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Billet de blog 1 juin 2021

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Être ou ne pas être, cholestérol or not cholestérol  !

Avez-vous remarqué que le risque d’accidents, en voiture, augmente au fur et à mesure que l’aiguille de votre compteur de vitesse se dirige vers le droite ? Peut-être devrions nous mettre un frein sur cette aiguille pour sécuriser la circulation ? C’est l’idée saugrenue qui m’a parcouru récemment suite à un appel téléphonique.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est vraiment désagréable ce genre de coups de téléphone en début de soirée. Allô ? je suis bien chez M. Strauss ? Je suis le Docteur X du CHU de Y je vous appelle suite à votre accident cardiaque au mois d’avril. Oui…. ? Je réponds avec méfiance devinant déjà où veut en venir ce docteur que je devine jeune à la voix.

La suite me donne raison : Avez-vous revu votre cardiologue ? A-t-il revu votre traitement pour le cholestérol ? Évidemment, je l’ai revu. Si je peux allonger un peu mon espérance de vie je suis preneur. Mais alors là, le cholestérol, à chaque consultation, à chaque hospitalisation, c’est une obsession. La Solution : il vous faut prendre une statine à tout prix et plus particulièrement une qui n’est pas reconnue comme la plus probante dans les revues de pharmacologie. Si vous ne prenez pas ça c’est que vous êtes stupide, coupable avant d’être un homme mort ! Je ne supporte pas les statines du fait d’une neuropathie dont les symptômes s’exacerbent terriblement en 2-3 jours de ces traitements. Ça leur est insupportable que je ne puisse avaler leur atorvastatinei. Ça les contrarie plus que moi. Le premier concerné dois-je le rappeler ?

J’ai pu parfois ressentir l’impression d’être un coupable à l’interrogatoire. Couché dans mon lit, ce jeune docteur debout en position dominante, me prenant pour un imbécile, roulant ses mécaniques devant l’infirmière et racontant n’importe quoi pour que je prenne sa Statine. Il ne veut pas m’écouter, pas discuter des avantages et inconvénients. Je m’aperçois que la raison principale est qu’il n’a pas lu lui-même les études. Il répète ce qu’il croit devoir répéter et ne sait pas de quoi il parle.

La solution, c’est donc « le traitement du cholestérol. ». Pourtant le cholestérol n’est pas le nom d’une maladie ?

Le but recherché aujourd’hui est d’abaisser le taux de LDL cholestérol (le fameux mauvais cholestérol) en dessous de 0,50g/L. L’idée est que plus le cholestérol serait bas plus le risque cardiovasculaire diminuerait. Mais le faire diminuer jusqu’à combien ? Et comment ? Est-ce que de le faire diminuer par n’importe quel médicament réduit le risque ?

Je rappelle le service du CHU de Y pour en savoir plus. Je tombe sur un médecin plus aguerri et ouvert à la discussion. Il me dit que tout cela n’est peut-être pas aussi évident et que l’enquête vise aussi à vérifier ce point de vue. Soulagement. Je pensais qu’il s’agissait d’une xème étude commanditée par un laboratoire pharmaceutique.

Voyons donc l’effet attendu de ces divers médicaments . Que disent les études concernant les principaux hypolipémiants ?

Des fibrates :

Un autre scandale du médicament . Que ce soit le fénofibrate, le bézafibrate, ou le ciprofibrate, bien que faisant baisser la cholestérolémie, ils n’ont aucun bénéfice clinique cardiovasculaire et en plus exposent à de nombreux effets indésirables. Ils devraient être retirés des pharmacies depuis des lustres. Donc, faire baisser le cholestérol ne suffit pas en soi.

Les statinesii :

Largement prescrites. Curieusement ce ne sont pas les deux plus probantes (pravastatine et simvastatine) qui le sont. La simvastatine et pravastatine ont montré que si l’on traite 100 personnes ayant déjà fait un accident cardiovasculaire on évitera parmi ces 100 personnes 2 morts au bout de 5 années de prise en charge. C’est bien mais pas fantastique.

