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Billet de blog 9 mai 2013

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Lettre d'une étudiante à François Hollande

"Monsieur le Président de la République, D'abord, je me présente : Mauricette F. (comme "fake"), 20 ans, étudiante en deuxième année d'Histoire à la Sorbonne.  (ce texte satirique est un pastiche, à mettre en relation avec la soi-disant "lettre d'une étudiante à François Hollande" publiée quelques selaines auparavant)

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"Monsieur le Président de la République,
D'abord, je me présente : Mauricette F. (comme "fake"), 20 ans, étudiante en deuxième année d'Histoire à la Sorbonne. 

Je ne suis absolument pas un jeune quinquagénaire militant encarté dans un parti politique qui n’est pas le vôtre, comme certaines mauvaises langues l’insinuent, arguant l’opportunisme suspect avec lequel je tire innocemment sur l’ambulance. 

Mauricette F. étudie l'Histoire dans la même faculté que Clara D., dont elle est la meilleure amie.

Si je vous écris, c'est pour vous expliquer pourquoi j'aimerai faire ma vie en France, malgré votre gestion très critiquable de la crise financière. A la différence d'une majorité de jeunes Français, d'ailleurs, à en croire les résultats de ce sondage Viavoice pour W-Cie publié en avril. A la question : "Si vous le pouviez, aimeriez-vous quitter la France pour vivre dans un autre pays ?", 50 % des 18-24 ans et 51 % des 25-34 ans ont répondu oui, contre 22 % pour les personnes âgées de plus de 65 ans.

Vous voyez, les temps changent. Mes parents relativement aisés et mon amie Clara D. avaient eu la tentation de la richesse, j'ai la tentation de la réussite. Mes parents, qui peinent aujourd'hui à accumuler une retraite confortable en continuant à travailler au delà de leurs annuités, rêvaient d'incarner les self-made-men à la française ; je ne songe qu'à vivre décemment en exerçant un métier qui me plait ou des activités extra-professionnelles qui me semblent utiles, quitte à consentir quelques sacrifices pour venir en aide à ceux qui n’en ont pas été capables. Comme 59% de la catégorie socioprofessionnelle supérieure française qui, à la question « Selon vous, réussir sa vie professionnelle,c’est plutôt… ? », répond « Créer et distribuer de la richesse plutôt que créer et accumuler de la richesse », d’après l’étude CSA-Essec sur la réussite publiée en 2011. Et même si je pense que l’entreprise doit être le vecteur de la réussite comme 60% de mes compatriotes « CSP+ », je pense comme 36% d’entre eux que la redistribution fiscale en est une composante majeure.

Cela va sans doute vous choquer, mais je suis, comme tous mes concitoyens ou presque, une "assistée" : je sais que je n'aurais pas les moyens de vivre sans les infrastructures que j'utilise quotidiennement pour accéder à de l'eau potable (épuration, acheminement, normation etc. : je consomme quotidiennement 150 litres d'eau potable qui doivent être amenés, évacués, assainis, contrôlés,…  et vu que je n’ai pas le choix de cette dépense obligatoire, heureusement que pour l’instant ce ne sont pas les marchés privés qui se mettent d’accord pour savoir combien je dois payer, comme pour ces arnaqueurs d’opérateurs téléphoniques !), payer les techniciens qui assurent que l'électricité produite dans des usines de haute technologie arrive jusque mon PC  (EDF était encore une entreprise à 84% publique en 2010) ou voyager à travers ma ville (entre construction et entretien des routes et des transports en commun, ça doit pas être donné : déjà que la copropriété est déjà moyen chaude pour mettre aux normes la cage d’escalier, je doute qu’elle soit jouasse à l’idée de combler les nids de poules dans le bitume devant mon immeuble pour plusieurs dizaines de milliers d’euros), ni les moyens de payer la police qui assurent que les gangs ne dictent pas leur loi dans mon quartier (même si ils pourraient être plus prévenants, enfin bref c'est une autre histoire). Par exemple, je ne pourrais pas avancer les frais réels que la France a engagé pour mon éducation (113.750 euros : coût théorique en 2005 d’une scolarité de 18 ans, menant sans redoublement à une licence, soit plus de 5.500€/an, sur lesquels je paie moins de 100€ grace à mabourse d'études supérieures, selon http://www.boivigny.com/), mon modeste logement (dont l'état paie plus de 40% via les APL) ou ma santé (je coûte 2.500€ de consommation de soins et de biens médicaux pour un français et pour un an en 2011 - sur lesquels j'ai dépensé moins de 500€, en tenant compte des remboursements de la sécurité sociale et de ma mutuelle,selon les chiffres de l'INSEE). Et j'en passe, et des meilleures.

