Prostitution :
REPONSE A LILIAN MATHIEU
suivie de :
TIRER LES LECONS DE L'APPLICATION DE LA LOI EN SUEDE
Je ne vois pas comment on pourrait faire reculer la prostitution et le proxénétisme si la loi ne faisait rien pour faire diminuer la demande. Cela dit il faut aussi un accès au revenu pour tou.te.s, pour que personne ne soit économiquement contraint.e à se prostituer.
Je vais essayer de répondre aux arguments de Lilian Mathieu contre le texte L’abolitionnisme, une lutte d’émancipation, publié le 27 novembre 2013 par Marion Lafon et Huayra Llanque (Attac), Sandra Rigoni (Fondation Copernic) et Sabine Salmon (Femmes solidaires) :
Deux mots d'abord pour résumer, certes de façon schématique, le point de vue à partir duquel je réponds. Vu le rapport de force à l'échelle de la société entre hommes et femmes, l'achat du consentement sexuel d'autrui (pas dans chaque cas individuel, mais comme institution socialement reconnue) est l'une des armes de la domination masculine. C'est l'un des moyens par lesquels les femmes sont poussées à se formater dans le sens d'une sexualité de service, au mépris de la construction autonome de leurs désirs. (Quant aux justifications et nuances de cette thèse, j'ai écrit un livre entier là-dessus, Le Viol-location, et je veux bien en discuter une autre fois.) A partir de là je pense qu'il faut agir politiquement pour délégitimer les acheteurs de prostitution, les clients. Lilian Mathieu est-il d'accord avec cette idée ? Et si oui, que propose-t-il comme mesures juridiques et/ou culturelles pour délégitimer l'achat du consentement sexuel ? Il critique les propositions des abolitionnistes, mais s'il ne propose rien d'autre c'est comme s'il était favorable à la liberté d'être client. Est-ce cela ? Bien sûr Lilian Mathieu souhaite une politique de lutte contre les réseaux mafieux, et contre les violences (dont il a montré dans ses livres la forte présence dans la vie des prostitué.e.s) ; d'autre part il insiste sur l'accès au revenu pour que personne ne soit économiquement contraint.e à louer son sexe. Sur ces points les abolitionnistes n'ont pas de désaccords de fond avec lui. Mais il reste une question : que doit faire la loi pour faire diminuer la demande ? Lilian Mathieu, dans son commentaire, ne propose rien sur ce point. (A noter que le Planning Familial propose uniquement des mesures éducatives, qui à mon avis sans pénalisation seraient largement inopérantes). Or je ne vois pas comment on peut faire reculer la prostitution et le proxénétisme si la loi ne fait rien pour faire diminuer la demande.
Je réponds maintenant aux arguments de Lilian Mathieu en les numérotant dans l'ordre où il les a présentés.
Argument 1 : « [Ce texte] oublie (ce n'est pas très élégant) de citer sa source principale, la thèse de médecine de Judith Trinquart sur la "décorporalisation" chez les prostituées, soutenue en 2002 et que ses membres de jury sociologues avaient jugée indigente (et ils avaient raison !) »
La thèse de Judith Trinquart ( http://www.france.attac.org/archives/spip.php?page=article&id_article=1232 ) montre principalement que la répétition de rapports sexuels non désirés produit un état de malaise qui a pour conséquence une fréquence anormalement élevée de troubles psychosomatiques dans la population des prostituées ; elle montre aussi que les prostituées réagissent à cela, d'une façon semblable aux victimes d'autres abus sexuels (viols, etc.) par une dissociation de la personne vis-à-vis de ses sensations corporelles, d'où fréquemment un syndrome de « décorporalisation » (impression d'absence ou d'étrangeté à son propre corps) d'où une tendance à la dégradation de l'état de santé. (D'autres facteurs poussent dans le même sens comme le stress dû au risque de violence, et la précarité économique). Or la dissociation en tant que telle est décrite par de nombreuses prostituées.
