles oubliées, quelques autoradios brisés, des caddies renversés, des crottes de chien séchées et des chiures de pigeon sur les marches écaillées des portes d’entrée. Dans le passage entre le Leader Price et le Planning Familial, un adolescent avait crié à la « bombe » les signes de son désespoir – Fatima je t’aime mais ton père est un enculé. Elle passait sous les réverbères des marches qui montaient vers le panneau bleu et blanc de la gare RER. Le kiosque à journaux venait juste d’ouvrir. C’était l’heure incertaine entre la nuit et la journée où la ville défèque ses poubelles dans le gyrophare des camion-bennes, purge ses caniveaux à coups de lavements de jets d’eau et aspire ses comédons dans le potin des motocrottes.

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