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Billet de blog 21 juin 2013

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Corruption en politique: parce que les Français le veulent bien

Les débats parlementaires autour de la loi sur la « transparence de la vie publique » ont été le théâtre d'une énième remise en cause des propositions de François Hollande telles qu'elles avaient été soumises, notamment concernant l'inéligibilité à vie des élus condamnés ; son champ d'action pourrait être restreint aux accusations les plus graves (le détournement de biens publics ne le serait apparemment pas assez aux yeux du législateur), mais également l'inéligibilité serait ramenée à 10 ans.

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Les débats parlementaires autour de la loi sur la « transparence de la vie publique » ont été le théâtre d'une énième remise en cause des propositions de François Hollande telles qu'elles avaient été soumises, notamment concernant l'inéligibilité à vie des élus condamnés ; son champ d'action pourrait être restreint aux accusations les plus graves (le détournement de biens publics ne le serait apparemment pas assez aux yeux du législateur), mais également l'inéligibilité serait ramenée à 10 ans. Cette dernière modification soulève un tollé notamment sur les bancs de Droite, monsieur Wauquier ne manquant pas de fustiger "une véritable capitulation de François Hollande devant les barons socialistes".

Au delà des considérations politiciennes, il est clair que ramener l'inéligibilité à 10 ans vide la loi de sa substance et la désolidarise de son fondement, à savoir l'idée d'exemplarité dans la représentation des citoyens. Il s'agissait d'affirmer qu'on ne peut être représenté par des gens ayant fait preuve de tels manquements à la déontologie et en ce sens, le passé ne s'efface pas même 10 ans plus tard.

Pourquoi légiférer ?

Pourtant, ce qui est frappant dans cette proposition d'inéligibilité à vie, c'est qu'il y ait besoin de légiférer. La France est une démocratie indirecte ou le peuple se prononce très rarement directement par la voie des urnes, si rarement que la rue apparaît souvent comme le seul contre-pouvoir face à une élite politique souvent coupée de sa base électorale. A vrai dire il ne se prononce que dans deux cas de figures : les référendums (9 en 55 ans de Vè République) et surtout à l'occasion de l'élection de ses représentants.

Nous sommes bien ici dans l'un de ces deux cas de figure, à savoir l'élection des représentants ! Pourquoi dès lors le législateur vient-il se mettre dans le chemin du peuple souverain ? L'inéligibilité à vie devrait être naturelle, comme dans les pays nordiques, ou quelqu'un de lourdement condamné ne songe même pas à se représenter, ni son parti à l'avaliser pour le faire, anticipant l'échec cuisant d'une telle tentative auprès de l'électorat.

Ainsi, par la simple proposition d'une loi en ce sens, François Hollande remet en cause le peu de souveraineté résidant en France dans le peuple, en envoyant le message suivant : « puisque même élire tous les cinq ans vos représentants vous n'êtes pas capable de le faire avec déontologie, alors on va vous guider dans vos décisions ».

Il est certainement préférable de respecter les choix démocratiques, et de comprendre ce qui motive auprès du citoyen la réélection de personnalités dont la probité laisse à désirer, si l'on souhaite un jour avancer vers une prise de conscience collective en la matière.

L'acceptation de la situation en est la cause.

Les parallèles avec Hannah Arendt sont en ce moment très à la mode, et pas toujours très heureux, je me risquerai malgré tout à celui-ci : quand la philosophe nous parle de « coopération » des autorités juives à la Shoah, elle nous décrit en toile de fond l'acceptation inconsciente d'un système ou système de valeurs par les victimes elles-mêmes, qui seule rend possible l'horreur à grande échelle.

En ce qui nous concerne ici, les français réélisent leurs élites corrompues parce qu'ils considèrent certainement inconsciemment comme normal que la classe politique se serve dans les caisses. Plus généralement, les français font preuve d'une mansuétude surprenante quant à la moralité de leurs représentants. Les frasques extraconjugales de nos politiques ont toujours été acceptées - on pense à la double vie de François Mitterrand - allant même jusqu'à susciter une certaine sympathie. Au contraire, nous peinons à comprendre ces anglo-saxons si moralisateurs : pourquoi embêter ce bon vieux Bill, tout ça pour une fellation, avec les responsabilités qu'il a dû assumer?

J'entends déjà les critiques sur cette comparaison entre morale d'ordre privée et détournements de fonds publics. Il y a pourtant une idée générale, qui est la mansuétude des populations et l'acceptation générale du manquement à l'exemplarité. Le documentaire « Compléments d'enquête » hier soir sur France 2, certes plus dans l'accumulation à charge que dans l'analyse, nous proposait un récapitulatif des affaires en cours conclu par un reportage sur Gaston Flosse : condamné à plusieurs reprises, toujours actuellement empêtré dans un lourd procès et pourtant réélu triomphalement en Polynésie, on y voit le Vieux Lion recevant individuellement les doléances dans sa posture de Seigneur des temps modernes.

On peut ajouter à cela le cas de Patrick Balkany à Levallois, de Bruno Mégret condamné présentant sa femme à sa place, le sympathique « Nanard » qui a pourtant coulé une grande banque française, pour comprendre que les français, au lieu d'accompagner la justice dans ses décisions de moralisation de la vie publique vont parfois jusqu'à la contourner afin de garantir à leurs élites la toute puissance qu'ils estiment nécessaires à l'exercice de leur fonction, Le juge Alphen a beau s'indigner contre le clientélisme en rappelant que la somme des intérêts individuels n'est pas l'intérêt général, que valent les propos moralisateurs d'un terne juge face à la fascination exercée par « l'insubmersible Flosse » ?

En clair, rien ne sert de légiférer ; tant que les français se comporteront en sujets résignés et compréhensifs, les représentants se comporteront en monarques tout-puissants. Sommes-nous mûrs pour la démocratie ?

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