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Billet de blog 18 octobre 2022

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Réduire les pesticides progressivement pour les supprimer complètement

Pour nourrir la population les productions agricoles sont nécessaires en quantité et en qualité. Pour soutenir les agriculteurs de la FNSEA le chef de l'État a évoqué à la fête «Terres de Jim» une future loi pour 2023. De son côté, l'Europe prépare une nouvelle réglementation pour réduire les pesticides.

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Deux alternatives se présentent: faut-il être très précautionneux avec les pesticides parce qu'ils sont dangereux, pour s'en servir ad vitam aeternam ou faut-il refondre en profondeur le système agricole pour ne plus dépendre de pesticides (et d'engrais synthétiques*)?

Réduire les pesticides dans les pratiques agricoles serait souhaitable pour de nombreuses raisons trop longues à détailler : ils nuisent à la fertilité des sols, tuent les pollinisateurs et les abeilles, dégradent la santé (cancers, maladie de Parkinson) en général et la reproduction en particulier.

De plus les pesticides et les engrais azotés contribuent fortement aux émissions des gaz à effet de serre (CO2, NH3, CH4) et à la consommation d'hydrocarbures.

Une réduction de 50% des pesticides sur 10 ans avait été décidée en 2009 mais sans grand succès. Seules quelques fermes (un millier) ont suivi le plan national écoPHYTO et ont montré que c'était réalisable1.

Pour réduire les pesticides, la commission européenne nous a soumis un texte dans le cadre d'une consultation publique (sans beaucoup de publicité). Ce texte d'une grande complexité, promet diverses tracasseries administratives, exemple : «toutes les interventions sur les cultures doivent être consignées [dans un registre électronique] qui contient toutes les informations pendant une période d’au moins 3 ans …le nom du conseiller ainsi que les dates et le contenu des conseils. ...Une fois par an, les autorités compétentes présentent à la Commission Européenne un résumé et une analyse» (article 16). «L'État adopte les règles propres à chaque culture et à la zone concernée» (article 12). On demande à l'agriculteur d'essayer toutes les techniques sans pesticides avant d'appliquer les traitements chimiques : la « rotation des cultures, ...la technique du faux semis, les dates et densités des semis, les sous-semis, les cultures associées, la pratique aratoire conservative, la taille et le semis direct, ...le renforcement des organismes utiles importants, y compris par des mesures de protection des végétaux bénéfiques.» (article 13)2 Ces techniques ressemblent à ce qui est préconisé en permaculture ou en culture biologique mais toutes ces techniques sont impossibles à appliquer en peu de temps. Il faut plusieurs années pour les mettre au point. De plus, beaucoup d'agriculteurs ne connaissent pas ces méthodes inhérentes à l'agriculture biologique et dépendent de la spécificité des terrains, des espèces de cultures. Pourquoi pas simplement, une conversion AB ?

Par ailleurs, viser à réduire les pesticides c'est très bien mais est-ce que cette nouvelle réglementation ne va pas compliquer le travail des agriculteurs ?...

Elle va justement engendrer de sérieuses problématiques, en particulier :

  • D'une part, elle va nécessiter une administration avec cohorte d'experts, pléthore de conseillers et contrôle informatique. Pourquoi ? Pour apprendre aux agriculteurs à utiliser les pesticides...
  • D'autre part, l'exploitant gros ou petit, va être encore plus démotivé parce que tout va lui échapper. C'est l'État qui va décider de tout avec un contrôle tatillon.
  • Par ailleurs, qui va payer ? Les «gros» vont peut-être s'en sortir, mais beaucoup d'agriculteurs gagnent peu. Pour un tiers d'entre eux moins de 350 € par mois. Un suicide avait lieu tous les jours en 2020 (rapport du Sénat) ; c'est pour cela qu'une cellule d'écoute a été mise en place et l'État a sollicité les banques pour qu'elles soient plus humaines.
  • Faut-il culpabiliser les petits agriculteurs ? Sont-ils les seuls responsables de la pollution ? Ils ont été obligés de s'adapter à une agriculture intensive pour survivre... et peut-être mal conseillés.

Pourquoi laisse-t-on les firmes fabriquer des pesticides toujours nouveaux, toujours soit disant «meilleurs» ? Ça leur rapporte et c'est criminel. Les externalités négatives de ce business sont à la charge de la collectivité et des ménages (santé publique, environnement).

