La déclaration de FOG au soir des européennes, s'assumant comme un des « connards qui ont diabolisé le FN » sonne comme un constat tardif mais peut-être salutaire. Celui du manquement aux devoirs journalistiques en démocratie, qui se paie cash.
Les français sont un peuple, sinon insoumis, du moins critique vis à vis des relations de pouvoir. Si les questions de fond ne passionnent pas toujours, les postures et rapports de domination alimentent les conversations. L'interprétation des débats présidentiels le prouve : Qui l'a emporté ? Qui a été dominé ? Qui a perdu son sang froid ? Ce sont là les enjeux qui ressortent.
Dans ces conditions, comment penser que les français seraient insensibles à l'approche que les journalistes font du FN depuis 30 ans ? Sous-évaluation, sous-estimation, sous représentation dans le paysage médiatique dans un premier temps (jusqu'au tournant des années 2000) ; puis reconsidération progressive sous la pression d'une poussée électorale continue. Puisqu'il fallait faire une place au FN, on allait le recevoir. Questionnements agressifs et partis pris journalistiques allaient dès lors devenir la règle.
Beaucoup de journalistes connus pour leur complaisance se sont alors senti pousser des ailes de Zola. Se vautrer dans cet « antifascisme à bon compte » que reconnaît Giesbert, c'est oublier que Zola exprimait en son temps une position minoritaire, contre le pouvoir en place. Et une vérité que même le peuple, dans l'antisémitisme larvé de la fin du XIXe, n'était pas prêt à entendre.
Cette position facile est apparue d'autant plus irritante auprès du public que dans le même temps, la complaisance journalistique vis à vis du pouvoir atteignait des sommets, notamment sous l'ère Sarkozy. Il s'agit pourtant d'un manquement flagrant au principe d'équité à la base de tous les textes déontologiques du journalisme. Une inégalité de traitement qui n'a échappé à personne et à contribuer à victimiser le FN et à le rendre sympathique auprès d'une part croissante de l'électorat
Dans ce contexte d'ostracisme caractérisé, il a bien fallu justifier la montée du FN : comment ne pas associer au FN diabolisé cet électorat croissant et fidèle ? Pour se sortir de cette ornière, journalistes et classe politique ont posé le mythe du « vote contestataire ». Les gens voteraient FN, mais sans adhérer à ses idées. Après 20 ans d'une « contestation » qui réunit aujourd'hui un quart des votants, peut-on encore comparer le vote FN à la vague poujadiste ? Comment nier le vote d'adhésion ?
Derrière la diabolisation et le manque d'équité dans le traitement journalistique pointe le déficit démocratique : 15 à 25 % de l'électorat français est représenté aujourd'hui par deux députés (0.3% de l'assemblée nationale). Et de cela non plus le peuple n'est pas dupe. Comment pour cet électorat ne pas être tenté d'associer la discrimination du FN dans le traitement journalistique avec sa non-représentation nationale ? Au risque de renforcer la défiance à l'égard d'un corps journalistique souvent accusé de connivence avec le pouvoir en place. Du pain béni pour le FN et sa rhétorique de complot politico-médiatique.
Bien sûr que les journalistes sont en droit de s'émouvoir de l'attaque en règle de la profession par le FN et le fichage programmé des journalistes politiques lancé cette semaine. Mais dans ces conditions, ne sera-t-il pas perçu dans l'opinion publique comme un logique retour de flamme ?