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Billet de blog 12 mai 2025

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Les banlieues érogènes - Les yeux overseas (17)

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Ils avaient obliqué sur la 34ème rue et marchaient vers l’est, vers le soleil qui perçait lentement les nuages. La 5ème avenue approchait et avec elle grandissait la flèche démesurée. Empire State Building. Un truc de fou, la grande roue, le train fantôme, le plus acrobatique grand-huit du monde. Une foire du trône toute entière condensée dans les étages successifs de granit. Ca claquait sec des semelles sur le 34ème, et lui, bavait d’une envie de gigantisme. Mais on ne rit pas avec l’Empire State Building. Et à mesure que l’ombre du titan grandissait sur l’asphalte, leur pas ralentissait. Ils s’étaient arrêtés, le nez au ciel et les yeux ronds, la bouche aussi. Prêts à gober les chiures des mouettes qui jouaient entre ciel et terre en frôlant le corps vertical du géant. Autour d’eux les new yorkais défilaient en mâchonnant des Dunkin Donuts. Il était dix heures du matin, le ciel était gris et l’Empire State Building les guettait, les regardait, dressait son mystère bienveillant. Il les voyait venir, les sentait près de lui, effarouchés. De sa voix vertigineuse, il murmura – Montez, c’est vous que j’attendais, précisément.

Ce fut elle, qui, d’une caresse de ses petits souliers, effleura la caverne de l’entrée. Une nef de marbre, de verre et d’acier. Du modern style par milliers. Et tout là-bas au bout des arches, se trouvait le mur des ascenseurs. Dix, quinze, ou vingt, on ne savait plus, et peu importait. Avec leurs horloges d’étages aux cadrans anciens et des chiffres jusqu’à cent. Cent deux étages au-dessus du dôme d’entrée. Il fallait payer. Le caissier devina qu’il s’agissait d’une paire de ces ‘froggy frenchies’. Il faut dire que ce n’était pas difficile à deviner, avec leurs bouches bée telles des grenouilles ahuries. Ils prirent l’ascenseur pour touristes, rapide, direct jusqu’au 86ème. L’ascenseur normal, quoi. Silence devant les numéros d’étage qui défilaient. Puis ils sortirent.

Elle avança dans l’ouverture à mi-chemin entre le béton et les nuages. Elle le tenait par la main, et lui aussi, Il la tenait par la main. Elle avançait et ses doigts temblaient dans sa main à lui. Et lui, il la suivait et son coeur battait. C’était une danseuse craintive et courageuse. Et ses cheveux volaient. Il n’y avait plus de murs, plus rien que New-York en buée à leurs pieds, et leurs corps étaient prêts à décoller. New-York City en éperons célestes maquillée de nuages gris.

Il regardait les ombres claires des buildings dans le lointain, et il regardait aussi l’ombre claire de ses yeux à elle qui cherchaient peut-être une réponse dans l’immenssité hérissée des doigts d’acier de la ville. Une réponseà quoi ? Il l’ignorait mais il savait qu’il avait une offrande à lui faire. Il lui dit – allez viens on y va. Elle répondit – mais non pas dejà. Il lui fit – chut, allez viens, tu verras. Ils reprirent la direction des ascenceurs. Et c’était pour aller plus haut encore.

Celui là, c’était un petit ascenceur, un truc amateur, on sentait la hauteur. Ils montaient dans le corps infini du building vers la flèche étroite, fine, et qui oscillait dans le vent. 102Éme étage, ils n’iraient pas plus haut. L’Empire State Building leur livrait l’ultime intimité de sa majesté. Cela faisait comme la rotonde d’un phare, un phare de quatre cetns mètres de haut. Il n’y avait plus de frontières et leurs lèvres se frôlaient, seuls dans la rotonde. Il y avait la soie de ses cheveux à elle entre ses doigts à lui. Il y avait la plus grande ville du monde à leurs pieds. Il y avait peut-être en elle la sensation d’être devenue la déesse de leur désir commun.

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