Le tableau de l’état du monde est sombre. Très sombre. Crise économique, crise morale, crise écologique, crise politique, crise sociale. Il a perdu son cadre.
Ce n’est certainement pas la fin de l’histoire, mais plutôt ce moment passionnant où nous devons réinventer une nouvelle histoire.
L’économie en ce début du 21ème siècle passe à travers une crise dont les causes sont diverses et nombreuses.
Parmi elles, la généralisation de la spéculation à tous les secteurs marchands. Le monde mené par ses gourous ou ses escrocs en col blanc spéculent sur l’évolution du prix des maisons, du café, de l’or, des actions, des toiles de maître, du coton, du pétrole, du dollar, des choux-fleurs, des bananes, de presque tout, puisque presque tout est monétisable. Et dès lors que les volumes le permettent, d’immenses casinos se créent et brassent de plus en plus d’argent. D’habiles croupiers ont créé des jeux de plus en plus malsains auxquels plus personne ne comprend plus rien si ce n’est l’illusion qu’il est possible d’y faire fortune sans rien faire, en prenant un petit risque que l’avidité rend de plus en plus grand.
Les banquiers et les financiers de la planète ont été les vecteurs de la maladie dans la mesure où chaque nouvelle contamination leur garantissait un ‘bonus’.
Et comme une pandémie, ce virus s’est répandu. Le jeu malsain s’est propagé partout et a tout infecté.
Le rêve du Veau d’Or probablement ne mourra jamais. Aussi faut-il que la voix de nouveaux prédicateurs ou simplement celle du bon sens, redevienne plus forte que les slogans racoleurs des croupiers de la planète.
La prééminence du quantitatif voulue et cultivée par notre système a été le terreau de la pandémie spéculative du monde.
Nous parlons en prix ou en taux alors que nous devrions parler en valeur et/ou en utilité.
Le jeu vicié, imaginé et contrôlé par une petite minorité s’est répandu comme une maladie et tous furent touchés, même et surtout les innocents. Les croupiers ont conservé les commissions et les bonus gigantesques qu’ils se sont octroyés en jouant avec l’argent des autres, au jeu coûteux qu’ils ont inventé… et ils se proposent maintenant d’être les conseillers et les docteurs de ceux qui ont perdu.
Est-ce bien raisonnable ?
La taxe TOBIN des altermondialistes avait vu juste en pointant la spéculation financière du doigt, mais a quelque difficulté à imposer une solution qui, en proposant une taxe, n’est jamais qu’un des instruments du système qu’ils veulent combattre, à savoir celui des prélèvements, commissions et impôts en plus.
Les prélèvements ont pour effet de perpétuer ou de s’inscrire dans le système puisqu’ils ne constituent une solution que dans l’univers quantitatif où chaque pouvoir veut son kilo de chair prélevé sur le système pour nourrir son pouvoir.
Ainsi le problème de la taxe Tobin, comme celui de toute taxe écologique, ne réside pas dans son utilité, ni dans ses objectifs, mais dans son application et, du coup, dans sa légitimité.
De par sa nature, une nouvelle taxe qui ne s’inscrirait pas dans une redéfinition globale de la fiscalité et de ses objectifs, apparaîtra comme une sanction et dès lors comme une injustice. En effet, son affectation et sa gestion vont de nouveau échoir aux caciques du système en place et sera de ce fait considérée comme sectaire et inefficace.
L’idée qui est fondamentalement bonne, nécessite comme préalable, que la restauration du Qualitatif trouve ses héros et s’inscrive dans une nouvelle Ethique. Il faut qu’un nouveau pouvoir structuré redéfinisse une fiscalité qui sera, alors seulement, considérée comme « juste ».
Pour être acceptées, les taxes écologiques doivent s’inscrire dans une réforme plus vaste. Elles doivent être administrées différemment, c'est-à-dire, non par une administration coûteuse remettant toujours les mêmes personnages du passé en place, mais par un nouvel organisme ayant nos nouvelles valeurs d’utilité, d’efficacité, d’honnêteté et de Qualité comme guides.
Quel que soit la direction dans laquelle on regarde, le mot d’ordre ne peut être que celui du changement des attitudes, des esprits et des valeurs. L’évolution du quantitatif vers le Qualitatif afin que les objectifs et les aspirations des hommes évoluent.
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » (Mark Twain)
Un autre fondement de la crise économique actuelle est tout simplement l’égoïsme, la cupidité et l’« après-moi-le-déluge ». Cette crise aura au moins eu la vertu de répandre la prise de conscience de l’urgence de la situation.
