Bonjour Pierre Laurent,
Alors que la stratégie du Front de gauche semble aujourd’hui tenter de retrouver l’unité que les municipales avaient fragilisée, je me permets de solliciter votre attention sur quelques points qui me préoccupent.
L’épisode des municipales, que l’on veut en interne ne pas trop approfondir de peur d’en rester à du ressentiment et des dissensions, est toutefois quelque chose de très archétypal quant à une manière de vivre très particulière ce « communisme de nouvelle génération » que vous semblez appeler de vos vœux.
Ayant, par exemple, vu et subi de près le revirement de la position de Yan Brossat, candidat pour Paris – liste autonome ou liste commune avec PS dès premier tour -, position que lui-même a finalement tue en vous laissant, vous, au contraire et pour une raison obscure, exprimer bruyamment la vôtre, j’ai constaté deux choses :
a) Qu’au parti communiste, l’opacité et les décisions - pour ne pas dire les marchés - entre soi et en toute opacité, entre membres de l’appareil, semblent, malgré tous les slogans, toujours de la plus fraîche actualité.
b) Que les paroles sur l’ouverture à l’innovation et à la culture (contemporaine) restent lettre morte lorsque le pré carré du contrôle du pouvoir sur la communication est en jeu.
J’ai eu l’occasion de participer, en tant qu’artiste, à l’invitation de la direction de la communication du pcf, à l’exposition d’affiches de la Fête de l’Huma sur le thème « l’affiche que vous rêveriez que le pcf vous commande ».
Mon affiche, en pièce jointe, était déjà éditée grâce à la solidarité et au courage politique et culturel de militants de ma ville. Elle est régulièrement collée sur les murs et suscite de véritables réactions positivement artistiques et politiques, ce qui est, en somme, le rôle d’une affiche.
J’en ai vendu quelques exemplaires à la Fête, alors que des affiches officielles du PCF qui se trouvaient placardées à quelques mètres, étaient, comparativement - j’ai pu l’observer - littéralement transparentes, invisibles, pour des raisons précises qui demandent juste une petite démonstration, pour laquelle je sollicite d’ailleurs une mission de formation auprès de la direction politique du PCF.
Or, l’entêtement avec lequel cette même direction politique du PCF assigne depuis des décennies à la communication visuelle, et à l’affiche en particulier, une place insignifiante, frise le suicide scrupuleusement planifié.
Rien, absolument rien depuis l’inventivité du groupe Grapus et le rayonnement de l’artiste Ernest Pignon Ernest, sollicités tous deux jusqu’à la fin des années quatre vingt, n’existe artistiquement – et donc politiquement – dans la communication nationale officielle du PCF. Près d’un quart de siècle sans laisser une seule image qui marque son époque, qui donne envie, qui force le respect collectif, n’est-ce pas là un bilan à faire, enfin ?!...
Nous assistons sans cesse à des improvisations sans lendemain, entreprises par des responsables fédéraux qui n’ont ni la compétence, ni la culture, ni le désir, et qui plongent pour finir n’importe quel passant dans la consternation, ou pire, dans l’indifférence, ce qui est, vous le reconnaîtrez, un comble.
Et n’est-ce pas là argent - pourtant chèrement gagné (j’y viendrai)- gaspillé, et re gaspillé, à chaque échec, à chaque affiche mauvaise, lourde, redondante, sans esprit, invisible à force de routine rhétorique, de jargon jargonneux militant pour les militants convaincus d’avance, mais qui fait littéralement fuir tout autre personne ayant pourtant des yeux pour voir et un esprit pour penser.
J’en reviens à la stratégie, qui, avec l’expression visuelle, se nourrissent l’une de l’autre : cette absence de stratégie visuelle, traduit, je le crains, une stratégie politique faite d’atermoiements, de refus de choisir, une façon de vouloir sauver les meubles, garder un peu d’argent quitte à mal l’employer, et ainsi, dans l’incendie, de tout perdre - même la vie.
Car ce qui manque incroyablement là-dedans, c’est la vie. Vous répétez sans cesse « large rassemblement de la gauche » en donnant aussitôt pleine tribune à une ministre pendant plus de deux aux affaires Hollandaises, encore il y a peu huée par les intermittents en lutte, pour lui permettre à peu de frais de se redonner un vernis de pseudo radicalité dans les colonnes du journal l’Humanité. Au point que le PCF semble aujourd’hui devenu le meilleur instrument de « red washing » pour une classe de politiciens PS complètement déconsidérés qui, grâce à nous, peuvent se donner une nouvelle virginité et se croire à nouveau « bon pour le service ». Et ils se passent le mot !...
