Elle faisait station-jugeote devant un magasin de mode branché cool et pas cher, un ice-cream à la main, évaluant un blouson de skaï rouge en devanture entre les jeans taille basse et les tee-shirts fluo. Elle avait déjà un blouson, mais c’était un blanc, pas un rouge. Celui-là était plus flashant. Il y avait aussi le même pour mec. Un jour elle avait rencontré un type qui en portait un comme ça, un jour où elle était allée voir un concert de Dance Music à Bercy avec Muriel et son frère. Elle avait laissé repartir son amie en voiture et elle était restée avec le type dans un café. Il lui avait parlé longtemps – elle ne comprenait pas ce qu’il voulait. Elle attendait qu’il lui fasse une soirée normale, léchouille vite fait, sans mal et sans danger. Mais le type ne semblait pas vouloir se décider. Il demandait ce qu’elle aimait comme musique et comme livres, si elle voulait des enfants ou pas, si elle était déjà allée en Bretagne, si elle préférait la cuisine japonaise ou la cuisine antillaise, si elle pouvait se syndiquer ou pas, à l’hyper, si elle était heureuse et ce qu’elle attendait de cette vie. Elle répondait comme ça avec deux mots ou trois, en se grattant la cuisse devant son coca, – Oui – non – j’sais pas. Elle disait – j’sais pas. Elle ne savait pas quoi dire, elle n’avait jamais appris à parler. On ne lui avait jamais appris à savoir – Oui – non – j’sais pas. Le type ne collait pas. Elle lui avait dit qu’elle était crevée et qu’elle allait rentrer. Elle avait pris le dernier bus et le dernier RER vide. Seule dans la rame, elle avait eue peur. Et maintenant, elle regardait le blouson en skaï rouge qui lui rappelait le type bizarre, pas normal pour une soirée vite fait mal fait, le type de cette autre fois là. Le vêtement ne lui faisait pas trop envie, finalement. Et puis ce n’était pas le début de mois et c’aurait donc été trop cher.
Elle avait fini par atterrir dans un McDonald’s à l’angle de deux allées du centre commercial. Il y avait des tables dehors dans l’allée, une terrasse reproduite avec soin sous le ciel de béton. Ambiance « McDo festival-tropical », c’était l’animation de la semaine : des mini palmiers en plastique, des orangers en caoutchouc et aux feuilles de ripolin chlorophylle, et même, en peinture sur le sol, une plage avec des baigneurs. C’était chouette. Elle aspirait un soda en tétant la paille plantée dans la boite en carton protégée par son couvercle hermétique, et trouvait que c’était bien comme truc, ça ne pouvait pas se renverser, et puis l’hygiène c’est mieux avec un couvercle, pensait-elle. Elle avait allongé les jambes sous la table, sur la plage acrylique, les pieds posés sur une dune de carrelage. Le temps formait un nuage immobile. Elle allumait une cigarette en regardant sa collation, le soda était terminé, et les frites elle en avait assez. Elle avait repoussé le cornet à-demi vide. Il y avait les silhouettes des gens qui passaient, sans questions. Un œil à la montre, bientôt six heures du soir, il était temps de rentrer. Elle se leva et vida le plateau-repas dans la poubelle à côté des palmiers. Ca puait un peu, juste là, ici, avec cette poubelle. Petite moue et grimace tandis qu’elle s’essuyait précautionneusement les doigts.