La thèse de Judith Trinquart a été critiquée : la population qu'elle a observée ne serait pas représentative de l'ensemble des prostituées – et effectivement il s'agit plutôt de prostituées de rue, souvent les plus précaires ; et d'autre part ses interprétations psychologiques seraient parfois discutables. C'est possible, mais rien ne permet d'affirmer qu'elle n'a pas constaté ce qu'elle a constaté. Le grand mérite de Judith Trinquart est d'avoir attiré l'attention sur le vécu des actes sexuels dans la prostitution et la souffrance qui en résulte, et d'avoir orienté l'approche médicale des prostituées vers la relation à autrui et la reconstruction de la personnalité. D'autre part, contrairement à ce que dit Lilian Mathieu, cette thèse n'est pas « la source principale » sur la question. D'autres travaux décrivent des faits semblables, avec des explications un peu différentes. C'est le cas de la psychiatre Muriel Salmona, qui ajoute à la description une approche neurologique. A la fin des années 90 était paru un rapport de Melissa Farley et collaborateurs intitulé « Prostitution in five countries : violence and Post-Traumatic Stress Disorder » (et le texte des militantes d'Attac fait allusion explicitement à cette recherche). Certes ces différentes auteures sont abolitionnistes, mais un rapport récent de l'IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) présente un tableau tout aussi alarmant, tout en refusant l'optique abolitionniste. Le débat porte sur l'importance relative à accorder à la répétition d'actes sexuels non désirés ou à la précarité et aux mauvaises conditions d'activité. (J'ai discuté cette question au chapitre 3 du livre Le viol-location). En fait les recherches disponibles, avec leur diversité, permettent, en écartant petit à petit les erreurs de méthode ou d'interprétation, de conclure à une violence sexuelle inhérente à la prostitution par-delà la diversité des formes de prostitution et des cas individuels. Sur les enquêtes disponibles, voir le dossier Santé de la revue Prostitution et Société : http://www.mouvementdunid.org/IMG/pdf/ps179dossiersante.pdf .
Arguments 2-3-4 : Lilian Mathieu accuse l'abolitionnisme d'avoir partie liée avec les Eglises chrétiennes et (pour résumer) leur morale liberticide. C'est là un très mauvais procès. Les abolitionnistes d'aujourd'hui défendent expressément la liberté des pratiques sexuelles. Certains sont chrétiens, d'autres pas du tout (dans les animateurs du site Zeromacho il y a le directeur de Charlie Hebdo, suppôt du Vatican !). Ceux qui sont chrétiens ne sont pas coupables de ce qu'ont pu faire les protestants anglais du XIXème siècle ou les partisans du président Bush aux Etats-Unis. Et surtout, si Lilian Mathieu devait tourner le dos à tout courant d'opinion ayant des origines chrétiennes voire des liens avec les Eglises, il n'aurait plus grand monde avec qui parler parmi les mouvements progressistes en tout genre. Le Mouvement du Nid provient du catholicisme social … et alors ? ATD-Quart-Monde aussi, et ce sont eux qui ont la meilleure expertise sur la grande pauvreté ; la CIMADE, encore aujourd'hui, fait partie des institutions nationales des Eglises protestantes, est-ce que cela disqualifie les propositions qu'elle fait pour les droits des sans-papiers ? Au Brésil les paysans du grand Mouvement des Sans-Terre sont inspirés par le catholicisme de la « théologie de la libération » ... et alors ? Etc. Dans des combats d'émancipation où l'on trouve ensemble des athées et des croyants, des libertaires et des gens d'Eglise, la discussion est bienvenue, mais pas l'anathème.
Dans l'argument 5, Lilian Mathieu insinue que les abolitionnistes feraient passer implicitement un « fantasme » xénophobe derrière la dénonciation de la traite. Il écrit (je cite) : « [le texte abolitionniste] oublie de rappeler que la "traite des êtres humains" est un fantasme qui a historiquement été utilisé pour entraver la libre circulation des femmes, et qu'il charrie des angoisses sociales (visant spécialement les étrangers et, autrefois, les Juifs) plus qu'il n'éclaire une quelconque réalité ». Admettons qu'il faille se méfier des fantasmes et des vieux mythes … mais là c'est Lilian Mathieu qui oublie de nous rappeler qu'avant d'être un fantasme, la traite (c'est-à-dire le transport illégal de migrants à des fins d'exploitation - avec ou sans leur consentement) est d'abord une réalité (Voir Georgina Vaz Cabral, La traite des êtres humains – Réalités de l'esclavage contemporain, éd. La Découverte, 2006). Or le texte des militantes abolitionnistes n'est pas dans le fantasme, il dit simplement : « pour fournir en femmes les bordels et Eros center, la traite à des fins de prostitution explose en direction de ces pays [règlementaristes] » et « … ce commerce est devenu l’un des plus rentables ». Plus loin les militantes abolitionnistes écrivent en toutes lettres « Il est urgent de revoir les politiques migratoires qui entravent la libre circulation des personnes, et d’accorder de plein droit un titre de séjour aux femmes étrangères victimes de violence, prostitution, traite ». Alors dans quel but Lilian Mathieu suggère-t-il que ces militantes seraient complices des politiques xénophobes d'aujourd'hui ? C'est bien de rappeler que la dénonciation de la traite peut être utilisée comme prétexte à une politique anti-immigré.e.s, … mais pourquoi vouloir disqualifier les militantes qui précisément luttent contre cette politique ?