Vous faites dépendre les destinées des alternatives politiques des insondables mollesses des « frondeurs », calculateurs jusqu’au bout des ongles et timorés au delà de l’imaginable, le développement d’ « alliances » de terrain qui sonnent invariablement comme des tactiques de personnes routinières des appareils et des places en vue. Prenez Paris, nos "élus" communistes, une fois à leur poste sur la liste Ps au premier tour, feignent d'être surpris qu'Anne hidalgo applique tout de go, l'austérité imposée par Sieur Hollande. Cette tactique n'a-t-elle pas un prix politique qui ne sera pas compensé par les salaires et les places au conseil municipal... ?!
Dans ma ville où la députée PS est une véhémente ayatollah des votes de soutien systématique des budgets qui flinguent la société française et l’héritage du Programme du conseil National de la Résistance, la « royale section locale du PCF », passablement atteinte de népotisme, cooptant invariablement les membres d’une même famille à la direction de section depuis trente ans avec des méthodes d’intimidation et de conservatisme que n’aurait pas reniées le petit père des Peuples (et cela, au su et au vu de la fédération départementale qui « ne peut rien faire »), dans ma ville, donc, il fut « décidé », par les moyens les plus malhonnêtes, de partir au premier tour avec le PS local, dont on ne peut trouver « onques plus capitulard droitier que pays porter se put ».
Je vous demande si c’est encore avec ces « socialistes »-là que vous nous inviterez à « trouver les bases d’accords locaux de contenus anti austérité » alors que ce qui saute aux yeux, c’est le type même d’alliance opportuniste de grossiers calculs politicards pour des places, des pouvoirs, des subventions, bref tout le contraire de la politique que vos discours prônent, en apparence.
Car avec ces fameux socialistes anti Hollande – Valls que vous appelez éperdument de vos vœux, vous savez quel est le problème ? Ils n’existent pas. Ils sont morts-nés de trouille. Ils sont confits depuis des lustres dans le sucre idéologique dans lequel ils baignent et font baigner la gauche ces dernières décennies : silence, confusion, indétermination, électoralisme, et pour finir collaboration (plus ou moins) ouverte avec les objectifs des actionnaires des multinationales, tels sont les maîtres mots qui déterminent ces gens, même en face des scandales les plus insoutenables.
Car je vous voit venir - avec les prochaines échéances électorales - à préparer le Front de Gauche, malgré lui, à des alliances forcées au premier tour avec les appendices locaux du PS, qui sont, sachez-le, bel et bien reliés au corps central de l’animal politicien pro MEDEF que nous subissons. Je vous vois venir,… et ces alliances-là seront celles de trop, celles qui tueront définitivement toute alternative. Vous voyez bien que, vous aussi, vous l’avez, votre T.I.N.A (There Is No Alternative) !….
Pendant ce temps là, notre référence à Syriza bute ouvertement sur le fait que eux ont coupé les ponts avec leur PS autochtone, et gagnent ainsi en force et en lisibilité, tandis que nous nous enfonçons copieusement dans la panade qui favorise tant l’ennemi FN qui ne pourrait pas, lui, espérer meilleur soutien que notre « stratégie ». Et ce qui est presque (je dis bien presque) hilarant est l’étonnement avec lequel les auteurs des alliances mortifères au PS considèrent les résultats en terme de mobilisation, de scores, de rapports de forces… On ne peut pas à la fois être placé du côté opposé de la balance et se demander pourquoi notre côté ne pèse pas plus lourd.
Aussi, je vous demande la chose suivante : puisque la prochaine grande assemblée nationale des communistes se terminera invariablement - vu les modalités opératoires traditionnellement ultra prudentielles de sélection des dits délégués - par la validation peu ou prou de la continuité de cette ligne de conduite catastrophique, tant sur le plan politique qu’artistique, ne pourrions convenir, au moins avec les militants et les honnêtes gens ordinaires, que l’appellation « Parti communiste » au fond, n’a pas de sens, si ce n’est qu’elle ne vise pas en principe à conforter un type de contrôle du pouvoir. Elle signifie, il me semble, et cela, tous les philosophes - des anciens aux plus récents en « passant par la case Marx » – vous diront la même chose : Elle signifie « rupture », « audace », « invention », et « courage » ! Que chacun juge par soi-même…
www.http://desformespolitiques.eklablog.fr/ http://peintureavecletemps.eklablog.com/ www.legymnase.biz
visuels :
Joël Auxenfans. "Tissu". Affiche. 2014
Joël Auxenfans. Affichage à Paris. 2014.
Joël Auxenfans. Affiche logement commandée par Yann Brossat, puis abandonnée sans le dire après les accords électoraux avec le PS à Paris. 2013-2014.
Joël Auxenfans. Musée pliant d'affiches à la Fête de l'Huma. 2014.
Joël Auxenfans. Musée Pliant en visite devant l'exposition Duchamp au centre Pompidou. Septembre 2014.
Joël Auxenfans. La Jochollande. I.L.H.O.O.Q. 2013.