
Adapté du roman de Sade « Les 120 journées de Sodome », Salò témoigne d’une fidélité absolue au texte. Excepté les quelques modifications découlant d’une synthèse nécessaire, Pasolini apporte pourtant une nouveauté dans son film : à la France du XVIIIème siècle, il substitue l’Italie à la fin de la seconde guerre mondiale. Petite ville italienne située sur la rive occidentale du lac de Garde, Salò est le dernier bastion d’un « fascisme dégénéré », où Hitler installa Mussolini, une fois libéré par ses commandos, pour y constituer le 17 septembre 1943 la « République Sociale Italienne ». Le film de Pasolini se présente comme une métaphore sadique des crimes contre l’humanité perpétués par le régime et de la « dissociation nazi-fasciste ». Entendons par cette dernière, le fait pour les « puissants » de considérer leurs semblables comme des objets et de supprimer a priori toute possibilité de rapport humain à leur égard. L’auteur lui-même présente son film comme « le rêve fou, inexplicable de ce qui s’est passé dans le monde pendant les années quarante ». En cela proche de Sade, le pouvoir fasciste devient chez Pasolini le symbole de l’anarchie du pouvoir. Ainsi, si « l’anarchie des exploités est désespérée, idyllique, et surtout au jour le jour, éternellement irréalisée » , l’anarchie du pouvoir tient du bestial. Cette dernière, découlant du pouvoir législatif, exécutif ou autre, parvient à couvrir la violence la plus primitive des forts contre les faibles, avec science et méthode, par sa réglementation en articles de code, puis par son application. Salò est par conséquent la dénonciation de ce pouvoir anarchique, qu’est le régime nazi, capable de transformer les corps en choses. Cependant, ce que Pasolini nomme le génocide apparaît comme une notion plus large que son sens usuel. En effet, influencé par le Manifeste de Marx qui décrit le génocide perpétré par la bourgeoisie sur le sous-prolétariat et certaines populations coloniales, le cinéaste estime également que, sans bourreaux ni exécutions de masse, la destruction des valeurs dans l’Italie de l’après-guerre conduit progressivement à la mise à mort de larges strates de la société elle-même. Celles-ci, « qui étaient pour ainsi dire demeurées en dehors de l’histoire – l’histoire de la domination bourgeoise et de la révolution bourgeoise – ont subi ce génocide, à savoir cette assimilation au mode et à la qualité de vie de la bourgeoisie » . A la différence que, si au XIXème, notamment dans les conquêtes coloniales, la violence était plus manifeste, explicite, les changements de valeurs ont au XXème siècle trouvé appui dans une persuasion occulte, plus subtile et en cela plus perverse. La télévision est l’un des outils majeurs de ce nouveau pouvoir.
A suivre...