Quant à l’atorvastatine la plus prescrite son effet sur la mortalité n’est pas significative malgré la possibilité d’une baisse plus marquée du LDL cholestérol. Sans compter qu’un essai n’a pas mis en évidence de différence d’effet sur la mortalité cardiovasculaire entre une posologie de 10 mg ou 80 mg par jour iii!

Le problème principal des statines est l’effet sur les muscles. Les études comptabilisent les accidents graves à ce niveau (rhabdomyolyse) ou les perturbation biologiques. En revanche les altérations lentes ne sont pas comptabilisées et difficilement perçues car peuvent être attribuées à une évolution naturelle ou au manque d’entraînement. Difficile de savoir faire un rapprochement entre un traitement et des courbatures plus importantes qu’avant après un exercice musculaire. La conséquence sera alors par effet domino une aggravation de la maladie cardiovasculaire comme on le verra par la suite.

Ezétimibe :

Cette molécule est proposée en association à une statine. L’essai de référence est un essai qui a duré environ 6 ans chez des patients que l’on considérait, il y a peu, comme ayant déjà un LDL -cholestérol bas (entre 0,5 g et 1g/l)iv. Le bénéfice clinique au bout de ces six années est à la limite de la significativité en ce qui concerne les accidents cardiovasculaires non mortels : 32,7 % des patients ont connu une complication cardiovasculaire dans le groupe traité contre 34,7 % dans le groupe statine + placebo. Il n’y a pas de bénéfice en terme de mortalité cardiovasculaire. En revanche, sur ce seul essai long il est apparu une augmentation significative du nombre de cancers et de la mortalité par cancer. Il n’empêche que ce médicament a reçu son autorisation de mise sur le marché sans veille spécifique concernant ce risque éventuel de cancérogénicité.

Les anticorps monoclonaux (Evolocumab et Alirocumab actuellement pour la France):

Les anticorps monoclonaux sont très utilisés en direction de nombreuses et diverses pathologies. Ils ont parfois des effets intéressants, parfois non. Chacun est spécifique d’une action précise. Ceux-là sont dirigés contre une enzyme impliquée dans la régulation des récepteurs hépatiques du LDL cholestérol. La prise du traitement consiste en une injection (tout de même !) tous les quinze jours ou tous les mois en plus des statines.

Deux études ont porté sur des échantillons assez importants près de 19 000 (alirocumab) et plus de 27 000 (Evolocumab). La durée médiane des suivis a été d’environ 2,5 années. Il n’y a pas de bénéfice en terme de mortalité cardiovasculaire (entre 1,8 et 2,7 % selon les deux études). La mortalité totale étant de 3 à 4 % .

Au bout des 2,5 années de traitement, pour 100 patients traités il y a eu environ 9,7 accidents cardiovasculaires et 11,2 dans le groupe placebo 1. Autrement calculé, il faudrait traiter environ 140 personnes à risque cardiovasculaire, chaque année pour pouvoir constater pour une seule d’entre elle un évènement cardiovasculaire de moins. La différence est pour le moins discrète compte tenu de la baisse importante du taux de LDL cholestérol pouvant atteindre 60 % dans certains cas.

En conclusion, des médicaments font baisser le taux de cholestérol avec un effet négatif, d’autres (les statines) avec un effet intéressant mais limité, d’autres enfin, les derniers arrivés le font baisser très sensiblement mais avec un effet relativement léger. Ainsi, lorsqu’on lit les études concernant plus particulièrement les derniers médicaments ( ézétimibe et anticorps monoclonaux) le doute ne fait qu’augmenter. Ces traitements ont beau faire baisser de façon importante le niveau de ce « satané LDL », le bénéfice clinique, c’est à dire l’effet sur la santé est, au mieux, plutôt marginal.

Rappelons que ce n’est pas le cholestérol qui est la maladie mais l’athéromatose qui vient obstruer des artères de notre corps. Il est admis qu’il existe un rapport entre les deuxv mais pas de façon directe proportionnelle et continue. C’est certainement un problème plus complexe que d’incriminer un rôle direct du LDL cholestérol dans la pathologie cardiovasculaire. En dehors des réelles hypercholestérolémie importantes, il est possible que ce soit le mode d’action du traitement qui compterait plus que le résultat direct.

