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Billet de blog 15 août 2024

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Les jeux olympiques n'ont pas eu lieu

L'affirmation semble contraire aux faits mais les lois de la physique sont impénétrables

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je n'y étais pas et comme par enchantement les jeux n'ont pas eu lieu.

C'est une loi de la physique, de la physique quantique, revisitée par les poètes : l'observateur crée l'évènement. Sans observateur l'évènement reste potentiel ; a lieu et n'a pas lieu en même temps. Et il y a aussi, pour rendre l'affaire plus sérieuse ou plus complexe, la théorie tout aussi mathématisée (et si elle est mathématisée, alors, hein, rien à dire...) des multivers.

Dans l'univers des multivers, il y a des univers où les jeux ont lieu de différentes façons, une infinité de façons. Il y a un univers, forcément, où Marchand n'a gagné aucune médaille, il y a sans doute malheureusement un univers où la cérémonie d'ouverture a subit un attentat dévastateur, un univers où la pelote basque est sport olympique, il y a même un univers où l'eau de la Seine est réellement propre à la baignade.

Dans l'univers dans lequel je me trouvais à ce moment là, les jeux n'existaient pas, ou si peu. Ils existaient peut-être comme une partie de bridge, de pétanque, une fête de la bière ou du cochon (il y en a de grandioses) que faisaient quelque part quelques joyeux drilles.

Ils ont failli exister. Il y a eu un moment où la conjonction universelle des univers, théorie qui reste à vérifier, a failli réaliser la grande universalité, c'est à dire tous les univers du multivers réunis en un seul dans une sorte de condensation totale. Mais las il y eut le grain de sable et l'expérience échoua.

Dans l'univers dans lequel je folâtrais à ce moment là il n'y a pas eu de cérémonie d'ouverture. Non, elle était absente, effacée, ignorée. Mais par un de ces phénomènes dont on ne sait pas encore bien expliquer ce qui le provoque, il y eut une sorte d'intrication d'univers pendant quelques minutes, ce qui fit que dans cet univers dans lequel je me trouvais on a pu voir des gens sur un plateau de télévision dans des états de transe que seule la visite d'une divinité, nouvelle ou reconnue, des substances que n'utilisaient qu'avec parcimonie les plus grands chamans des temps anciens, ou l'énergie que donne la foi publicitaire pouvaient provoquer. Une femme pleurait et riait à la fois, on apprenait entre les sanglots qu'elle avait participé à l'évènement qui venait se dérouler dans cet univers où nous n'avions pas accès à ce moment là, et qu'elle n'en revenait pas d'avoir autant de talent et de mérite. Les comparses autour la consolaient tout en l'accablant d'éloges qui la troublaient encore plus. Les comparses en question s'interrompaient les uns les autres pour surenchérir de délire émotionnel, tandis que les images montraient des gens sous la pluie qui s'abritaient tant bien que mal sous des parapluies. Les vociférations enthousiastes de ces officiants allaient croissant en force et éructations mais s'appauvrissaient en propos. Les ho là là, les non mais, non mais extatiques, les appels à la mémoire des temps futurs, les évocations des mânes des grands ancêtres, prenaient toute la place qu'aurait dû occuper un commentaire joyeusement argumenté.

Ce fut à ce moment là que disparut de l'univers que j'habitais alors cet évènement que j'avais entendu nommer "Jeux olympiques". Il disparut au point de ne plus exister du tout.

Bien sûr, l'effet tunnel de la physique quantique permit tout de même le passage de quelques signaux. Les univers du multivers sont faits de communication. Ils sont toujours un peu corrélés surtout s'il y a eu intrication. Mais foin d'explication théorique compliquée, puisque aujourd'hui l'enthousiasme suffit.

Un voisin venait me voir le matin au moment où j'ouvrais mes volets pour me dire les résultats de nos valeureuses équipes. Mais comme il le faisait pour la coupe du monde de rugby, le Tournoi des six nations, pour Roland Garros, pour Wimbledon, pour le Tour de France, pour tous les matchs de football de ligue des champions, pour le Women's six nations Rugby, la ligue des champions féminine de football, je ne voyais pas en quoi l'évènement Jeux olympiques se manifestait avec une quelconque grandeur supérieure. Cela ne lui conférait guère plus d'existence que l'habituel. L'habituel n'étant par définition pas évènement, ces JO n'arrivaient pas dans cet univers que j'habitais à se sacraliser d'une quelconque façon.

Puis je quittais ma villégiature et me rendais au cœur du réacteur, dans cette ville limitée par sa ceinture périphérique qui accueillait et organisait le fameux évènement.

Mais la géographie ne suffit pas à faire un univers, ou elle s'y prête bizarrement. Je vivais bien à l'intérieur de l'enceinte sacrée, mais un peu sur les bords. Et là, comme dans ma retraite précédente au dehors comme au dedans, pas de JO. Absence totale de toute manifestation festive, enthousiaste, exubérante due à un évènement aussi  extraordinaire. Décidément dans mon univers, les jeux n'existaient pas.

Mais je suis un homme curieux. Alors enfourchant ma bicyclette, ce qui en dit long sur mon modernisme citadin et mon adéquation au monde, je me rapprochais des lieux où fermentait, du moins je le pensais, dans l'alambic sportive, la manifestation tant vantée.

Mais là, ce ne fut pas, sans doute, une question de géographie, mais de temporalité. Je me rapprochais des centres de la ville, j'allais dans le jardin périphérique qui accueillait les maisons des nations, je suivais le fleuve majestueux symbole totémique de l'événement, mais ceci en toute fin de matinée. Je croisais quelques badauds, un aboyeur sur une chaise d'arbitre de tennis qui m'invitait à aller assister à la compétition de taekwondo, des familles à la recherche d'un peu d'ombre, mais rien qui fasse ressentir la majesté de l'évènement. Un stade avait l'air un peu abandonné comme un cirque sur une place de ville de province dans l'après midi avant les spectacles, le parc des maisons des nations ressemblait à une foire exposition grandiloquente. Les bâches peintes étaient posées sur des structures de balloche des fêtes foraines d'antan.

Et dès que je m'égarais un peu et m'éloignais d'à peine quelques encablures des centres névralgiques, tout disparaissait complètement. Je me retrouvais dans cet univers dans lequel les Jeux n'existaient plus du tout.

Il y eu cependant une fois une nouvelle convergence des univers. Alors que vaquant à de toutes autres occupations je me trouvais au centre de la ville, dans ce quartier qui a comblé un trou avec un centre commercial géant, ma route fut barrée par un long cordon de chalands de plusieurs dizaines de mètres. Remontant la file, je constatais qu'ils voulaient tous se rendre dans une boutique où l'on pouvait acquérir tous les "goodies" qu'on appelle aussi objets promotionnels, émis à propos de l'évènement.

Ce fut le dernier moment durant lequel, mon univers fut frôlé par celui des Jeux.

L'évènement grandiose se termina. On souffla la bougie.

Mon univers continua à être celui qu'il avait été, un univers où les Jeux n'ont pas existé.

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