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Billet de blog 2 février 2010

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Ecolonomie : Précaution et stérilisation

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Notre société bureaucratique dans ses organisations et ses administrations s’enorgueillit de privilégier toujours le principe de précaution. C’est le stade ultime du « mieux vaut prévenir que guérir » et en cela c’est inattaquable et bien.

Cependant ce noble sentiment, dans bien des domaines, au lieu de mener à l’étude objective des risques, a tendance à connaître une dérive qui conduit à toujours plus de contrôles et pré-contrôles, d’autorisations et autres obsta­cles qui prétendent assurer qu’aucune zone de risque ne sera jamais atteinte. Mais le risque zéro n’existe pas. Et cela, même si le risque est proche de zéro.

L’organisation bureaucratique –comme toute organisa­tion humaine– a tendance à toujours vouloir justifier son existence et à étendre son influence. Elle s’auto-congra­tule en trouvant de nouveaux domaines de prolifération comme les rhizomes des bambous qui finissent par étouf­fer tout un jardin s’ils ne sont pas contenus. Ainsi nos ad­ministrations sont sans arrêt à l’affût d’un nouveau risque afin de pouvoir –sous le prétexte de notre défense– éten­dre son empire de contrôle.

Sachant que le risque zéro n’existe pas, dans aucun domaine, nous courrons le plus grand risque d’asphyxie. Par précaution nous introduisons la stérilisation de toute création.

L’inconnu présente un risque; or la création c’est toujours prendre un risque et aller vers l’inconnu. Par précaution, trop d’administrations vont donc contrôler la création, c’est-à-dire lui supprimer la liberté dont elle a autant besoin que nous avons besoin d’oxygène pour respirer.

La question se pose notamment de savoir s’il est néces­saire que le contrôle soit a priori ou a posteriori. Il paraît évident que dans la plupart des cas, seul le contrôle a posteriori permet de faire l’évaluation d’une situation ou d’une découverte pour déterminer son danger potentiel. Il faut cependant se rappeler que tout progrès génère ses inconvénients avec ses avantages. Aussi, l’évaluation du risque ne peut jamais être absolu, mais demeurera toujours relatif. Cette relativité rend, à elle seule, les contrôles administratifs le plus souvent grotesques et inutiles. Seul la réintroduction d’une appréciation Quali­tative des actions humaines permettra de réintroduire une gestion plus saine des risques et une responsabilisation plus profonde des acteurs des risques.

Nous avons un nombre incroyable de lois qui mettent chacun en face des conséquences de ses actes et de ses responsabilités. Est-ce parce que ces lois ne sont pas appliquées ou que la justice est incompétente qu’il nous faut des règles administratives pour ‘prévenir’ les risques.

D’ailleurs qu’est-ce qu’un risque ? La vache folle ? La grippe aviaire? Le réchauffement climatique? Le SARS ? Le SIDA? L’erreur de groupe sanguin ? La fonte des glaciers? Il est évident, face au comportement des médias et des politiques, que leur appréciation du risque est gouvernée par le court terme, les médias, l’ignorance ou l’incompétence.

Evaluer le risque? En théorie, c’est la multiplication de l’occurrence du risque (quel pourcentage de chance a t’il de se réaliser? Si je contrôle ou pas) multiplié par le coût du risque. Ainsi, un risque fréquent mais à coût humain ou financier nul est nul; de même qu’un risque improbable ayant des conséquences immenses est aussi proche de zéro. Toutes les compagnies d’assurance sont capables de faire ce calcul et en évaluer les conséquences. Mais si vous me demandez quel est le coût d’une vie ? Je dis énorme !

Aujourd’hui, notre appréciation sociale des risques est affaiblie car cette évaluation est devenue un des multiples domaines réservés des administrations seules habilitées à définir un risque... au risque de se tromper et de tromper tout le monde. Or sans même s’en rendre compte, les administrations sont structurellement créées et au service du système dominant.

Toute bonne publicité est anxiogène. Il faut d’abord inquiéter le consommateur « voulez-vous devenir obèse? » pour pouvoir lui offrir la solution « achetez mon produit ! »

Connaissez vous la définition d’un Scoop de presse (ce qui va faire vendre plus de papier ou augmenter l’audi­mat) ? Un Scoop, c’est la création d’un monstre ! Prenez un fait divers, une personne, une menace potentielle. Habillez-la d’habits dramatiques, évoquez une multipli­cation possible de la menace jusqu’au foyer du voisin, peut-être même le vôtre, et faites peur, très peur: vous avez un Scoop ! Le principe anxiogène utilisé quotidiennement par la publicité pour nous fourguer n’importe quelle recette est utilisé tous les jours dans la politique du quantitatif.

