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Billet de blog 11 janvier 2015

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A QUOI TENONS-NOUS?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En guise de voeux ces quelques réflexions pour poursuivre…après les manifestations, marches et rassemblements. Nous avons ressenti le besoin de nous rassembler car nous nous sommes sentis blessés et que le  besoin de société, de simple humanité, au-delà du  nécessaire hommage aux victimes de l’intolérance meurtrière, est devenu évident pour beaucoup,  avec une certaine fierté retrouvée de panser ensemble notre blessure. Vient le nécessaire moment de penser et débattre de l’avenir.

On ne se rend compte de ce que l'on a de plus précieux que quand on risque de le perdre..c'est bien ce qui nous arrive. Des dangers nous guettent, les divers retours de la haine s’annoncent déjà, mais avant tout un élan  républicain est donné, nous nous sentons  poussés  par quelque chose qui nous dépasse, un sursaut de dignité et de fraternité qui prouve un désir d’agir, d’aller de l’avant ensemble. Pas de terreur mais de la peur oui, car tout cela fait effectivement peur, ne le nions pas; ne nions pas non plus le sentiment de haine que nous éprouvons face à la haine déchainée. La haine réveille la haine…et  la volonté de maitriser cette peur et cette haine doit être la  plus forte. Il y faut le courage, c’est à dire la peur surmontée, un courage guidé par la conscience des enjeux et des devoirs que nous avons par rapport à ce que nous avons en commun et de plus précieux. Reste à définir ou plutôt à redéfinir ce bien commun que nous avions oublié et qui se rappelle à nous de si horrible façon. Cet élan qui nous a poussé à nous rassembler et que  ça a un nom : le peuple ou tout au moins le désir de  peuple, ce mot que certains ne supportent pas le recouvrant sans cesse du qualificatif infamant ( à leurs yeux) de « populisme » 

Alors ensuite 2 questions se posent:

1° Des responsables politiques, des leaders d'opinion, anciens ou nouveaux, et toutes les consciences  éveillées, sauront-ils traduire ce sursaut et cet élan en une dynamique, en quelque chose de durable et de constructif? Il est permis de l'espérer, mais c'est loin d'être sûr. 

Autrement dit,  sortis de l’engourdissement dans lequel nous étions, sortis du fait même de ce sursaut (que tout le monde remarque avec étonnement alors que c’est tout naturel : déjà cela devrait nous interroger), allons-nous retomber dans le même engourdissement , ou pire dans la torpeur? Allons-nous replonger dans la sidération de ce spectacle que nous nous donnons à nous-mêmes et surtout que l’on met en scène de nous-mêmes par le biais de la télé et d’internet, etc.? Problème psycho-politique et anthropo-technique.

2° Désir d’agir certes mais pour quoi faire? Que faut-il défendre ou reconquérir? Que faut-il conquérir de nouveau? 

Continuer le combat dit-on mais contre quoi ( et contre qui ) et pour quoi ? Qu'est-ce qui est sacré pour nous? Sommes-nous si sûrs de partager aussi largement ce que nous devons défendre et préserver avant tout? Sommes-nous si sûrs de tenir tous à ce qu’il existe des choses qui sont de l’ordre du  sacré, que nous soyons incroyants, comme je le suis, ou pas? Quel sacré  défendrions-nous alors et avec qui? Ces "valeurs" dont on nous rebat les oreilles sans les définir, ce qui est mortifère car cela dévalue le mot même qu’on répète comme un mantra, ces valeurs,  quelles sont-elles pour nous? On parle beaucoup de liberté en ce moment, c'est bien normal, liberté de presse et d'expression,  droit d’insolence, de moquerie, liberté de conscience… tout cela a  été bel est bien attaqué. Mais de même que nous refusons dans l'ordre socio-économique et au nom de l’égalité, ( bien faiblement il faut le dire), la liberté du renard dans le poulailler, nous revendiquons dans l'ordre symbolico-politique l'égalité de tous, l'égalité des droits; il y a des lois; l'état de droit est là pour cadrer, border ces libertés si chères, sinon nous tomberions dans la guerre des libertés particulières, toujours meurtrières. Rappelons-nous que le fou est le plus libre des hommes; mais que fait-il le pauvre de cet excès incessant de liberté sans frein? Il en crève on le sait, bien plus souvent qu'il ne tue. La liberté de penser, de critiquer, d’imaginer, certainement, mais cela n’ a jamais voulu dire faire tout ce qu'on veut et dire n'importe quoi, nous le savons bien puisque c’est encadré et susceptible d’être puni par la loi. 