C'est pourquoi je me permets une série de souhaits adressés à l'Europe en espérant être entendu. Je souhaite :

  1. La taxation des firmes qui fabriquent les pesticides chimiques et les engrais azotés. Ainsi, elles contribueraient à réparer les dégâts de pollution en particulier la pollution de l'eau. En effet, les coûts de pollution de l'eau sont considérables, difficiles à chiffrer mais Olivier Bommelaer et Jérémy Devaux arrivent à les évaluer à plusieurs milliards d'euros : «Les pesticides dilués dans les flux annuels, dans les rivières ou écoulés des nappes à la mer, sont d'environ 74 tonnes par an. Les coûts de traitement de ces apports se situeraient dans une fourchette de 4,4 à 14,8 milliards d'euros.»3 Ces coûts n'incluent pas toutes les pollutions ni les impacts sur la faune, la flore, les champignons, les écosystèmes, les ressources halieutiques. Ils sont aujourd'hui en grande partie assumés par les ménages. Les firmes phytopharmaceutiques seraient, à l'évidence, obligées de freiner un peu leur production si elles finançaient la dépollution. 
  2. Je souhaite la formation des agriculteurs aux méthodes agricoles sans pesticides dans tous les pays européens : favoriser les mycorhizes, les auxiliaires, les vers de terre, les fourmis, la fumure animale, les engrais verts, l'agroforesterie, les cultures associées, les assolements, la rotation de cultures,4 etc. Charles Darwin, Albert Howard, savaient déjà et tous les biologistes d'aujourd'hui savent que c'est l'humus qui fertilise la terre. Dans l'humus les micro-organismes recyclent les matières organiques en nutriments pour les plantes. Les pesticides tuent l'activité des micro-organismes, détruisant insectes, bactéries et champignons. L'activité des micro-organismes constitue la base de l'agriculture et de la vie sur terre («Ver de Terre et Cie» article paru dans la revue «Silence» n°503). 
  3. L'interdiction de la pulvérisation aérienne et l'enrobage des semences ; 
  4. L'interdiction des nouvelles techniques génomiques high-tech à hauts risques. Par exemple: la paratransgénèse est un domaine de manipulation génétique sur les bactéries présentes dans l'intestin d'un insecte au risque que les gènes manipulés soient transmis à d'autres espèces et détruisent tout un équilibre naturel5
  5. Je souhaite le soutien financier des agriculteurs qui veulent se convertir à l'agriculture sans pesticides et aider «au maintien» sur plusieurs années. Paradoxalement, les financements de la PAC sont orientés pour favoriser les gros exploitants (certaines primes sont octroyées à l'hectare) au détriment des petits exploitants (souvent AB) qui créent des emplois et qui polluent peu. 
  6. L'interdiction de la vente à l'étranger des produits néfastes pour l'environnement prohibés en Europe et contrôler rigoureusement les produits importés avec les mêmes exigences que les denrées européennes. 
  7. Je souhaite le développement de la recherche agronomique. (voir le blog «Agriculture sans pesticides possible ou impossible»).

Aujourd'hui le progrès technique montre ses limites. Aucune technique ne réparera la disparition des espèces, la diversité biologique ni la stérilisation et l'artificialisation des sols agricoles ni tous les problèmes de santé publique. Aucun robot ne remplacera l'abeille, aucun drone ne remplacera le ver de terre. Depuis des millions d'années, la nature a évolué, elle s'est perfectionnée, elle nous a permis de vivre. Respectons-la. Plus de un million  (1054973) signatures de l'ICE** viennent d'être validées ; cette initiative citoyenne européenne demande l'élimination de 80 % des pesticides de synthèse d’ici 2030 et de 100 % d’ici 2035. Que va répondre l'Europe ? Combien faut-il d'énergie pour nous défendre contre les lobbys pour la santé, pour la biodiversité ? L'expérience passée nous a montré combien, pendant des années, les fabricants de tabac se sont démenés contre la réglementation d'un produit dangereux sans ambiguïté. Les climatologues nous alertent du réchauffement depuis plus de 50 ans mais nos chefs d’État comptent trouver un progrès technique assez astucieux pour éviter le cataclysme climatique. Ils ne pensent qu’à sauver la croissance. Des diplômés, des scientifiques entrent en rébellion et la désobéissance civile se développe.

Les biologistes nous alertent contre les pesticides en commençant par Rachel Carson, Theo Colborn. Combien de temps les scientifiques seront ils restés calmes, sages, discrets, pacifiques pour confirmer encore que la planète est un peu plus abîmée et qu'elle perd sa capacité de régénération ?  Mais tant que ça rapporte..

