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Billet de blog 25 mai 2025

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Les banlieues érogènes - Passeport en larmes (3)

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Il avança, montrant sa valise à un type posé devant le tapis roulant d’un de ces engins, en demandant à mi-voix - « Check ? security ? ». Le mec, avec une moustache et une peau de bronze, le regardait sans réponse. Il avança encore - « Check ? Are you the security check ? ». Pas de réponse. Il sourit au mec : « Check ? ». Le moustachu cuivré leva simplement les yeux en répondant « Blitish Ailways ? ». Ah non, c’était pas ça, lui c’était Air France, et il articula bien à fond en disant ça. Le type le fixa en répétant son truc, « Blitish machin ». Bon, inutile d’insister avec ce mec et il s’éloigna avec sa valise-check. Il y avait d’autres cubes à rayons X, ces machines comme des tanks à tapis roulants. Il allait de tank en tank, montrant ses bagages. Air France?Check ? On le rabrouait mollement, on l’ignorait, au mieux faisait-on à son endroit un vague geste vers une machine ou une autre.

Il était là à piétiner en rond comme un derviche tourneur, les bagages à bout de bras, cherchant son tank à lui. Les rayons X pour Air France, c’était où ? Il allait de gauche à droite et sa valise pesait. Ses jambes raides dansaient une valse-hésitation sur la gomme molle du sol. Ce fut par hasard qu’il aperçut une petite affiche collée sur une des machines : « Air France passengers proceed to Malaysian Airlines for security check ». Retour au centre stratégique des machines, au centre des rayons X. C’était déjà plus clair. Malaysian Airlines c’était un bon indice. Et en effet, au bout de quatre ou cinq arrêts à questionner et à montrer ses bagages, il trouva. Les fameuses malaisiennes. Ouf ! Il laissa tomber sa valise et son bagage à main le long des rouleaux, qu’il avait désigné du doigt tendu avec un large sourire : « Air France ». Le bagage à main, quelle erreur. Le gardien du tank s’égosilla « Handglugglage off ! Hein ? Handglugglage off ! ». Il comprit qu’il fallait le reprendre « Ah yes, hand luggage, yes bagage à main ». C’était un rayon X anti bagage à main de toute évidence. Ça cahotait à la sortie de la chenille dans le croupion qui recrachait les bagages. Il y avait un autre type pour tamponner et étiqueter. On lui colla une étiquette Malaysian Airlines sur la valise. Il expliqua que non, non lui c’était Air France. Paf, l’étiquette Air France se colla à côté de la malaisienne. Il valait mieux avoir deux autocollants que rien, non ? Il reprit la valise et s’éloigna sous le souffle des ventilateurs. Mais était-ce bien prudent cette étiquette en double ? Il s’agenouilla et décolla le sticker malaisien. On ne savait jamais. Maintenant ça y était il était paré pour embarquer. En règle.

22h15, les guichets d’Air France venaient d’ouvrir, il était parmi les tout premiers. Semelles conquérantes sur le caoutchouc, il approchait des comptoirs., quand soudain une voix glapissante le héla – « sir, sir airport tax ». Il se retourna, un type derrière un stand façon tombola lui faisait signe. Il approcha, expliqua que la taxe d’aéroport était incluse dans le prix du billet. Mais rien n’y faisait et le type insistait avec son airport tax. Alors il paya, le type lui donna son billet de tombola, et il retourna au comptoir d’embarquement. Trois minutes plus tard il posait sa valise sur la rampe d’accès des bagages et il étalait tous ses papiers sur le rebord du guichet. Billet d’avion, passeport, taxe d’aéroport. Quoi encore ? Non, rien, c’était tout, c’était bon. Il avait placé sa valise de façon que soit bien en évidence l’étiquette et le tampon du « security check ». Il ne s’agissait pas de se faire renvoyer dans la queue des rayons X pour cause de tampon trop discret. Et il attendait bien sagement les coudes sur le comptoir que le type en face finisse de trifouiller dans ses tiroirs. Un type en turban, moustache en arabesque, cravate noire et chemise blanche, un maharadjah des guichets d’embarquement.

Là aussi ce fut long. Il y avait des problèmes avec l’imprimante pour les cartes d’accès à bord. Il avait précisé que son bagage devait être enregistré jusqu’à Genève, ok ? Ok avait répondu le maharadjah, et il lui avait tendu deux cartes – Delhi-Paris, et Paris-Genève,, avec le coupon pour le bagage en soute collé sur le billet. Et une étiquette (encore) pour le cartable qu’il avait en bagage à main. Décidément ils aimaient les étiquettes par ici. Tout était enregistré, ça allait.

Il n’avait plus qu’à flâner quelque temps avant de rejoindre les guichets pour la zone internationale. Il lui restait un bon paquet de roupies, et il vit en marchant dans le hall qu’il y avait des guichets de banque où on pourrait les lui changer contre des dollars. Quatre guichets de la Bank of India. Ma foi, ça valait le coup, il lui restait environ 3000 roupies, ça faisait – voyons – divisé par 5 moins un petit chouia, eh oui 500 francs, pas loin de 100 dollars. C’était pas rien. 22H45 devant le guichet de banque, il sortit sa liasse de billets, épaisse comme un petit sandwich, et la posa en face du mec derrière la vitre. Le type lui expliqua que c’était trop. C’était trop ? Comment ça c’était trop ? « Yes, yes, only 1000 roupies – But I have 3000 roupies voyez-vous ». Le type lui expliqua une question de règlement - « I will have problems, problems ». Le type levait les yeux au ciel comme si Vishnou allait lui tomber sur la tête. Il changea donc 1000 roupies, puis glissa au guichet voisin où il fit de même. Et un troisième et dernier guichet, le tour était joué. 23H00, il avait encore le temps, mais il n’y avait rien à voir et rien à faire, même pas un troquet. Il prit le temps d’une cigarette rapide, puis avança vers la zone de contrôle des passeports.

Il se plaça au bout d’une file d’environ de dix mètres de long. Il y avait de tout, des familles, des gens seuls, des costards, des blue-jeans, des saris, des turbans, des moustaches. Certains partaient, d’autres rentraient. Il estima le temps qu’il lui faudrait attendre. A deux minutes par passeport, ça faisait environ trente minutes. A la louche. Il fallait saupoudrer ça d’un zeste de lenteur et de quelques aléas, allez disons quarante cinq minutes. Ça allait. Il cala son cartable entre les jambes sur le sol de caoutchouc, prenant patience. Au comptoir, un mec en costard cravate épluchait les passeports des voyageurs. Dans les autres files aussi on patientait. De temps à autre il avançait d’un pas, poussant son cartable du pied. Les ventilateurs soufflaient, les gens suaient, les billets d’avion éventaient les visages, les passeports collaient entre les doigts. C’était plus long que prévu. Déjà trente minutes d’attente et la file était encore longue. Le mec en costard cravate tamponnait d’un air soupçonneux, vérifiant chaque page sur les passeports, examinant la moindre ligne, la moindre lettre. Et c’était long, mais que c’était long.


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