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Billet de blog 12 mars 2025

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Les banlieues érogènes - Hélas Alice (8)

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Signal, arrêt de la rame. Elle bondit dehors dès l’ouverture des portes, haletante, agitée de hoquets. Elle se retourna. Et perçut avec effroi l’homme à la popeline bleue et à l’étui de flûte qui émergeait lui aussi hors du train, raide et tout en lenteur. Il avait dû la voir, il avait feint d’ignorer sa présence tout à l’heure dans la voiture, mais il avait dû la voir. Et là il sortait pour la traquer. Elle pressa le pas, glissant entre les gens, scrutant derrière elle par instants, pour surveiller. Elle marchait presque seule maintenant, dans le dernier couloir de faïence avant les escaliers et la sortie. Encore un regard tandis qu’elle gravissait les marches. Sa bouche se déforma en rictus. La popeline bleue était là, au pied des marches, le long étui fin s’était encore allongé, au bout de la main, battant le sol dans des reflets de métal menaçants. Il avançait lentement, reniflant l’air à plein nez devant lui, et rythmant sa marche de cliquetis secs sur le couloir en ciment.

L’objet résonnait en battant comme un métronome au bout du bras sous la lumière crue qui se mirait sur les murs de faïence, raclant en demi-cercles le sol et le bas des marches. Écarquillant les yeux, elle reconnut soudain la cause de sa panique montante. Une canne d’aveugle…

Tout ce qu’elle avait de rancune et de rejet trimballés inexpliqués depuis toujours au fond de la coquille dure du ventre s’effrita et fondit lentement dans un gémissement. Elle eut une larme soudaine comme on a ses premières règles à l’adolescence, avec un mélange de révolte et d’espoir. Il y eut un vertige, un éblouissement qui brisait tout – une farandole qui faisait danser les murs de la banlieue, qui faisait éclater les caisses alignées de l’hypermarché, qui soufflait d’un coup le visage acariâtre de la chef, qui effaçait les devantures des McDonald’s. Elle descendit de quelques pas, tendant la main. Elle dit – Monsieur, attendez, il y a des marches, là. Il ne répondit pas, il agitait sa canne devant lui. Elle ne savait pas quoi dire, elle n’avait jamais appris à parler, on ne lui avait jamais appris à savoir. Elle répéta simplement – Monsieur. Et elle lui prit le poignet. Alors, ensemble, prudents et étonnés, ils gravirent les marches à pas lents. Arrivés en haut, il dit – Merci... Depuis ce matin votre parfum m’enivre de ses courbes. Vous êtes sûrement très belle. Et il caressait les contours de son visage, à l’odeur, inspirant largement.

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