Nous revoilà plongés dans les guerres.
Non, qu'elles avaient disparu, mais elles n'étaient pas dans notre premier cercle, elles étaient dans des ailleurs d'un autre temps, comme des vestiges d'un comportement que des peuples éduqués, civilisés n'auraient plus.
Et personne, si on le demande nettement, est pour la guerre. Bien au contraire. Les mots à la mode de notre époque sont la tolérance, la bienveillance, l'empathie, la générosité, la philanthropie, le dévouement, la gentillesse, la douceur, la compassion.
La guerre est une vieille chose d'un autre monde, un squelette dans un placard.
Pas tout à fait enterrée, mais presque.
Et pourtant voilà qu'au premier coup de clairon « quand brille dans les cieux / l'aurore d'une nouvelle guerre »1 les doux agneaux se réveillent en loups féroces, voire en chacals.
Ah, il y a un ennemi ! Sus à l'ennemi !
Nul n'est à l'abri de cet enthousiasme prodigieux qui fait que l'on veut marcher sans savoir jusqu'où, à la suite d'une troupe bien disciplinée et résolue.2
…/... la volonté de tous est perçue par chacun. Volonté de quoi? D'agir en commun, sans rien d'autre ; et cela suffit pour que le bonheur de société soit éprouvé sans mesure, balayant tous les médiocres soucis, tout sentiment de faiblesse, toute crainte.
L'homme se sent et se perçoit avec les autres, invincible et immortel. Ce tambour le fait dieu.2
Pourtant il y eut des temps, singulièrement après la première guerre mondiale, ou au moment de la guerre du Vietnam, où la guerre fut dénoncée comme étant toujours un mensonge total. Mensonge des buts et des moyens, mensonge des douleurs infligées, mensonge sur la participation acceptée et résolue des combattants, mensonge sur la vilenie des ennemis.
La première guerre mondiale, fut la dernière guerre « patriotique ». Avant même qu'elle ait pris fin, les gens savaient qu'ils avaient été entraînés dans une folie meurtrière qui ne les concernait pas.
Or je crois que cet amour de la patrie, si naturel en tous, n'est pas assez fort pour porter par lui-même le grand effort de guerre.2
Alors s'imposa le discours de la Der des Der, les sociétés d'anciens combattants faisaient défiler les « Gueules cassées » en tête des cortèges pour dire la réalité de la guerre, la seule réalité. La mort, la destruction, la mutilation de milliers d'être humain. La destruction aveugle.
S'imposa aussi le discours de mémoire. Il fallait se souvenir. Se souvenir du sacrifice pour pouvoir servir d'exemple à un sacrifice à venir pensait peut-être les esprits les plus pervers, mais surtout se souvenir qu'une fois la porte de l'enfer refermée, il fallait que jamais plus elle ne puisse s'ouvrir. Car la guerre est un enfer et rien d'autre.
Et se développa un grand mouvement pacifiste d'artistes, d'intellectuels de politiques et de citoyens.
Mais ce mouvement fut écrasé et ridiculisé par les accords de Munich quand se préparait la guerre sous le nouvel emblème de l'écrasement de la bête immonde. La propagande opposa facilement les loups sanguinaires aux pacifistes bêlants. Et la milice traqua.
La formule méritait une Rolex.
Mais l'après guerre vint et les mêmes tourments agitèrent le monde. Que s'était-il passé ? Comment en était-on arrivé là ? Si la France, grâce à une défaite rapide, eut sa population relativement épargnée, cette guerre là fut la plus monstrueusement meurtrière à l'échelle de la planète. Une hécatombe. Et cette guerre n'avait pas empêché la Shoah, (et les génocides), mais au contraire avait permis de mieux l'organiser.
Cette guerre encore une fois était la défaite de tous les camps.
Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison.3
Le pacifisme reprit des couleurs. L'objection de conscience fut adoptée. Et puis vint le grand mouvement, associé au mouvement hippie du peace-and-love, contre la guerre du Vietnam. Fut-ce une illusion, mais pour la première fois, les populations, le pacifisme ont eut le sentiment d'arrêter la guerre.
Et ce pacifisme, même alors que les « réalistes » reprenaient l'initiative, a eu encore de beaux jours. Il n'a certes pas empêché les guerres devenues celles de la cause démocratique, mais il imposait à ceux qui les faisaient un embarras. Il gênait la propagande vociférante. Il contrariait la justification de la bonne cause. Il faisait mettre en doute le discours guerrier.
Et puis, et puis la raison guerrière a repris le dessus et le mouvement pacifiste s'est éteint, dissous.
Voici revenu le temps des bonnes guerres, des guerres justes et nécessaires.
Quand je parlais contre la guerre, j'avais rapidement raison. Les horreurs toutes fraîches me revenaient aux lèvres. Je faisais sentir l'odeur des morts. Je faisais voir les ventres crevés. Je remplissais la chambre où je parlais de fantômes boueux aux yeux mangés par les oiseaux. Je faisais surgir des amis pourris, les miens et ceux des hommes qui m'écoutaient. Les blessés gémissaient contre mes genoux. Quand je disais « jamais plus », ils me répondaient tous « non, non, jamais plus ». Mais, le lendemain, nous reprenions notre place dans le régiment civil bourgeois 4
Pourtant, cela sera, à la fin des conflits, les yeux se dessilleront, les oreilles entendront, les pensées claires renaîtront et le pacifisme sera de nouveau la seule voie.
le pacifisme cependant ne doit pas être un idéal, mais une idéologie, un combat permanent, une éducation, une philosophie et la base de toute politique. Et il doit l'être encore plus dans une période de conflits d'autant plus, de conflits qui se préparent et dont on ne peut aujourd'hui mesurer la barbarie. La guerre n'est jamais juste, ni justifiée.
Il n'y a pas un seul moment de ma vie où je n'ai pensé à lutter contre la guerre depuis 1919. J'aurais dû lutter contre elle pendant le temps où elle me tenait, mais à ce moment là, j'étais un jeune homme affolé par les poètes de l'état bourgeois.4
1 – Gaston Couté 1980-1911 « Je suis un pauvre travailleur »
2 – Alain « Mars ou la guerre jugée - 1936 »
3 – Camus « Editorial du journal Combat – 8 août 1945 »
4 – Jean Giono « Je ne peux pas oublier - 1934»