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Billet de blog 14 mars 2025

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Les banlieues érogènes - Les yeux overseas (2)

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Ce fut un réveil fiévreux empli d’une joie empressée. Un réveil comme il y avait longtemps, quand il était enfant, le jour du départ presque secret des vacances, en silence. C’était aux aurores, et, sa mère penchée sur le lit lui secouait doucement l’épaule. Il avait sept ans, ou huit, ou neuf. Il faisait si bon dans le lit. Il sortait du sommeil et l’idée du voyage s’éveillait avec lui. D’abord confuse, puis ciselée, tandis que sa mère lui chuchotait à l’oreille les mots du départ. Il passait un pull léger, un pull pour le petit jour, puis, les yeux encore endormis mais l’esprit tout vibrant, il avalait le bol de chocolat dans la cuisine éclairée. Son père allait et venait dans le couloir, s’occupant des derniers préparatifs du départ. La veille au soir, le père avait « chargé » la voiture, plaçant les bagages dans le coffre, trouvant la meilleure combinaison pour caser les valises. C’était un travail savant, auquel il avait assisté bouche bée, studieux et transporté. Dehors, les réverbères veillaient encore alors qu’il sortait avec sa mère à pas de loup, elle l’entraînait par la main dans l’air frisquet soudain. Vite, à la voiture… Il sentait la chaleur de leur corps unis en ce petit matin. La voiture attendait, son père au volant. Ils partaient sur la route déserte, fuyant la grisaille pour le soleil magique des vacances d’été, là-bas quelque part au bout de la journée de voyage. La veille au soir son père lui avait dit – Demain nous partons à cinq heures du matin – et il avait souri devant les yeux émerveillés de son enfant. Et là, blotti dans la torpeur des vitres arrière de la voiture qui démarrait, il n’y avait plus de temps. Ils partaient.

25 août 1989. Ce fut un réveil fiévreux empli d’une joie empressée. Hier, il avait « commandé » un taxi. Elle se préparait. Lui, il avait fait vite, et il guettait par la fenêtre. Cinq heures trente du matin, les bagages dans l’entrée, deux grands sacs remplis à bloc, et un autre plus petit qui dépareillait. Le sac avec ses affaires mystérieuses, à elle, un sac et un trésor privés qu’il n’oserait jamais ouvrir. Elle était lente à se préparer. Bon sang qu’elle était lente ! Mais qu’est-ce qu’elle fabriquait ? Il tapait nerveusement contre la porte de la salle de bains – Hurry up ! Elle sortait, si lente, si belle, et si surprise de son inquiétude. Elle avait dit – le taxi n’est pas encore arrivé, OK ? – Oui, OK, mais il pourrait être arrivé que ce serait du pareil au même. Mauvaise foi de gamin tant grincheux qu’enthousiaste. Elle ne répondit pas. Il n’empêche, c’était une histoire sérieuse, ce départ. Et elle n’avait pas l’air de s’en rendre compte, elle lambinait, se faisait belle, comme si chaque minute qui passait n’avait pas d’importance. Incroyable, tout bonnement incroyable…

Une lueur de phares dans le jour naissant annonçait le taxi. Il avait bondi – Allez vite, viens ! Un dernier rituel rapide pour vérifier, les passeports, les billets, les coupons. Elle portait un jean et une veste légère de coton, vert d’eau, sur laquelle ses longs cheveux d’ambre se déroulaient dociles. Il ouvrit la porte de l’appartement, saisissant les deux gros sacs à pleines poignées. Elle avait dû courir un peu derrière lui dans le couloir vers l’ascenseur. Taxi, 6h00. L’aventure commençait sur le bitume ordinaire, aux places arrière. Il avait dit Orly-Sud. Elle avait les mains serrées sur les genoux, elle dormait encore un peu. Et pourtant. Et pourtant elle s’en allait avec lui, loin. Elle ne regardait pas par la vitre, il y avait trop de nouveautés. Elle s’en allait, accompagnée, aimée. Il y a deux mois elle s’était éveillée dans sa chambre aux murs éteints. Elle était aide-économe, quelque part en Savoie dans un lycée ancien. Il n’y avait rien et elle n’espérait rien. Puis ce jour-là, il y a deux mois, il y avait eu ce coup de téléphone. Et ils s’étaient revus peu après à Dijon, à mi-chemin entre Paris et la Savoie. Après une longue séparation. Et aujourd’hui, dans ce taxi, elle partait pour un monde qu’elle ne connaissait pas. Très loin, en s’éveillant à la vie, enfin. Un avion attendait, pour elle.

Ils croisaient et dépassaient quelques rares camions sur l’A86 à hauteur de Rungis. Puis le taxi filait sur la bretelle de sortie, et c’était la dernière ligne droite. L’aéroport était là avec ses lumières dans le jour timide. 6h15, le taxi avait été rapide. Les sacs posés sur le trottoir étaient gonflés d’espoir. Il cherchait un chariot, un engin à roulettes délicieux, qu’on pousse devant soi, nonchalant, en cachant son bonheur. Ils entrèrent. Il y avait déjà la queue au comptoir, et l’enregistrement n’avait pas encore commencé. C’était un vol charter. Ils prirent leur place au bout de la file d’attente. Il y avait des gamins énervés et des parents qui se voulaient blasés, mais on voyait bien qu’ils étaient eux aussi chavirés d’excitation, à l’intérieur. Elle regardait les deux grands sacs pleins à craquer posés sur le chariot. Il y a quelques minutes, en entrant dans l’aéroport elle avait vu un petit foulard fuchsia en devanture d’une boutique. Ça lui avait tapé dans l’œil, une coquetterie. Elle lui dit – Tu crois que j’ai le temps de me payer une petite fantaisie ?Houlà que oui, avec tous ces gens devant nous, t’as même le temps de dévaliser toutes les boutiques. Elle s’était alors éloignée, le laissant dans la file d’attente, à l’aventure vers les boutiques, avec un regard en arrière pour être sûre qu’il était toujours là. Ça bougeait un peu, là-bas en tête, près du comptoir. On commençait l’enregistrement des billets et des bagages.

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