Alors bien sûr,je n'ai pas envie de travailler toute ma vie pour payer des impôts si une bonne partie ne sert qu'à honorer les 1 900 milliards d'euros de dettes que votre génération nous a aimablement légués en héritage. Mais je ne suis pas idiote au point de penser que mon niveau de vie ne vous coûte rien(j’ai fait l’Asie l’été dernier, et bah bonjour le service public dans la campagne népalaise : je ne suis pas jalouse de leur taux d’imposition médian de 1%). Je sais qu'hélas vos emprunts n'ont pas assez servi à investir et préparer l'avenir du pays : vous ne remplissez pas assez bien votre part du contrat, comme les autres présidents avant vous. Mais ils ont permis à assurer à ceux qui, comme moi aujourd'hui, n'ont pas les moyens de s'assurer une protection généreuse mais nécessaire, de vivre au-dessus de leurs moyens :non, je n’avais pas les moyens de me faire hospitaliser, il y a deux mois, après un bête mais relativement grave accident domestique qui m’aurait coûté près de 2.500€. Aurais-je du me recoudre toute seule ? Je sais bien entendu qu'on ne vit pas une vie "pépères" avec deux RSA plus les allocs pour un couple et deux enfants, et que nous ne pouvons pas laisser mourir nos voisins sous prétexte que ce sont des assistés : je crois en la fraternité, j'allais dire"coûte que coûte" mais j'ai peur que cela ne froisse certains qui aimeraient avoir plus que nécessaire quand d'autre ont moins que nécessaire. Je précise que bien entendu, je déteste et condamne comme tout le monde le manque d'éducation qui pousse certains à se reposer sur le travail des autres.

Mon travail etmes impôts vont devoir également payer vos retraites que vous n'avez pas pris la peine de protéger. Vous qui vous disiez "ennemi de la finance", vous avez fait preuve de la mollesse qu'on vous reprochait en n'endiguant pas les fuites financières vers les comptes privés de certains via les plateformes financières que vous savez. Et puis aussi tous les frais de santé et de dépendance de toutes ces personnes âgées que vous allez devenir et qui, dans moins de vingt ans, seront majoritaires dans le pays ? Certes, l'hôpital public soigne même les personnes qui n'en ont pas les moyens, et c’est tant mieux. Que me restera-t-il comme argent pour vivre convenablement et élever mes enfants ? J'ai lu il y a quelques jours une étude de l'économiste Patrick Artus qui m'a fait un peu froid dans le dos : "Avec la faiblesse de la croissance potentielle et compte tenu du vieillissement démographique, écrit-il, les jeunes français ont la perspective de subir une stagnation continuelle de leur pouvoir d'achat pendant leur vie active." Bon évidemment, quand on sait que pour la majorité des français, le pouvoir d'achat est moins important dans la réussite professionnelle que les loisirs et la famille (39% des français de 16 à 30 ans, contre 20% qui pense que la réussite professionnelle passe par l'argent, d'après un sondage ministériel de l'IFOP réalisé en 2011), on relativise un peu : ok on ne roulera pas sur l'or, mais on se soignera et on mangera à notre faim.

Je comprends ceux qui étudient l’Histoire mais qui jugent que la recherche ou l’enseignement ne paie pas assez pour eux et qui dépriment, en imaginant de quoi sera faite leur vie s’ils restent en France. Une fois leurs études d’Histoire terminées, une fois leurs beaux diplômes d’historiens obtenus, chercheront sans succès un emploi d’historien dans un service d’Histoire Appliquée d’une des peu nombreuses entreprises d’Histoire cotée en bourse avant d'enquiller pendant des années les stages et les CDD (le monde de l’entreprise est mystérieusement peu clément avec les formations humanistes, trop souvent jugées non rentables, et la ratification du processus de Bologne risque de ne pas aider, mais c'est une autre histoire). Nous serons nombreux à être, comme le disent les spécialistes, je crois, la "variable d'ajustement" d'un marché du travail qui profite de la désintégration des acquis sociaux que vous ne semblez pas très motivés à enrayer. Avec ces petits boulots précaires et mal payés, il nous sera impossible de convaincre un banquier de nous accorder un prêt immobilier pour nous acheter un appartement à Paris, puisqueaucun président ne semble motivé à porter les lois de moralisations de la finances qui feront disparaître la logique de rentabilité qui dicte leur comportement à nos banquiers

