Les heures passaient dans la nuit. Inde du nord – Pakistan – Afghanistan – Iran – Turquie – Bulgarie – Hongrie – Autriche – Allemagne – et France, enfin. 9H30 de vol. L’Anglais causait, une histoire de plomberie défectueuse dans la chambre de son hôtel, d’un air sérieux avec son accent d’Oxford et son humour so British. Ils riaient tous deux, complices éphémères dans le zinc qui filait. Puis ce fut l’heure du repas et chacun mastiquait en silence, le regard plongé sur le plateau-repas. Il se leva, priant son voisin de bien vouloir l’excuser. Il allait aux toilettes. Et il fit un clin d’œil au Britannique, levant un index professoral, et blagua : « There’s no plumbery in the plane ». Son voisin éclata de rire. C’était de l’humour anglais.
A son retour des toilettes, l’avion dormait. Il venait de repasser sa montre à l’heure européenne. 4h30 en moins Même le décalage horaire était mal aligné dans ce pays. Il était 5h00 du matin heure française et le commandant de bord annonça que l’avion avait comblé une partie de son retard, et l’arrivée était prévue pour 06h45. Ce serait néanmoins trop court pour sa correspondance Paris-Genève de 07h15. Il en avait avisé une hôtesse. Il n’y avait pas de problème, il n’aurait qu’à se présenter au comptoir des correspondances à Roissy et on lui réserverait une place pour le vol suivant. Pour son bagage en soute, c’était pareil, tout serait fait automatiquement, il n’avait pas à s’inquiéter. Il remercia l’hôtesse en pensant que, quand même, c’était une belle chose l’organisation occidentale. Il imaginait la situation en sens inverse, s’il avait eu une correspondance à prendre à New Delhi. Ça aurait été un coup à tourner deux jours en rond à la recherche de sa valise dans l’aéroport.
Les premières pâleurs du jour avaient succédé à la nuit et l’avion était en phase d’approche finale au-dessus de Roissy Charles de Gaulle qui brillait de mille feux. Ça y était, c’était la fin du voyage. Il y eut le choc des roues sur la piste, le tremblement des passagers secoués sur leur siège et le freinage puissant qu’on sentait dans le ventre. L’avion roulait au ralenti sut le tarmac dans un dernier pavanement des ailes. Terminal 2, satellite 2A, celui des longs courriers, Los Angeles – Tokyo – Hong-Kong. Et New Delhi. Le parking des Boeing 747 et des Airbus 340. On était arrivé. Ils ne se dirent pas au-revoir, lui et l’Anglais. C’était comme ça. Même s’ils s’étaient confié l’un à l’autre dans le cocon du zinc, ils se séparèrent sans un mot. C’était comme ça. On avait refermé le livre et chacun retournait à sa vie. Il marchait dans le boyau qui reliait le fuselage à l’aérogare, cartable à la main, les yeux fixés sur ses chaussures. Il faisait froid et humide, le ciel était gris, encore à demi dans la nuit.
Explications souriantes de la jeune femme au comptoir des correspondances. Carte d’accès à bord pour le vol Paris-Genève de 10h00. Vérification pour le bagage en soute. C’était OK. Avec en prime un coupon gratuit pour un petit déjeuner. C’était normal, c’était pour le retard. Quel délice d’être ainsi chouchouté après ces jours passés la-bas dans cette fourmilière d’individus indifférenciés. Il prit la navette vers le terminal 2D, celui pour Genève. Il avait du temps à tuer avant le dernier saut de puce dans les airs, avant de retrouver son petit loup. Les boutiques venaient d’ouvrir et les premiers cafés du matin fumaient dans les tasses sur les tables des snack-bars. Il entra dans un de ces bars et commanda un double expresso, en sortant une cigarette du paquet. Après tout ce temps de privation dans l’avion, il avait hâte de sentir le goût de la cigarette se mêler à la brûlure du café dans la gorge. 07h15, un soleil blanc sortait des nuages par delà les baies vitrées du terminal 2D et ses paupières lourdes voilaient son regard, le happant dans la somnolence. Il était encore trop pour téléphoner, pour appeler chez lui et dire à celle qui l’attendait qu’il était bien arrivé. Il se voûta sur son siège, le sommeil le gagnait. Il fallait résister.
08h00, il y avait un groupe de cabines téléphoniques au fond du hall. Il se dirigea vers l’une d’elles, posa son cartable au sol et empoigna le combiné. Il y eut deux sonneries, puis la voix qu’il aimait se fit entendre à l’autre bout du fil. Un allô encore ensommeillé. Il parlait à voix basse, disant qu’il était bien arrivé à Paris, qu’il y avait eu du retard sur le vol, mais qu’il serait là vers midi. A tout de suite. Je t’aime. Je t’aime, en écho au bout de la ligne. Il n’avait pas été bien long, mais cela n’avait pas d’importance, il ne restait que quelques heures avant les retrouvailles. Il jeta un regard à la ronde, il y avait un bar confortable pas loin et ce serait parfait pour attendre. Sur les panneaux d’affichage on pouvait lire – Strasbourg – Francfort – Toulouse. Tiens curieux ça, rien que des villes où l’on fabriquait des saucisses. Il se disait ça en entrant dans le bar. Il tendit son coupon pour le petit déjeuner offert par Air France : « Un chocolat tartine et une petite bouteille d’eau, s’il vous plaît ». Il anticipait le goût du pain beurré trempé dans le chocolat chaud.