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Billet de blog 23 avril 2024

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L'écopaturage ou la conquête des villes par l'enseignement agricole

L'écopâturage ouvre la voie à l'expansion du rôle de l'enseignement agricole qui formera les bergers urbains et ruraux à la gestion des troupeaux et des espaces. Ces bergers participeront aussi à la formation des habitants à une nouvelle relation avec les animaux, produite par la cohabitation dans les espaces et à la réflexion concernant les mobilités et la place des piétons.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De plus en plus d'établissements d'enseignement agricole expérimentent depuis plusieurs années l'éco-pâturage. Par exemple, au lycée agricole de Chaumont, sept brebis se nourrissent de l'herbe qui pousse entre les pieds d'osier. Il peut s'agir de partenariats avec des exploitations qui fournissent ces animaux aux établissements de formation. Les lycées agricoles peuvent aussi servir de ressource pour le développement de l'éco-pâturage.

A Chaumont, par exemple, cette nouvelle fonction des lycées agricoles aboutit à un partenariat entre l'établissement de formation et la ville. En effet, des brebis issues de l'élevage scolaire sont déployées dans différents sites de la ville. Ces partenariats sont l'occasion de rappeler que le rôle des lycées agricoles ne se limite pas vraiment à l'animation ou le développement des espaces ruraux.

Ces pratiques d'éco-pâturage entrent de plus en plus dans nos villes. Il revient à l'enseignement agricole de favoriser le développement de cet usage. L'utilisation d'animaux herbivores pour l'entretien des espaces verts en milieu urbain est l'occasion d'amplifier le rôle de l'enseignement agricole en milieu urbain.

Ce rôle n'est pas nouveau, notamment par le biais des formations en aménagements paysagers qui forment une partie des professionnels des espaces verts qui peuvent exercer leur métier en milieu urbain afin de gérer les parcs et jardins. Il revient donc à l'enseignement agricole de former ces professionnels, les techniciens de collectivité ou les entrepreneurs paysagistes à l'éco-pâturage. Ce sont eux qui vont contribuer à réintroduire les animaux dans les villes.

Illustration 1
Trois moutons devant l'entrée du CFA/CFPPA d'Avize (dans la Marne)

L'éco-pâturage apparait ainsi comme un moyen pour les villes de s'inscrire dans des pratiques d'entretien des espaces verts qui sont plus respectueuses de l'environnement. Il limite aussi la place des machines et s'oppose en partie aux réponses technocentrées des politiques publiques environnementales. Il pose néanmoins de nombreuses questions notamment à propos du réaménagement des espaces urbains qui doivent permettre aux animaux de circuler sans difficulté. Le développement de l'éco-pâturage est aussi l'occasion de réinterroger le partage de l'espace entre les animaux et les piétons, qui devront emprunter les mêmes espaces et les véhicules.

La déambulation des animaux d'éco-paturage sera organisée par des berges urbains formés dans l'enseignement agricole. La cohabitation dans les espaces de circulation entre animaux et piétons nécessite également une nouvelle éducation spécifique en matière de relation avec l'animal. Il reviendra ainsi à de futurs "bergers urbains" formés dans les lycées agricoles de non seulement gérer ses troupeaux urbains mais aussi de travailler à former les habitants des villes, notamment les plus jeunes, à un retour de la cohabitation avec les animaux, cohabitation limitée aux espaces de circulation et aux espaces en éco-pâturage.

La question du respect animal étant central dans cette éducation future. La cohabitation avec les animaux dans les espaces urbains sera un atout pour réinterroger nos usages de la ville et nos déplacements, En effet, cette cohabitation avec des animaux dont le rythme des déplacements est différent de ceux des humains, nous conduira à repenser différemment notre mobilité dans ces espaces et leur rythme. Il existe plusieurs initiatives et expériences de collectifs qui vont dans ce sens en dehors des espaces les plus institués de la formation.

C'est le cas par exemple de la Bergerie Urbaine de Lyon qui assure la gestion du troupeau (déplacements, garde, soins, gestions de parcelles, naissances), valoriser la laine à travers la couture par exemple et participe aux productions agricoles. L'amplification de ces expériences de collectifs et l'implication plus grande des collectivités publiques ouvriront à l'enseignement agricole un nouvel horizon de développement dans cette branche de l'agriculture urbaine, qui concernera aussi les espaces ruraux. 

Les centres de formation pour adultes, rattachés aux lycées agricoles, ont déjà entamé en partie ce changement. C'est le cas par exemple du Réseau des CFA et CFPPA Pays de la Loire qui assure une formation intitulée "Développer un projet en éco-pâturage". Le contenu de la formation est principalement centré sur la dimension technique, juridique et gestionnaire de l'éco-pâturage. Le développement de ces programmes à destination de publics urbains conduira à introduire dans des formations plus longues la question de la place du rapport aux animaux, à la nature et à une réflexion approfondie sur les formes de mobilité spatiale qui permettent la mise en oeuvre de l'éco-pâturage. La place des sciences humaines et sociales dans ce type de formation sera à développer pour alimenter cette réflexion.

On ne peut pas se satisfaire d'une conception seulement technique de ce métier de berger urbain. Si les arguments écologiques sont toujours mis en avant lorsqu'il s'agit de favoriser l'éco-pâturage, cette pratique interroge également les relations entre les humains et leur rapport à l'espace et aux mobilités. L'éco-paturage ne consiste pas seulement en un remplacement d'un entretien motorisé ou mécanique par du pâturage animal. La conservation de la biodiversité et la réduction des émissions carbone ne peuvent se faire que dans le cadre de cette réflexion. Or, c'est l'éco-pâturage qui constitue en réalité un outil central pour réinterroger nos usages des espaces urbains (et ruraux). La question du lien social favorisé par l'éco-pâturage doit aussi être replacée au centre de l'analyse de cette pratique. On sait que les animaux sont un vecteur très important des relations sociales, notamment entre le voisinage et dans l'espace public. Les bienfaits de cette pratique sur le dialogue entre les éleveurs, les bergers urbains ou ruraux et les citoyens doivent être mis en lumière par des travaux en sciences sociales. Il ne faut pas non plus négliger l'enjeu de la diminution de la nuisance sonore dans les quartiers, qui constitue souvent une source de conflit entre voisins. 

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