Cela dit, je sais que si jamais, par une sorte de miracle improbable, je venais à gagner beaucoup d'argent, je sais d'avance je devrais en reverser une partie au fisc, et que cet argent, réinjecté dans le service public via mes impôts, permettra à l’état d’octroyer à d’autres jeunes les bourses et les APL qui leur permettront de se former et de faire leurs humanités. Et si j’ai les moyens de nourrir et loger ma famille et mes amis, croyez moi que l’éventuelle opprobre général de mes concitoyens et votre mépris personnel me chaloiront peu.

Tiers-payant pour les soins, bibliothèques gratuites, musées en accès libre, aide au logement,bourse au mérite : je sais ce que je dois à mon état.

Voilà pourquoi, Monsieur le Président, je ne songe pas à quitter la France. Sauf peut-être si votre - au demeurant charmant - ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, ne cessait pas un peu de se préoccuper des dangers de l'immigration de la manière dont il le fait. Et pour partir où de toutes façons ? En Allemagne peut-être, où la loi ne prévoit pas de salaire minimum et où, ne parlant pas l’allemand, je peinerai à m’intégrer malgré mon diplôme d'Histoire ? Ou alors plus loin, au Canada, en Australie, loin du pays que je connais et que j’appelle le mien ? Ou alors dans un pays en développement. En Afrique, pourquoi pas ? Si je peux être utile ailleurs je le ferai, mais je paierai mes impôts en France aussi.

Car - c'est aussi ce qu'indiquait le sondage Viavoice - je suis comme l'ensemble des jeunes Français. Je ne vois pas du tout la mondialisation seulement comme une menace, mais aussi comme une chance. Mais ce n'est sûrement pas dans une France qui dit agir pour s'en protéger sans pourtant s’en protéger beaucoup au final, où vos ministres et camarades socialistes passent leur temps à dire qu'elle constitue un mal absolusur la base des fermetures d’usines, des détériorations des conditions de travail et de la fuite des flux financiers que vous ne voulez décidément pas réguler, que j’aurais pu en profiter – d’ailleurs, n’étant pas administratrice de multinationale, je n’en aurais tiré aucun bénéfice pécuniaire. 

Alors, oui, j'ai envie d'aller vivre dans un pays où il y a de la croissance, où les salaires augmentent, où être riche n'est pas puni de prison, un pays surtout où l'on a le sentiment à la fois individuel et collectif que demain sera meilleur qu'aujourd'hui.

Et je veux que ce pays soit la France. Et je ferai ce que je peux pour vous y aider, vous et les présidents après vous quel que soit leur étiquette politique.

Ainsi vous ne me direz pas que je manque du sens le plus élémentaire de la solidarité nationale, que je suis affreusement matérialiste et parfaitement égoïste. Ce qui aurait sans doute été un peu vrai dans ce cas. Cela ne m’empêchera pas de vous reprocher l'égoïsme dont ont fait preuve vos prédécesseurs et dont vous risquez de faire preuve vous-même, si vous aussi vous sacrifiiez notre génération en gaspillant l'argent public pour ne pas avoir à prendre de décisions difficiles.

Il ne vous reste que quatre ans, Monsieur Hollande, pour faire "bouger les choses", pour redonner un peu d'espoir à une jeunesse qui ne peut pas s'en passer. Aujourd'hui j’ai peur que si vous ne preniez pas les choses en mains, après vos grands discours enflammés sur les jeunes, et qu'en un an la France vieillisse de dix ans. Qu'elle se rabougrisse, se fige, se crispe, s’aigrisse à toute vitesse. Cela serait dommage. Cela serait du gâchis.

Voilà ce que tenait à vous dire, Monsieur le Président, la citoyenne que je suis et la française fière de son pays qu'il me tarde d'être."

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