Notre société occidentale a érigé en règle la vertu quasi divine du marché et l’équilibre obligatoire auquel le libre marché conduit. Cela n’est vrai que si les acteurs du marché sont honnêtes et ont un pouvoir identique. Or cette égalité des chances n’existe pas. Pas plus que la nature intrinsèquement « honnête » de tous les hommes. Nous confortons ainsi la loi du plus fort et du plus riche en permettant à ceux-ci d’imposer leur loi.
Que peut véritablement espérer la population paysanne du Burkina Faso lorsque le prix du coton est maintenu à un niveau mortellement bas par des fermiers américains subventionnés, qui ainsi soutiennent les industries de transformation, qui peuvent truster tout le bénéfice de la transformation du coton, en payant la matière première moins cher que le minimum vital ? Il n’y a aucune égalité des chances dans un monde où c’est le plus riche qui gagne toujours.
Et ces viols permanents de la plus élémentaire morale, non seulement ne sont pas sanctionnés, mais sont devenus une norme admise grâce au culte du quantitatif qui impose sa loi.
Celui qui corrompt le système financier, celui qui viole la planète, celui qui vole le travail des plus faibles, celui-là s’enrichit et accède au statut de milliardaire. Il est envié de tous et glorifié par les médias. L’impunité de ceux-là est scandaleuse !
Comment avec ces nouveaux héros cathodiques peut-on encore inculquer l’honnêteté, l’abnégation, la constance et le courage dans les « quartiers » ou même à nos enfants ?
Évidemment je ne parle pas des individus qu’ils soient industriels, commerçants ou financiers, et qui font leur métier honnêtement, voire de manière admirable. Cela existe, mais fait beaucoup moins à l’audimat qu’une angoissante fermeture d’usine ou un reportage sur le luxe tapageur d’un magnat.
Le véritable sujet de préoccupation est autant la contagion des comportements délétères que le fait même que ces comportements délétères soient possibles, admis, glorifiés et évidemment impunis.
Ce qui frappe le plus, c’est l’absence totale de contre-pouvoir au culte du « toujours plus ».
Il n’est évidemment pas question d’éliminer les égoïstes sans scrupules qui constitueront toujours une frange des défauts humains, mais il est choquant de constater qu’aucun contre-pouvoir n’est efficace pour endiguer leur nuisance qui, elle aussi, s’est mondialisée avec le système.
Qu’une industrie abuse du tiers-monde, que trop de moteurs trop gourmands continuent à assécher la planète, que l’eau soit polluée de manière impunie, que l’armement obtienne plus de crédits que l’éducation, cela est consternant et triste. Mais aucun contre-pouvoir assez fort n’existe pour dire haut et fort le scandale et réclamer d’autres comportements et Valeurs.
Il faut créer un contre-pouvoir, non pas pour s’opposer, mais pour proposer.
Jusqu’à présent il semble que les solutions préconisées restent trop souvent sans effet, sans applications où au mieux, pénètrent avec une lenteur déprimante. Il existe bien quelques « stars » de la contestation, mais ils jouent cavalier seul pour leur plus grande prospérité. Aucun parti à ce jour n’existe qui ait repris à son compte la vigilance, la dénonciation, et les préconisations nécessaires. Aucun parti n’a été créé ou n’est arrivé à prendre la position de contre-pouvoir afin de fédérer autour de soi, ceux qui aspirent à un avenir différent et meilleur.
Cette absence de tout contre-pouvoir est la plus grande faiblesse de nos sociétés. L’absence de courage et de générosité fait obstacle au plus élémentaire bon sens. Ce vide laissé par les « opposants » institutionnels fait le lit du système quantitatif dans lequel politiques et dirigeants de tous bords, vedettes médiatiques et ploutocrates se vautrent dans une orgie contre nature. («Ploutocratie » dans le Dictionnaire Larousse = gouvernement exercé par les riches.)
Malgré leurs discours, ‘ceux d’en haut’ ne font rien pour que les choses changent à la vitesse à laquelle les choses doivent changer.
A chaque augmentation de 1 % du prix des denrées de base, 16 millions de personnes supplémentaires sont plongées dans l’« insécurité alimentaire ». ( Référence : « L’agriculture pour le développement », rapport 2008 de la Banque mondiale « L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde », rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO))
Et pendant ce temps, les agro-industries continuent à utiliser les terres pour remplir les réservoirs des voitures plutôt que le ventre des hommes simplement parce que les voitures rapportent plus d’argent.