Argument 6 : « [les abolitionnistes ne voient pas] que ce schème de la dite "traite" est absolument incapable d'éclairer les logiques migratoires féminines qui aboutissent à la prostitution ». Ici Lilian Mathieu soulève un problème réel, mais sa condamnation péremptoire est injustifiée.
Il est vrai que dans certains discours abolitionnistes (mais de moins en moins) on a tendance à montrer uniquement le fait que les migrant.e.s sont victimes des réseaux de traite, sans montrer que ces personnes peuvent aussi avoir un projet de vie qui les amène, pour échapper à la misère et aux discriminations dans leur pays d'origine, à parier délibérément sur la traite et même sur la prostitution (souvent en sous-estimant les souffrances à endurer). Cette dimension a été mise en lumière à juste titre par des recherches sociologiques récentes, entre autres sous l'impulsion de Lilian Mathieu. On peut citer par exemple un livre de Milena Chimienti au titre éloquent : Prostitution et migration, la dynamique de l'agir faible, éd. Seismo, Genève, 2009. Et si on veut aider les personnes, il faut bien sûr commencer par comprendre leur projet de vie, et respecter leurs choix qui sont souvent des choix de moindre mal. Or le texte des militantes d'Attac ne dit pas le contraire : si elles défendent les victimes de la traite c'est au nom de la liberté de circulation. Elles précisent même que la proposition de loi « fait primer le droit des victimes indépendamment de la dénonciation des réseaux de traite et de proxénétisme ».
Argument 7 : Lilian Mathieu accuse les féministes d'Attac de puiser leurs informations dans Der Spiegel, qui serait un « torchon conservateur prêt à publier n'importe quoi du moment que c'est racoleur ». Cet argument malveillant est inadmissible, il escamote le débat de fond. Je ne sais pas si le Spiegel est un « torchon conservateur » mais des informations semblables peuvent se trouver dans toutes sortes de publications, par exemple dans le magazine féministe allemand Emma.
L'argument 8 donne une information qui, si elle est vérifiée, va dans le sens de l'abolitionnisme.
Argument 9 : en Hollande, où les prostitué.e.s peuvent avoir un statut professionnel et où la profession de tenancier de bordel est légale, « le commerce prostitutionnel ne progresse pas mais périclite (division par deux du nombre des bordels depuis 2000) », et il cite une étude de 2013.
Je me demande ce que signifie ce chiffre. L'important n'est pas le nombre de bordels, mais le nombre de clients, et le nombre de personnes qui entrent dans la prostitution ou qui en sortent. Jusqu'à présent tout ce que j'ai lu sur les Pays-Bas fait état d'une augmentation de la prostitution hors-statut. A vérifier, donc.
Argument 10 : « dans les pays qui pénalisent les clients, la situation sociale et sanitaire des prostituées s'est dégradée, elles sont davantage stigmatisées … » et de citer un article qui caractérise la politique suédoise sur la prostitution comme une pièce d'une politique générale de répression.
Sur la Suède, les données partielles sont parfois contradictoires, ou incertaines, mais des synthèses critiques permettent de se faire une idée1. A supposer que ce que dit Lilian Mathieu sur la situation des prostitué.e.s soit confirmé (mais les informations que j'ai pu avoir ne vont pas dans ce sens), la loi suédoise permettrait de lutter contre, d'une part par une meilleure prise en charge sociale des prostitué.e.s, d'autre part par une éducation de l'opinion contre la stigmatisation. Par ailleurs on peut conclure pour la Suède dans l'ensemble à une diminution du nombre de clients, à une diminution des bénéfices du proxénétisme, et de la traite par voie de conséquence, à une non-augmentation de l'insécurité, et à une augmentation nettement plus faible de la prostitution par internet que dans les pays voisins. Au total on peut estimer que la loi suédoise a commencé à modifier les mentalités dans le sens du respect d'autrui, a d'ores et déjà fait reculer la menace prostitutionnelle sur l'ensemble des femmes et des jeunes, et n'a pour le moins pas aggravé le sort des prostitué.e.s.
