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Billet de blog 16 avril 2008

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Salò, l'antidote contre l'horreur (5)

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Le film de Pasolini est conçu contre le cinéma bien-pensant et contre la « violence de masse » qu’un tel cinéma peut entretenir. La « violence de masse », c’est ce fascisme ordinaire par lequel l’homme s’approprie l’homme, tout en maintenant le fossé sacré entre les gouvernants et les gouvernés. Loin d’agir sur notre émotivité, à l’instar d’un certain cinéma commercial contemporain, Salò s’adresse directement « à nos fibres et à nos tripes d’êtres sexués-pensants ». Nous réagissons ainsi physiologiquement à l’idéologie fasciste. Celle-ci n’y est en effet pas appréhendée intellectuellement mais insufflée immédiatement dans notre moi psychologique. Aussi convient-il d’y voir une remise en question totale de la construction cinématographique de la violence. Le film ne saurait se réduire à son contenu, la démonstration politique du chaos, sans une forme également porteuse de sens.
Ainsi le montage long et la caméra figée, frontale, interdite, s’inscrivent en réaction contre un cinéma traditionnel, au rythme effréné, qui empêche toutes prises de recul et de position critique du spectateur. Ensuite, la mise en scène théâtralisée à l’excès, présentant des tableaux quasi sacralisés - et aidés des contrepoints musicaux – ainsi que la redondance des faits sadiques comme structure narrative même soulignent une fois de plus l’horreur dans le jeu, la violence dans l’art. Enfin, l’organisation rigoureuse du récit et son architecture interne (les trois cercles, les conflits tension/détente, parole/action, …) expriment la rigidité et le dogme fascistes.
Nous comprenons dès lors que, ne laissant aucune échappatoire au spectateur, Pasolini opte pour l’horreur comme antidote contre la violence. La représentation du mal devient le mode d’exorcisation, la mise en abîme de ce dernier. Et la reconstruction de la violence est employée aux fins de la déconstruire. Le cinéaste évite ainsi l’écueil : son film doit pouvoir s’inscrire dans une visée « virtuellement » positive. Le pessimisme de constat de Salò ne se renfermera pas sur lui-même. Rappelons la scène du soldat qui, surpris avec une servante noire, meurt, le poing levé. Pasolini ouvre en effet ici une brèche, rompant avec sa logique de démonstration a contrario. Ainsi que l’écrivait Christian Depuyper en 1976 dans la vieille revue Cinéma : « Le cinéma de la négativité pure pose l’exigence de la positivité », et ajoutait-il : « La prise de possession de l’homme, ici décrite par le truchement, ô combien significatif, du sexe, exige la mise en liberté de l’homme » (Cinéma n° 211, p. 102-108). Salò prend ainsi la forme d’une thérapie fictionnelle homéopathique contre le fascisme. Jamais catharsis n’aura été aussi aigue au cinéma.
Cela n’a pourtant pas suffi…
Artistes, écrivains, journalistes, au travail !

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