Chaque terrain de golf construit en Espagne consonne impunément l’eau nécessaire pour une ville de 15000 habitants. Et pendant ce temps, les promoteurs continuent à construire des terrains de golf inutilisés autour de leurs lotissements, car la marge de revente d’une villa y est supérieure.
Les pêches illégales et clandestines de poisson représentent quelque 20% des prises mondiales. Et pendant ce temps, les marchés internationaux du poisson négocient toutes les espèces quelle que soit la provenance des denrées car chaque transaction génère des commissions.
Selon une information de l’AFP datée du 29-01-09, plus de 4000 des 52000 installations industrielles de l’Union Européenne, soumises à autorisation pour leurs émissions polluantes, sont en infraction.
L’impunité de ce que l’on peut appeler « le grand banditisme économique » qui spolie à son seul profit les ressources universelles de la planète est flagrante et choquante.
Cette impunité est permise par l’absence de contre-pouvoir.
« La terre peut satisfaire les besoins de chacun mais pas la cupidité de tous » (Mahatma Gandhi)
Pour exister, un contre-pouvoir doit avoir des objectifs qui transcendent le quotidien avec ses défauts et ses frustrations.
Les crises que nous traversons sont là pour indiquer, on ne peut plus clairement, quelques-uns des nouveaux thèmes Qualitatifs auxquels il est nécessaire de s’atteler.
l Moralisation des rapports économiques
l Sanction de la délinquance économique et écologique
l Respect de l’environnement et des ressources
l Réforme de l’enseignement
l Abandon des technologies et comportements polluants
l Promotion des nouvelles technologies de progrès
l Développement, assimilation et respect des cultures
l Valorisation des actes non-marchands
l Diminution du poids des appareils administratifs
l Modification des comportements et modes de vie
l Légitimité, efficacité et moralité des gouvernances.
Au-delà d’un programme, un vrai contre-pouvoir planétaire doit aussi pouvoir véhiculer un mot d’ordre simple qui contienne et résume l’essentiel de la démarche.
Après la Révolution qui instaura l’hypothèse de l’égalité des chances, le capitalisme a dit « enrichissez-vous !», et tout le monde a cru que c’était possible pour chacun.
En réalité, cela a été vrai pendant un certain temps ; le temps que les places soient prises, que les niches soient exploitées, que s’ancrent les privilèges et que la dureté s’installe. Et lorsque le rêve de devenir millionnaire ne peut plus se réaliser, le système n’a plus que ses faiblesses à montrer. Alors pour que cette illusion continue, le capitalisme et ses ploutocrates rémunèrent des figurants que sont les leaders syndicaux, les chefs de parti, les stars du divertissement, les serviteurs du système afin qu’ils paradent pour entretenir l’illusion que le miracle est toujours accessible. Les jeux télévisés fabriquent en direct les stars d’une saison pour que le rêve reste assez vivace et fasse oublier la réalité.
Le culte du Veau d’Or est formidablement protégé par la célébration universelle du quantitatif qui mesure les joies comme les misères.
Nous mesurons le CO² dans l’air (en mg), nous calculons le niveau de ressource minimale (en $), nous projetons la montée des océans (en m), et nos solutions s’élaborent et s’expriment dans un paradigme quantitatif qui est précisément au cœur des problèmes.
Non, il ne faut pas supprimer le contrôle des seuils ni démanteler les sciences, ni abolir les ingénieurs et les mathématiciens qui contribuent à l’amélioration de notre santé, de notre confort, de nos moyens.
Mais nous devons avoir la folle ambition de doter l’humanité d’une quatrième dimension. Retrouver et restaurer le Qualitatif dans nos choix et nos comportements spontanés afin que les seuils critiques ne soient jamais atteints.
Cela ne pourra se réaliser pleinement que si le Qualitatif devient une vraie valeur aussi riche et glorifiée –voire plus– que le quantitatif.
Cela commence dans les familles, dans les écoles, dans les universités, dans les entreprises, dans les médias, dans la politique, partout !
Le Qualitatif est une notion abstraite dans laquelle chacun mettra les définitions qu’il voudra mais qui doit en tout cas abriter des valeurs déconsidérées comme la morale, le temps, l’éthique, la générosité, le respect, l’équité, l’amour aussi.
Moins d’espace et plus de capacité, moins d’achats et plus d’usage, moins de matières et plus de conscience… voici les voies du futur
Nous devons passer d’une société quantitative à une société Qualitative. Remplacer plus par meilleur. Donner à mieux une valeur supérieure à plus.