A ce titre nous pouvons vraiment poser la question du pouvoir exorbitant du principe de précaution basé sur la création d’une angoisse, par rapport à la création et sa stérilisation.

De même, nous pouvons nous poser la question du domaine d’application du principe de précaution qui se borne à l’identifié et au mesurable. Sachant par exemple les milliards qui sont engloutis à chaque vache folle, à chaque SARS, à chaque alerte de grippe vraie ou fausse, n’eut-il pas été plus judicieux de consacrer ces sommes à d’autres urgences bien réelles ou à la prévention à long terme au lieu de vendre des solutions à court terme?

Chez nous les chercheurs et les inventeurs ont moins la cote que les administrations qui se montrent très concernées ou les industriels qui fournissent des masques en papier contre la grippe porcine! N’oubliez jamais le principe qui fait vendre: c’est le scoop ! La création d’une angoisse qui permet de vendre une solution empaquetée ! Tout ceci est parfaitement en ligne et conforme au système qui veut que nous consommions toujours plus.

Et pendant ce temps, en corollaire du quantitatif appliqué à l’individu, nous sommes de plus en plus seuls dans la multitude, désolidarisés et déresponsabilisés.

Le collectif est devenu une totale abstraction pour l’individu et lui fait perdre le sens des responsabilités individuelles. Nous déléguons donc à la « puissance publique » la sécurité de chacun à travers l’inconfort égal pour tous. Nous trou­vons ‘normal’ que l’Etat se mêle de tout; or ce n’est pas normal du tout! Chaque individu serait plus riche si, mieux éduqué et doté de bon sens, il pouvait apprécier les risques qu’il est prêt à prendre pour lui-même sans en faire courir aux autres.

Là encore, c’est l’appréciation Qualitative, nous pourrions presque dire l’appréciation ‘morale’ des situations, qui limite au mieux les risques.

La déresponsabilisation générale devient une des raisons pour lesquelles la population n’a pas encore mesuré l’ampleur des changements qui seront nécessaires pour inventer la nouvelle civilisation qui pourra profiter des nouvelles inventions et technologies sans détruire définitivement la planète.

Est-ce une raison pour ne pas se lancer activement vers la recherche et la découverte de nouveaux procédés ou méthodes qui préparent l’avenir ? Au contraire, c’est le signe de l’urgence.

Il doit y avoir des alertes, des prises de conscience, des limites, mais où sont elles ?

Les administrations et leur pouvoir de tutelle ont ici une immense responsabilité. Responsabilité ne veut pas encore dire culpabilité, mais il est grand temps qu’elles changent aussi leurs objectifs de contrôle pour permettre l’épanouissement de nouvelles solutions.

Trop souvent, la fonction de l’Etat est répressive. Trop souvent la ficelle est grosse lorsque précaution et écologie ne servent que de prétexte pour imposer un nouveau racket d’Etat : « Nous baissons la vitesse sur les voies express, les périphériques, les autoroutes, pour diminuer la pollution et les accidents » alors que dans la réalité, l’effet d’économie de pollution et de prévention des accidents est infiniment moindre que la simple applica­tion des normes existantes de pollution et de sécurité sur les véhicules existants, ou l’amélioration des transports en communs. La réalité est simplement que chaque abaisse­ment de la vitesse augmente les revenus des radars et autres embuscades de Police pour racketter les automobi­listes. La mention écologiste ou sécuritaire devient alibi. La motivation dominante de l’Etat reste ...le pognon ! De nos jours ce ne sont plus les bandits qui s’embusquent sur les grands chemins pour détrousser les voyageurs, ce sont des agents de l’Etat! Et pendant ce temps les banlieues n’ont plus de commissariat de quartier qui aurait appris à connaître, reconnaître et dialoguer. Et le samedi soir les policiers dorment contents de leur journée de verbalisa­tion au lieu d’aller sur les parkings des boites de nuit faire souffler les clients dans le ballon, non pour les racketter, mais pour les empêcher de conduire leur voiture au moment et sur le lieu où le risque est réel et maximum.

La multiplication des contrôles transforme nos ‘services publics’ en ‘sévices publics’.

Le contrôle croissant des Etats par le truchement de leurs administrations risque désormais de s’étendre aussi au contrôle de la ‘durabilité’ de nos actes et de nos entreprises. Cette tendance tentaculaire au renforcement du rôle de l’Etat se fait au détriment du rôle des citoyens et de ce fait contient en soi tous les germes de l’échec.

