Aujourd’hui c’était plage. Fébrile, enfin, je veux dire tout énervé, j’avais enfourné à la hâte maillot, serviette, masque, masque, tuba, et tout le toutim, dans un sac, avant de dévaler les escaliers, résolu comme un missionnaire qui part à la découverte de contrées inconnues dont il pourra évangéliser les primitives peuplades toujours pas rentrées dans l’histoire.
Je vous passe le pénible épisode du transit, je veux dire du trajet, pour vous mener directement sur les lieux.
Pour commencer, je me suis rendu à la mairie de la balnéaire station, afin de faire viser ma pièce d’identité et d’obtenir en retour mon certificat d’accès à la plage accompagné d’une plaque portant mon numéro. Celle-ci m’expliqua le préposé devait impérativement être disposée, bien en vue, vous m’entendez ?, bien en vue sur la serviette. Ce numéro unique d’identification m’était attribué pour la saison, il m’était interdit de le céder ou le prêter à quiconque. Au terme de la période, il serait obligatoirement restitué sous peine d’une amende motivante fixée à 1000 €
Le nombre d’ouvertures ayant été limité par la clairvoyance préfectorale, la plage était très fréquentée.
Déployant ma serviette, je constatais, rassuré que l’ensemble des citoyens présents se comportait de manière responsable et obéissante, chacun portait son masque, et toutes les serviettes alignées comme à la parade portaient leur numéro.
Plus rassurant encore, deux gendarmes patrouillaient de long en large sur la dune, et dans l’azuréen ciel printanier, le doux zonzonnement du drone de surveillance troublait à peine l’idyllique tableau.
Un hélicoptère, et un semi rigide complétaient le dispositif, rassuré, je l’étais, et surtout il me plaisait qu’un gouvernement efficace misse autant de compétences et de moyens au service du bien-être des citoyens.
Menotté à un radiateur, j’attends à présent d’être fixé sur mon sort. Un léger mal de crâne consécutif à une subreptice rencontre avec le tonfa d’un membre de l’équipe de surveillance me vrille le crâne.
Endormi sur ma serviette, je n’avais pas entendu l’avertissement du drone qui m’intimait de quitter les lieux à l’expiration du délai légal de 20 minutes. M’étant ainsi mis hors la loi, mais surtout coupable d’avoir attenté à la santé et la sécurité de mes concitoyens, mon affaire était grave. Un tel cas d’insoumission et de rébellion recevrait une sanction à la hauteur.
Brest, le 15 mai 2022
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