Argument 11: « … toutes les lois récentes (Hollande, Angleterre, Suède, France depuis 2003 et désormais 2013) visent toutes les mêmes objectifs, seules changeant les justifications et les modalités pratiques : 1. nettoyer les rues de toute présence inconvenante pour faciliter la gentrification des centres villes ; 2. légitimer "humainement" une politique de répression de l'immigration irrégulière ».
Ce tableau est unilatéral : il ne retient que ce qui, dans l'action policière, peut s'articuler à une politique de droite, et passe sous silence le changement fondamental introduit par la loi suédoise, à savoir le message de respect d'autrui porté par la délégitimation de l'achat du consentement sexuel, autrefois considéré comme banal. Comme les défenseurs de la prostitution, Lilian Mathieu amalgame ici la politique sarkozyste de harcèlement des prostitué.e.s et la pénalisation des clients qui doit s'accompagner de la défense de la sécurité des prostitué.e.s et de l'accès à leurs droits.
Quant à l'utilisation de la future loi pour « nettoyer les rues (...) pour faciliter la gentrification des centres villes », cela dépasse la question de la prostitution, c'est une tendance générale des politiques urbaines de droite. La rénovation des immeubles, la piétonisation de certaines rues, les nouvelles lignes de tramway … tout cela aussi est utilisé pour relever les prix de l'immobilier et chasser les pauvres des centres villes, mais ce n'est pas une raison pour refuser la rénovation, la piétonisation ou le tramway ! Ce sont des progrès, et il faut juste qu'ils soient accompagnés d'une bonne politique sociale du logement. De même un reflux de la prostitution est en soi un progrès et on ne doit pas se contenter du reflux de la prostitution de rue visible, il faut qu'il s'accompagne d'une politique sociale de sécurisation et de reconversion.
Quant à l'utilisation de la future loi pour faire la chasse aux sans-papiers, nous y reviendrons dans un instant.
L'argument 12 critique la grave insuffisance des possibilités de revenu prévues par la loi pour les personnes désirant sortir de la prostitution, ainsi que les très incertaines perspectives de régularisation pour les sans-papiers.
C'est vrai ! avec toutefois quelques avancées pour les sans-papiers dans la proposition de loi. Or la réponse est dans le texte des militantes d'Attac : « une rupture avec les politiques néolibérales et avec l’austérité (...) ». Et ce n'est pas en refusant la loi Olivier, avec toutes ses dispositions sociales, qu'on ferait avancer la lutte contre la pauvreté et la précarité !
A cet égard, une garantie de revenu pour tou.te.s serait une grande partie de la solution. Le texte des militantes abolitionnistes parle de "renforcer l’accès aux droits universels pour tous et toutes". En effet ce n'est pas en considérant les prostitué.e.s comme une catégorie particulière (avec le risque de rester dans la stigmatisation) que l'on peut faire reculer réellement la prostitution, notamment l'entrée en prostitution, mais par des mesures protégeant l'ensemble de la population contre la précarité. Où avons-nous trouvé cette idée ? À la fin du chapitre 4 du livre La condition prostituée, publié en 2007 aux éditions Textuel par un certain Lilian Mathieu.
Pour compléter cette discussion j'ajoute ici un « courrier de lecteur » dont une version abrégée est parue dans l'hebdo Politis du 28 novembre :
TIRER LES LECONS DE L'APPLICATION DE LA LOI EN SUEDE
Si la pénalisation des clients risque d'entraîner une augmentation de la clandestinité pour les prostituées, alors il faut examiner les moyens d'éviter cette dérive, et pas la présenter comme inéluctable, comme fait Politis dans son dossier sur la loi en préparation sur la prostitution dans son numéro du 14 nov.