En effet, la méthode du contrôle administratif risque d’abord de générer tout simplement un risque de rejet devant l’inflation des contrôles. Ensuite et surtout, nous courons le risque de dévier l’attention des citoyens, de l’objectif de durabilité des gestes, vers celui de la gestion des contrôles.

D’autre part, les populations une fois ‘policées’ par l’Etat ne se sentent plus concernées au-delà de la sanction à éviter, et en fin de compte échappent à la prise de conscience de l’objectif qui devient prétexte.

Enfin et surtout cette tendance législative ou fiscale est en contradiction avec le changement profond et nécessaire des mentalités et des comportements.

Le système en place semble partir de l’axiome que les choses ne changent que par le contrôle et la sanction. Cela signifie tristement que l’éducation dans nos écoles et ailleurs ne changera pas, que les dirigeants continueront leurs méthodes contraignantes, que nous sommes des tous des ‘beaufs’ et traités comme des veaux.

Non ! Cela ne doit pas être ainsi! Cela n’est pas ainsi !

Il faut que la création reste libre et ne soit pas pré-contrainte par les administrations et leurs contrôles et pré-contrôles qui ne font que réduire ou même anéantir la créativité.

Il faut que nous prenions nous même en main notre avenir et que les Etats soient là pour favoriser et accom­pagner les changements. Il faut encourager et soutenir l’imagination et les petites initiatives locales des citoyens car elles sont nombreuses et la quantité de celles-ci équivalent à un ‘grand projet’ tout en étant plus exemplaires et plus rapides à réaliser. L’Etat quant à lui doit investir dans les grandes initiatives écologiques et infrastructures dont la rentabilité n’est pas garantie à court terme mais dont les bienfaits le sont.

Nous voilà bien loin de cette maladie du contrôle qui accompagne le ‘renforcement de l’autorité de l’Etat’ et diminue notre liberté avec notre créativité.

Les vraies questions de précaution et de risque sont aussi ailleurs.

L’essai atomique par la Corée du Nord en 2006 fait de ce pays la 9ème puissance nucléaire mondiale, après les Etats­-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France, la Chine, l’Inde, le Pakistan et Israël. Et l’Iran et l’Afrique du Sud et d’autres encore espèrent pouvoir entrer dans ce Club des super nuisances potentielles.

Selon le rapport de décembre 2008 de l’Agence Euro­péenne de Défense (EDA) 650 milliards de dollars ont été consacrés aux armées de l’UE et des USA en 2007. Comment pouvons nous tolérer que le désir de dominer ou d’anéantir la planète mobilise plus d’argent et de talent que les moyens de stopper la destruction de notre environnement ou l’accès de tous à de l’eau propre? Seul le paradigme quantitatif permet de justifier cette course folle selon le principe de l’équilibre du nombre des destructions, alors que, selon notre paradigme de Qualité, cela devient intolérable et plaide pour une dénucléarisation, si pas une démilitarisation, totale de la planète.

Que font ces milliards d’individus qui chaque matin partent travailler en marchant sur un volcan qui peut les anéantir, tout en se reposant sur la ‘sagesse’ des Etats pour définir les risques?

Il y a cependant des domaines qui valent que les risques soient évalués. Ainsi dans certaines recherches sur les cellules vivantes, nous pouvons déjà un peu, et pourrons très bientôt parfaitement, modifier certaines caractéris­tiques des êtres vivants. Qui contrôle le risque de créer des monstres, qu’ils soient végétaux, animaux ou humains ? Et qu’est-ce qu’un véritable monstre?

Les intérêts financiers et stratégiques semblent tellement importants que ce débat-là reste très discret et n’a toujours pas abouti à l’interdiction pure et simple de breveter quelque cellule vivante que ce soit.

En effet, un laboratoire –public ou privé– ayant découvert la séquence d’un gène et vaguement défini son application possible détient un monopole sur toutes les utilisations présentes et futures de ce gène, y compris celles qu’ils n’ont pas encore été mises au point! Il est certainement juste que les laboratoires soient rémunérés pour leurs efforts de recherche, mais leur accorder une exclusivité sur le vivant est une compensation aberrante compte tenu des risques de cette exclusivité et du secret dans lequel ils opèrent. Il est de plus absurde de ne pas pouvoir partager, contrôler et accompagner les avancées de la connaissance parce qu’elles ont été réservées à un seul opérateur.

Seule la prééminence du quantitatif qui offre aux grands enjeux de grandes rémunérations peut justifier le consensus d’acceptation de tels scandales.

Les questions éthiques et Qualitatives sont partout et les attentes aussi.

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