D’ailleurs, en son temps l’OMS avait conduit des études de comparaisons de populations qui constataient qu’à cholestérol égal il existait de grandes différences de morbidité cardio-vasculaire. Pour reprendre la comparaison de l’introduction, si on veut réduire le risque d’accident de voiture , bloquer du doigt l’aiguille du compteur de vitesse, donner des grands coups de frein à intervalles réguliers ne diminueront pas le risque.

A voir de plus près les études, il semble que le bénéfice attendu par l’action sur ce facteur de risque s’épuise à partir d’un taux bas. Le cholestérol a une fonction dans notre organisme. Il est un composant de nos membranes cellulaires et un précurseur d’hormones stéroïdes. C’est dire si il n’est pas question de l’éliminer et que d’abaisser sa présence dans notre organisme à des chiffres très bas ne devrait pas aller sans poser question.Or, avec ces traitements nous faisons baisser le taux de LDL cholestérol à un taux anormalement très bas. Nous ne le faisons pas dans d’autres contextes pathologiques pour d’autres composantes biologiques ou facteurs de risque : il n’est pas question, chez un diabétique de faire baisser sa glycémie jusqu’à zéro, ni chez un hypertendu de baisser trop sa pression artérielle, ni chez un obèse d’en faire une personne cachectique etc....

De plus ces traitements sont destinés à être pris de nombreuses années. Que se passera-t-il avec le temps ? On ne le sait pas pour la bonne raison qu’il n’est pas organisé de réel suivi dans le temps. Il y a pourtant des inquiétudes, selon les molécules, concernant un risque cancérogène, voire des troubles neurocognitifs, une augmentation des infection avec les anticorps monoclonaux.

Pourquoi cet emballement pour le cholestérol

  • D’abord, la pathologie cardio-vasculaire devenant un tel problème dans nos société, il était logique de vouloir y apporter des solutions.

  • Évidemment les laboratoires pharmaceutiques ont vite compris que les centaines de millions d’habitants de la planète plus ou moins concernés représentaient une manne inespérée.

  • Un exemple parmi d’autres peut donner une explication de ce glissement :

En 2008, le ministère de la santé a demandé à la HAS, dans le cadre de sa mission d’évaluation médico-économique, d’examiner les stratégies thérapeutiques efficientes pour la prise en charge de l’hypercholestérolémie avec un axe prioritaire sur les statines. La raison était médico-économique compte tenu du coût des statines dans le budget médicament des caisses d’assurance. Le but n’était pas d’évaluer la pertinence d’axer les prises en charge sur cet élément.

L’HAS a donc fait cette étude en ne répondant qu’à cette seule question : quel est l’intérêt des statines ? donnant ainsi une importance majeure à ce type de prise en charge au dépens d’une réflexion plus large sur la maladie cardiovasculaire. L’industrie pharmaceutique ne pouvait que soutenir cette approche.

Mais des facteurs de risque cardio-vasculaire, il y en a d’autres et des plus importants en relation avec nos modes de vie et dont la correction peut donner des résultats spectaculaires en terme de mortalité, d’évènements morbides non mortels et aussi de qualité de vie. Sans compter les autres facteurs de risque nécessitant un traitement comme le diabète et l’hypertension.

C’est sur ces alternatives que nous reviendrons dans le prochain billet.

1   Moyenne entre les deux études du fait de chiffres très approchants

i    Les médicaments sont nommés selon leur « dénomination commune internationale «  ou DCI

ii   La Revue Prescrire 2017 - 37  (403) pp 355-364

iii   Essai TNT sur 10001 personnes pendant 5 années

iv   Cannon CP et coll. « Ezetimibe added to statin therapy after acute coronary syndromes » N Engl J Med 2015 ; 372 (25) : 2387-2397

v   Etude MRFIT par exemple : étude prospective américaine portant sur 361662 hommes américains (toujours des hommes, qu’en est-il des femmes?) suggère que le risque augmente significativement au-dessus de 2g/l de cholestérol total chez des personnes ayant un mode de vie américain en 1986

vi   Etude Monica (Monitoring cardiovascular) patronnée par l’OMS : 37 centres dans 20 pays

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