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Billet de blog 4 juillet 2024

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Du potelet à la barrière sociale !

Un ami, constatant, après des travaux de voirie, l'implantation intempestive de "potelets" dans la petite ville proche de son domicile m'a fait parvenir ce texte qui fait du "potelet" le signe de la faillite du langage !

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Juin 2024,
Nous sommes rue Gambetta, dans une petite ville française (5.000 hab.) qui a fait de gros travaux (qui s'achèvent) pour rénover une de ses (il y en a deux) rues centrales habitées de commerces et bistrots.
Je vis à une quinzaine de kilomètres, c'est mon premier "centre".
 
Et j'ai hier, eu un flash en arrivant et en voyant pour la première fois cette rue (les trottoirs) piquetée de chevilles métalliques (cf. photos), dénommées "potelets".
J'ai été très impressionné - par ce qui n'impressionnera sans doute que moi - et je voudrais tenter d'expliquer cela, qui me paraît très important (singulièrement par ces temps d'élections législatives perturbées – singulière remarque, que fais-tu là ?!).
 
Impressionné ?
Je devrais plutôt dire effrayé, désarçonné.
C'est que ces curieux objets métalliques ne servent qu'à une chose : nous empêcher de "déposer" nos autos sur des sites inappropriés.
So what ? Ça marche ; pourquoi tout ce chahut ?!
Et bien c'est qu'il existe (quoique, sur bien des points, déjà beaucoup assisté par ce genre de barrage physique) un code de la route et une signalisation qui signifie telle et telle injonction à l'automobiliste que nous pouvons être (limitation de vitesse, interdiction de stationner, sens unique…).
Problème ? C'est que dans les années 90, il semble que les injonctions signalétiques ne suffisent plus.
Que faire ? Simple… Ce sont des obstacles physiques qui prendront le relai ; dorénavant, "si tu passes, ça casse !"
La redoutable efficacité apparente de ce procédé (arrêter physiquement, ça marche !) emporte tout sur sa route ; tous les discours s'estompent, nous font entendre leur fragilité et leur apparente inconsistance (que de mots inutiles !) face à un barrage de fer ou de béton.
 
Je crois (peine perdue mon gaillard…), et la rue Gambetta me le rend visible, que nous perdons beaucoup (d'abord, c'est très  moche !) en croyant gagner gros.
Car quel est le message ? Devant une dégradation supposée de la loi et de l'ordre, un sentiment grandissant d'insécurité (provenant sans doute aussi davantage de ce à quoi nous renonçons - les mots - que d'une réalité "physique" non étayée par les chiffres), nous renonçons à tout et nous en remettons au fer, aux clés, aux sirènes, aux contrôles.
Erreur fatale ! Qui se vend très bien au vu de sa puissance apparente mais qui nous fait passer d'une question politique de vaste ampleur - le bien ancien "Comment vivre ensemble ?" - à un renoncement redoutable  - le tout récent "Comment ne pas vivre ensemble ?" - qui contribue à la destruction d'un espace fictionnel commun absolument décisif.
"Espace fictionnel" ? Zone grise (parce pas immédiatement ni complètement contrôlable) où nous remettons  une part du "commun" - incontournable, donc qu'en faire ? -, lieu du politique et des politiques.
 
Quel que soit notre bord politique, nos "opinions", si nous acceptons ce mode d'efficacité physique et l'abandon de la puissance primordiale (première et fondateur) du discours, nous sommes foutus. Il se fait que la ville dont je parle est PS depuis 3000 ans… , elle pourrait être RN, ce champ de ruines est commun à beaucoup d'entre nous !
L'image de la rue comme "lieu commun" où la fiction (des règles, des espaces possibles ou non, des mots…) ne se déploie plus, semble ne plus avoir de consistance ni d'efficacité est évidemment forte ; ces piquets d'arrêt sont bavards sur notre désarroi actuel et, une fois encore semblent bien emporter notre adhésion, notre soutien.
L'ordre, la sécurité, certes nous en avons bien besoin mais s'ils se construisent (si nous les construisons) d'abord physiquement, cet "ordre" n'a absolument aucune chance ; ce ne peut être que l'épreuve de force à quoi décidément nous semblons (gauche et droite, car - et c'est important ! - l'abandon est commun devant une efficacité de substitution facile "à vendre") vouloir nous en remettre.
Les pleurnicheries contre l'insécurité, sur l'abandon des valeurs, les incivismes, la violence,… nous les suscitons en nous rangeant massivement derrière ce qui leur ouvre un espace magistral !
 

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