NOTES

  1. Une diminution conséquente de pesticides sous l’égide du réseau « Delphy-Ferme » des 940 fermes engagées dans la réduction des pesticides a montré les bénéfices économiques (thèse de Martin Lechenet 2017).
  2. On peut lire citer aussi : Les « méthodes chimiques ne sont utilisées que si elles sont nécessaires pour atteindre des niveaux acceptables de protection contre les organismes nuisibles, après avoir épuisé toutes les autres méthodes non chimiques ...les informations enregistrées dans un système informatique doivent démontrer que l'utilisateur a envisagé toutes les possibilités » sans pesticides : «...l’utilisation de cultivars résistants ou tolérants et de semences et plants certifiés ou de haute qualité, – l’utilisation de pratiques de fertilisation équilibrée, de chaulage et d’irrigation ou de drainage, – la prévention de la propagation des organismes nuisibles par des mesures d’hygiène. ...Les utilisateurs surveillent les organismes nuisibles au moyen de méthodes et d’outils appropriés ...systèmes d’alerte, de prévision et de diagnostic précoce s’appuyant sur des bases scientifiques solides, dans la mesure du possible; le recours aux conseils de conseillers qualifiés sur le plan professionnel» ...Lorsque le risque de résistance à une mesure phytosanitaire est connu et lorsque le niveau d’organismes nuisibles nécessite de soumettre les cultures à cette mesure de manière répétée, les utilisateurs appliquent les stratégies anti-résistance disponibles. » (article 13) Un «système de conseil indépendant doit être mis en place. ...Les conseillers agricoles impartiaux. ...doivent être régulièrement formés. L’autorité compétente veille à ce que tout conseiller inscrit dans le système soit exempt de tout conflit d’intérêts. » (article 26)
  3. D'après Olivier Bommelaer et Jérémy Devaux (« Études et Documents » septembre 2011 du Commissariat Général au Développement Durable) : le coût d'élimination d'un kilogramme de pesticides dans l'eau est compris entre 60 000 et 200 000€. Les coûts de substitution de l'eau du robinet vers l'eau en bouteille dus aux pesticides : 710 M€ ; les coûts des collectes et traitements des bouteilles : entre 10 et 14 M€. Total des impacts directs évalués sur les budgets annuels des ménages : entre 1010 et 1530 M€.  Autres impacts marchands : déclassement de 37% des zones conchylicoles bretonnes ; pénalisation de l'activité économique des eaux minérales et thermales (cas de Vittel); quasi disparition de plusieurs espèces dont l'anchois et l'anguille. Le coût complet du traitement annuel des excédents de produits chimiques utilisés dans l'agriculture et l’élevage dissous dans l’eau serait supérieur à 54 milliards d’euros par an. 
  4.  «l'Origine du Monde» livre de Marc-André Sélosse.
  5.  Ces techniques pourraient s'avérer redoutables pour les pollinisateurs (papillons, syrphes et abeilles). L'agriculture de précision est problématique parce que même si elle vise à réduire les pesticides elle ne supprime pas les perturbateurs endocriniens néfastes à très faibles doses ; elle ne vise pas à se passer des pesticides. 

*   pesticides et engrais ont des inconvénients mais pas du même ordre. Les premiers sont des biocides ; ils tuent des entités vivantes (bactéries, champignons, herbes, insectes, humains) ou perturbent leur développement. Les engrais nourrissent les plantes mais affaiblissent leurs défenses naturelles et contrarient les micro-organismes. On ne sait pas doser la quantité d'engrais juste nécessaire ; alors on en met toujours trop et en moyenne, seulement 50% des engrais azotés bénéficient aux végétaux, le reste va polluer l’eau. L’excès de phosphate fait le bonheur des algues vertes surtout en Bretagne. Paradoxe, les nitrates de synthèse coûtent cher en pétrole. « Le bon sens est la chose la mieux partagée » ...mais pas la logique.

**    ICE = Initiative Citoyenne Européenne «Sauver les Abeilles et les Fermiers» lancé en 2019 par 7 organismes dont Générations Futures puis soutenu par plus de 200 associations européennes pour demander une élimination progressive des pesticides de synthèse d’ici 2035 en Europe, une aide aux agriculteurs pour qu’ils changent leurs pratiques et la préservation de la biodiversité, des abeilles et de la nature: www.generations-futures.fr

octobre 2022  Jean-Marc Siffre

Illustration 1
"biodiversité je m'en fous" © schlorian

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