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Billet de blog 8 octobre 2014

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L'abandon du champ politique au FN est un risque

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Le "tour de France"a démontré la réelle implantation du mouvement dans la vie quotidienne d'un nombre croissant de concitoyens; les dernières illusions d'un vote contestataire qui s'exprimerait à l'occasion des grandes élections nationales, mais dont personne ne voudrait réellement, a clairement volé en éclat.

Un militant fidèle colle des affiches à Forbach. Derrière sa moustache s'exprime l'espoir d'une classe ouvrière délaissée. On comprend que pour une frange croissante de la population, la montée du FN c'est l'attente du Grand Soir. A la différence près que Marine Le Pen ne propose pas un monde nouveau pour un Homme nouveau. Souverainisme, critique du libéralisme, de la mondialisation et de Bruxelles, le discours passéiste proche d'un gaullisme surrané trouve un écho protecteur auprès des populations les plus défavorisées.

Comment expliquer que le seul discours rassembleur soit aujourd'hui le plus passéiste, décrivant une France fantasmée qui n'est plus et ne peut plus être? Le documentaire superpose la carte du chômage et celle du vote frontiste pour resservir le poncif d'un FN prospérant sur la misère humaine. Sans expliquer pourquoi depuis les années 90, le chômage augmentait de 20% et Le Pen de 200%.  Argument insuffisant. On pensait par ailleurs que les théories ainsi exprimées parlaient à la nostalgie d'un électorat plus senior. "La jeunesse emmerde le Front National" chantaient les "Bérus" dans les années 80. Se doutaient-il que 25 ans plus tard la jeunesse plébiciterait ce même FN? Comment peut-on concevoir que cette jeunesse connectée, pour qui la mondialisation est une évidence, se rassemble derrière la vision d'une France qu'elle n'a même pas connue?

La raison en est que le FN est le seul parti du paysage français à assumer un projet POLITIQUE. Dans le sens grec de Polis, l'avenir de la cité, la sphère publique. On a un peu facilement considéré que le politique était mort. L'idée générale que la principale préoccupation du citoyen était le pouvoir d'achat, la croissance, le mythe du panier de la ménagère, a justifié l'abandon du champ politique par la classe politique. L'idée que les grandes constructions humaines étaient mortes au tournant des années 90 avec la chute du communisme ont laissé la part belle à un tout économique, longtemps cantonné à la sphère privée. Pourtant, c'est mépriser le besoin de l'homme exprimé depuis ses origines, depuis les sociétés du paléolithiques, de construire un futur commun. La France de Marine, on l'imagine d'autant plus facilement qu'elle se réfère à ce qui a déjà existé; on la conçoit comme une globalité. Elle propose aux citoyens de reprendre la main sur leur destin, alors que le reste de  la classe politique propose une adaptation aux évolutions d'un monde subi. L'Europe, un beau projet, a échoué à incarner cette nouvelle cause commune, faute de prise des citoyens sur leur avenir. Une Europe subie ne peut constituer un projet politique.

Personne ne se visualise la France de Hollande. Pas plus que celle de Juppé, pourtant très bon et relativement rassurant récemment. Un politologue sur France 3 expliquait le succès du FN par sa capacité à raconter un "roman national", auquel chaque citoyen peut participer à l'écriture. Juste analyse: proposer à des citoyens d'écrire en commun une histoire, qui deviendra l'Histoire, c'est l'essence même du politique en démocratie.

Une refonte institutionnelle permettant de redonner au peuple son rôle d'acteur est donc essentielle. Mais elle ne sera qu'un support permettant de porter un projet politique, elle ne le remplacera pas. Quel sera le rapport entre les hommes demain? Les écologistes ont échoué à faire passer leur projet  d'avenir : relocalisation, travailler moins pour gagner moins, consommer moins et vivre ensemble. La faute aux dissensions, à l'alliance avec les socialistes productivistes focalisés sur la sacro-sainte croissance, pourtant inconcevable à l'infini. Les initiatives "décroissantes", les modes de consommation locaux, l'"urgence de ralentir", que Noël Mamère exprime mieux en tant que journaliste qu'en tant que politique, traduisent une lame de fond de la société civile. Sans qu'aucun politique n'ait pu synthétiser ces aspirations en un projet politique cohérent. Il s'agit pourtant d'un vrai modèle de société à construire, pour peu qu'on ose dire aux citoyens qu'ils n'en mettront pas plus dans leur panier, et qu'ils n'en seront certainement pas plus malheureux. Ce à quoi aucun politique ne se risque.

Tout autre grand projet est par ailleurs le bienvenu, car il est très glissant de penser qu'on peut laisser les citoyens ne croire en rien. Ils se raccrocheront alors à n'importe quoi, même au pire.

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