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Billet de blog 13 mai 2025

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Les banlieues érogènes - Les yeux overseas (18)

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De retour en bas, le plancher des vaches et des taxis les rendaient ivres de mauvais vin après le nectar des dieux. Quel potin ! Le ciel déjà gris s’assombrissait encore. Il était midi. De grosses larmes de pluie s’étaient mises à tomber. Ils se pressaient au coeur de la foule, rasant les murs et les gouttières. Ses longs cheveux collaient dans le dos. Ils marchaient sur la Cinquième Avenue vers Downtown, évitant les flaques, dans la moiteur et la chaleur qui montaient des bouches d’égouts. Comme par magie il était apparu des vendeurs de parapluies aux carrefours, des blacks hilares en baskets. Ils s’étaient abrités sous un bouquet d’arbres au bout de Madison Square Garden. Il y avait des marchands de cigarettes ambulants; et devant eux un étrange building triangulaire et en trompe-l’oeil, presque sans volume, un mur sans épaisseur. C’était le Flatiron, un édifice ancien, pas vraiment un gratte-ciel, vingt étages tout au plus. Elle entendait le chant triste de ses fenêtres anciennes, elle sentait frémir son échine sous le ballet régulier de la pluie, c’était un sans-abri qui raidissait ses étages sous les gouttes.

Ils avaient continué, encore trempés sous le ciel qui s’était peu à peu dégagé. L’eau et la chaleur du macadam fusionnaient en fumée blanche. Ils marchaient enlacés, au hasard dans le quadrillage des rues sans fin vers Downtown. Ils allaient comme des naufragés volontaires. Ils trversèrent Greenwich Village, puis ils obliquèrent vers SoHo, en zig zag dans les rues sans nom, dans le roulis des sirènes, dans les assauts jaunes des taxis. Ils riaient, main dans la main, égarés, sans attaches, grisés de béton. Il y avait un banc sur Washington Square et ils s’assirent. Ils avaient tourné en rond dans leur valse urbaine connue d’eux seuls. Maintenant ils se taisaient, écoutant la rumeur lointaine des rues. Ses petits souliers prenaient l’eau.

Ils étaient allés finir de se sécher dans un petit bar de la 10ème Rue, et en mâchant leur sandwich (thon, laitue, oeuf dur), ils s’étaient assoupis devant la fenêtre, contemplant avec paresse les voitures qui passaient en face, devant le Village Vanguard. Il lui parla de Charlie Parker, de Miles Davis, tous avaient joué là, là juste en face au Village Vanguard. Elle écoutait, et de temps en temps ses pieds chuintaient dans les petits souliers. Il était bientôt seize heures. Elle était fatiguée et voulait rentrer à l’hôtel se reposer un peu. Elle avait dit – si on prenait le métro, ça va quand même plus vite. Il sortit un plan humide de la poche de son pantalon et ils se mirent à chercher quelle ligne ils prendraient. Elle regardait la carte du métro, accoudée à la table, la main sur le menton et ses cheveux encore filasses de pluie, ses longs cheveux si doux. Elle disait – tu vois là c’est la ligne jeune qui descend puis qui refile vers le haut. Il répondait- mais non allons, tu vois bien qu’elle file vers le Bronx, elle passe pas à Times Square. Elle fit la moue, pour une fois qu’elle avait une idée question orientation (c’était à décourager les meilleures volontés). Il finit par s’y retrouver et au bout de quelques instants ils s’engageaient sous terre, tels des spéléologues. Ici les bouches de métro  c'était pas comme à Paris, c’était tout étroit.

Ca sentait la flotte, c’était une marée d’odeurs rances. Il y avait des poinçonneurs mais pas de lilas. Des jetons en cuivre pour passer la portillon, des antiquités, et ils nageaient en plein Mad Max. Terminator tout le monde descend. Il y avait une plaque grise et bleue- 12th Street. La station suintait et les rails luisaient d’humidité. Ici il pleut même sous terre. Et le long du quai se tenaient d’étranges cages- At off hours please stay in that restricted area. Aux heures creuses on est prié de se tenir dans la cage. Parce que – you know New-York City is the place where, hi babe you can take a walk on the wild side.1 La face cachée des gratte-ciels et la lumière qui flanchait sous les voûtes des plafonds déglingués. Dans leurs veines en alerte s’injectaient les hymnes vicelards du souterrain de velours. De la poésie pourrie. Le train soufflait au loin en résonnance dans le boyau sous terre. Ca avait claqué sec à l’ouverture des portes et ils étaient montés. Il se cala près d’un grand Noir costaud. Il se disait que ça valait mieux. Prudence. Emportés par le train, ils étaient en attente dans l’espace clos. Ca filait dans les veines de Babylone.

1 The velvet underground

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