En Suède cet effet pervers de la pénalisation des acheteurs de sexe, qui était redouté au début de l'application de la loi en 1999, n'a pas eu lieu (au-delà de quelques modifications en positif ou en négatif) : certes la prostitution est toujours une activité en grande partie cachée, mais pas plus qu'avant. C'est ce qui ressort des conclusions de la mission parlementaire française d'information sur la prostitution (rapport Bousquet - Geoffroy de 2011), qui a interrogé les différents acteurs de l'expérience suédoise, y compris les opposants à la pénalisation.
Cette non-aggravation de la clandestinité en Suède est due à la façon dont la loi est mise en œuvre, et la France doit tirer les leçons de ce succès de la politique suédoise, ainsi que de ses insuffisances.
En Suède il y a un important suivi social des prostitué.e.s, pour qu'elles/ils ne restent pas isolé.e.s et aient accès à leurs droits. Ce volet social est également détaillé dans la proposition de loi française ; il reste alors à obtenir des moyens pour cela.
La loi suédoise a fait changer l'attitude de la police. Le harcèlement et la stigmatisation des prostitué.e.s ne sont plus de mise, la police est censée protéger leur sécurité et les aider à faire valoir leurs droits, en lien avec les services sociaux. Une telle réorientation des pratiques policières sera actée dans la loi française, il faudra alors veiller à son application réelle.
D'autre part, la police suédoise ne mène pas une traque systématique aux clients qui ne ferait que créer une ambiance de prohibition propice aux réseaux clandestins. Les interpellations de clients se concentrent surtout sur les cas où la police a repéré un proxénète ou a fortiori un réseau, elles visent à casser le business des proxénètes et à récolter des témoignages précis de la part des clients pour démanteler les réseaux. Ne pourrait-on pas faire la même chose en France ?
On peut donc à la fois éviter le tout-répressif et ne pas capituler devant les partisans du libre achat du consentement.
Cela dit on peut craindre que les policiers français continuent à persécuter les prostitué.e.s dans le but (ou sous le prétexte) de « faire du chiffre » dans la chasse aux sans-papiers. C'est cette politique qu'il faut mettre en cause, pas la pénalisation des clients. Sur ce point il y a des avancées dans la proposition de loi, mais insuffisantes : si on ouvrait des procédures de régularisation non seulement aux victimes de proxénétisme ou de traite (des faits souvent difficiles à élucider) mais plus largement aux victimes de prostitution (ce qui est facile à constater), on attaquerait directement le business des réseaux en aidant les sans-papiers à sortir de leur emprise. Au minimum il faut exiger que les droits humains des prostitué.e.s et leur mise en relation avec les services sociaux passent avant le contrôle de leurs titres de séjour.
Enfin il faut s'attaquer au facteur principal qui pousse à entrer dans la prostitution ou empêche d'en sortir : la précarité, la pauvreté. (En Suède le haut niveau de la protection sociale facilite la sortie de la prostitution, mais les autorités reconnaissent que c'est encore insuffisant.) Ce qui est en cause ici n'est pas la proposition de loi de Maud Olivier, c'est la politique française sur la précarité et sur les revenus. Il faut une hausse des minima sociaux pour tou.te.s, et pas seulement un meilleur accès aux aides sociales pour les personnes déjà dans la prostitution, comme le prévoit la proposition de loi. Déjà il faudrait de réelles possibilités d'accès au RSA pour les moins de 25 ans. Et pour sortir de la prostitution il faut une alternative de revenu crédible, or souvent les emplois d'insertion proposés maintiennent les personnes dans la précarité.
En somme on peut mettre en place un ensemble de mesures s'inscrivant dans une politique de solidarité sociale pour tou.te.s et de sécurisation des droits. Il ne s'agit pas seulement de délégitimer l'achat de sexe en le pénalisant, mais de changer plus largement les rapports de force entre hommes et femmes dans la société.
Ajoutons qu'en Suède une telle politique permet une coopération entre l'Etat et les associations de prostitué.e.s, y compris celles qui restent opposées à la loi.
1Voir dossier avec critique des sources : Florencia Rovira Torres, Punir les clients des prostitués : le modèle suédois a bon dos :
http://www.rue89.com/2013/07/25/punir-les-clients-prostitues-modele-suedois-a-bon-dos-244373 .
Voir aussi rapport de la mission parlementaire française d'information, 2011 :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3334.asp , notamment p.222-233,
et mes commentaires : Joël Martine, Le viol-location, liberté sexuelle et prostitution, éd. L'Harmattan, 2013, chapitres 2-début, 4-fin, 6-fin.