Alors quelle liberté? La liberté, c'est la liberté de faire, celle de ne pas faire...mais faire quoi ou arrêter de faire quoi? C'est là que ça discute, que ça délibère, que ça polémique, que ça légifère...au risque que la raison soit parfois minoritaire, et cela en toute fraternité frictionnelle . Alors, il me semble qu’il ne faut surtout pas dissocier la liberté de l’égalité sans quoi la première ne vaut plus et ne signifie que la loi du plus fort. Un autre problème se pose ; faut-il dissocier ou  opposer le combat contre les inégalités économiques à celui de la défense de l’égalité politique, celle des droits égaux de tout citoyen? Evidemment non, la république est toujours à toujours à réaliser davantage, c’est une conquête jamais finie; en cela elle est la condition de la république sociale. 

Quant à la fraternité n’oublions-pas que dans notre pays elle aussi est universelle, c’est à dire qu’elle se fonde sur la raison et concerne tous les êtres humains sans exception autre que les ennemis déclarés du genre humain ou d’une partie du genre humain; ça n’a donc rien à voir avec la « fraternité » des « Frères musulmans »qui réservent eux le qualificatif de frères aux seuls coreligionnaires.

Enfin un principe fondateur est peu souvent évoquée (et pour cause, en ces temps de mondialisation forcenée), alors que c’est celui qu’à mon sens vise aussi les passages à l’acte meurtriers c’est celui de laïcité (la vraie bien sûr, et non celle qu'on dit  "ouverte" pour mieux la liquider!) laïcité, qui tout en protégeant la liberté de conscience, en borne l'exercice à la sphère privée, et lui interdit de déborder sur l'espace public , celui du politique et de la politique. Cette laïcité qui est, faut-il le rappeler, une exception française, c'est bien pourquoi beaucoup de bons esprits entendent la modifier, la "toiletter" comme si elle était sale, comme si on devait en avoir honte. Régis Debray rappelait hier à une radio cette évidence et  il ajoutait qu'il fallait voir certaines réalités en face: dans la grande majorité des pays la  laïcité, est  soit combattue, soit incomprise et déformée, Dans la langue arabe par exemple le mot n'existe pas et le mot qui le "remplace" c'est le mot athée! Eh oui! les cultures ont des différences parfois notables, c’est un vrai problème en soi et il ne faut pas le gommer. D'ailleurs il serait intéressant de faire l'enquête dans bien d'autres pays  et régions du monde pour voir comment est traduit, ou pas, notre beau mot de laïcité. 

A cette occasion allons-nous sortir un tant soit peu de l'unanimisme du "village global", qui favorise si bien l'exceptionnalisme du pays qui domine (pour combien de temps?)  notre bel occident?  Ce qui nous arrive est l'occasion de revendiquer notre originalité française, nos singularités et peut-être à travers ça d'ouvrir la voie à la réinvention d'un autre occident, un occident renaissant, loin de tout exceptionnalisme ou  suprématisme plus ou moins masqué, un occident résolument  plus pacifique, moins arrogant, plus créatif aussi. 

Je ne crois ni dans le « village global » version américano-occidentale, ni dans la version bisounours d’un monde pacifié par les noces de la libre concurrence et de « valeurs » de bien  basse intensité  spirituelle comme le «vivre-ensemble», « le respect du à autrui», tout cela  dans la circulation accélérée des hommes, des armes, de la drogue …et des capitaux.  Je sais bien qu’il n’y a pas que cela qui circule, mais pour combien de gens, pour quelle fraction privilégiée d’entre nous.Ceci nous ouvre à la question d’une autre exigence fondatrice et  que nous avons délaissée, un principe que le discours dominant ne cesse de  dénier (par l’étiquette péjorative et sournoise de « souverainisme »); je veux parler de  la souveraineté,  qui est la base, la condition sans laquelle les mots de Liberté, Egalité, Fraternité et Laïcité sont des outres vides, souveraineté sans laquelle aucune politique alternative n’est possible aussi bien dans le domaine économique que dans celui des choses de l’esprit, choses que nous avions un peu oubliées (euphémisme) mais dont  la réalité récente, tragique, nous montre l’absolue nécessité.

 On ne peut se passer de « crédo » . La raison est indispensable mais elle ne suffit pas à l’homme. Nous avons  besoin de croire, d’espérer, d’imaginer, d’inventer l’avenir en nous appuyant sur les épaules de ceux qui avant nous ont bâti ce que nous avons le devoir de préserver et de développer. Mon crédo est politique, laïc  et républicain et je pense qu’il peut être assez largement partagé! En tout cas c’est déjà une base, autour de laquelle on peut se rassembler et débattre  dans la pluralité de nos approches, pour peser sur les choix politiques de nos représentants quels qu’ils soient. 

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