Il avait dit que c’était sur la rue Guy, que c’était l’hôtel Maritime, et qu’en principe on ne pouvait pas se tromper, vu que les rues étaient toutes à angle droit et à sens unique. Cette théorie géométrique la laissait perplexe. Elle avait l’index pointé sur la rue Guy, plan en alerte. Elle suivait l’itinéraire centimètre par centimètre sur la carte, commentant avec précision chaque hectomètre qui passait. Il était rasséréné – Ah, tu vois quand tu veux, alors on est où là ? – Là, on est sur la rue Sherbrooke street – Sur la rue Sherbrooke street ? – Ben oui, pourquoi, c’est pas ça ? Si, c’était bien ça. Et quelques minutes plus tard, la petite rouge se garait le long de la contre-allée de l’hôtel Maritime. Arrivés. Crevés. Un coup d’œil à la montre, il était quatorze heures, vingt heures en fait, pour eux. Pas étonnant qu’elle ait eu un léger bâillement en descendant de la voiture. Le temps semblait tout mou. Elle avait dit ça. Il l’avait embrassée. Ils pénétrèrent dans le grand hall.
Réservation – Bienvenue – Le parking ? – Au sous-sol, carte de crédit ? Visa – Deux nuits ? – Oui, c’est ça – Chambre 1214, l’ascenseur est au bout du lobby – Merci – Bienvenue. Un instant plus tard, dans l’ascenseur, il avait eu envie d’elle. Mirabel, si belle. Mais ils n’étaient pas seuls. Elle observait attentive les degrés lumineux qui s’affichaient en montant. Douzième étage, début du voyage, on dégage les bagages. Il y avait même un minibar, quel panard. Elle se réfugia dans la salle de bains, une cigarette aux lèvres, vidant les trousses de toilette comme s’ils allaient rester un siècle. Il était sur le lit, main croisées sur le crâne, calé sur l’oreiller, regardant la télé. À travers les rideaux, les murmures de la ville fêtaient leur arrivée. Il pensait – chambre 1214 – comme la bataille de Bouvines, avec Philippe II (dit Philippe-Auguste). Marrant comme truc. Il lui lança ça à travers le mur entre deux pubs sur l’écran du poste. Elle dit – Quoi ?! – 1214, Bouvines ! Et alors ?! Il fit le plein d’air puis articula, criant presque – C’est parce qu’on est dans la chambre 1214, comme Bouvines 1214, rigolo non ?! – Ah oui ? … eh ben dis donc…
Elle peaufinait un trait de rycil devant le miroir de la salle de bains, puis elle sortit. Elle portait un léger chemisier de coton blanc. Elle le regarda, et ses yeux étaient empreints de gravité sous le maquillage discret. À quoi cela lui servait donc, à ce type-là, de savoir 1214 et des trucs comme ça ? Cela ne lui suffisait donc pas de l’aimer, de l’aimer elle ? Elle s’assit sur le lit près de lui. Elle s’étendit. Il y avait son parfum. Il approcha. Lentement il la frôla, presque à distance. Il la contemplait, elle se laissait regarder. Ses lèvres approchaient de son cou à elle, et au creux de l’oreille il lui chuchota – Mirabel, si belle. Puis la télé continua à phosphorer de toutes ses couleurs NTSC (1) tandis qu’ils s’aimaient. Il crut qu’elle avait eu un orgasme plus grand que ce ciel sans fin qu’elle découvrait. On ne sait jamais. Elle se coula sous les draps, et ses longs cheveux s’étalèrent en arabesques sur sa joue assoupie. Il était cinq heures du soir. Les gens sortaient des bureaux et l’été finissait en feu d’artifice sur les trottoirs. Le soleil était en flammes sur la rue Sainte Catherine (street).
1NTSC : standard de codage vidéo en Amérique du nord et dans une partie de l’Amérique du sud, parfois appelé humoristiquement « Never Twice the Same Color »