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Cet article est une libre réflexion (et non un compte-rendu d’ouvrage)
à partir du concept de femellité, point de départ du livre de Nicole Roelens,
Manifeste pour la décolonisation de l'humanité femelle, éd. L’Harmattan1
Nicole Roelens, comme Françoise d’Eaubonne dans les années 1970, est une théoricienne française de l’écoféminisme, et une militante anti-nucléaire. Alors que Françoise d’Eaubonne était d’abord une écrivaine, Nicole Roelens a été psychologue du travail, et se présente comme une observatrice des rapports de « covivence » et de pouvoir entre les subjectivités.
Pour comprendre ce qu’est la conscience éthique, pour essayer de définir le Bien éthique et ses critères2, il faut se faire une idée de ce qu’est la condition humaine : nous sommes des êtres vivants, sensibles, individués, désirants, sociaux, mortels et conscients de l’être, capables de raison, etc. … Et nous sommes des vivants SEXUÉS, des VIVANT.ES : femmes, hommes et intersexes.
Or dans les diverses approches philosophiques de l’éthique, par exemple au XXème siècle chez Buber, Sartre, Lévinas, Habermas… les conséquences de la sexuation sont ^^ très peu abordées, à ma connaissance3. Une exception : Simone de Beauvoir.
Un avertissement : avant de parler d’une « Éthique du vivant », je voudrais écarter quelques malentendus. Il ne s’agira pas ici de prendre la nature vivante comme un modèle pour l’action éthique (c’est intéressant mais très discutable, la nature étant trop contradictoire, trop diverse, pour servir de modèle général probant). Il s’agira encore moins de justifier une morale autoritaire se prétendant « naturelle », ou le fait accompli de la « loi du plus fort », ou la cruauté des humain.es, en donnant au pouvoir de violence une valeur transcendante. Je veux juste dire que pour nous faire une idée de ce qu’est le bien éthique, et pour orienter notre action, nous devons tenir compte du fait que nous sommes non seulement des individus, en relations entre eux/elles, mais d’abord des organismes vivants habitant dans des écosystèmes.
Dans ce texte le concept d’éthique ne désigne pas un code moral préétabli mais à la fois la volonté du « bien », la réflexion sur comment définir le bien, et la transformation de soi et des collectifs dans le sens d’un entraînement au bien.
Toutes les vertus éthiques ont leur source dans le vivant : si elles existent c’est d’abord parce qu’elles sont ressenties par le cerveau d’individu.es vivant.es et qui interagissent dans un monde de vivant.es. Et ces vertus sont des réponses aux besoins spécifiques des individus et des sociétés de l’espèce humaine. Exemples de ces vertus : l’ouverture à autrui, et en même temps le respect de chacun.e ; le bonheur, l’amour, l’amitié, la justice, la coopération, la confiance, l’honneur, la citoyenneté … Toute éthique humaine doit penser notre appartenance au monde vivant, c’est-à-dire à ce qu’on appelle « la nature », plus scientifiquement « les écosystèmes ».
Qu’est-ce que la femellité ?
Avant d’expliquer ce qu’est l’écoféminisme, Nicole Roelens nomme et affirme la « femellité » d’abord comme un vécu des femmes incontournable, riche de sens et digne de reconnaissance.
C’est, écrit-elle « la puissance sexuelle jouissive et féconde » des femmes, la jubilation d’être femelle, de se sentir vivre dans un corps de femme, et pas seulement dans une identité humaine en général.
Ce que le vécu féminin a de plus spécifique, c’est, évidemment, la possibilité de la maternité, les fonctions des femmes dans l’engendrement des enfants, avec les contraintes qui y sont liées (par exemple les déterminismes de l’enchaînement des âges : puberté, âge fécond, ménopause...), et aussi toute la puissance qui en découle.
Mais c’est d’abord dans les actes sexuels que s’exprime la femellité, comme ensemble de sensations, comme puissance, et comme modes de liaison avec autrui. Le plaisir des femmes et celui des hommes ne sont pas a priori identiques, ni le pouvoir de chacun.e sur son propre plaisir et sur son ou sa partenaire. Comme puissance vivante sexuée, la femellité a ses propres dynamiques, elle n’est pas subordonnée aux rapports qu’elle peut entretenir avec le masculin. D’ailleurs (remarque JM) le vécu lesbien du corps le montre bien4.
Dans l’ordre social phallocratique la femellité est systématiquement dénigrée, rabaissée ou occultée, déformée. Le désir d’affirmation autonome des femmes est détourné ou caricaturé en une exigence de « féminité » : « la » Femme doit donner une image d’elle-même comme objet du désir masculin et personnage des scénarios masculins5.
Nommer la femellité sert à restituer aux femmes leur enracinement dans leur propre corps et le droit de tracer leurs propres chemins.
Le féminisme, c’est d’abord pour les femmes se retrouver en elles-mêmes : « Traverser l’irréel de la féminité pour penser notre femellité dans la vie réelle des humains sexués et mortels » (titre de l’introduction du tome 1) y compris dans « le réel prosaïque » de l’existence, avec ses pénibilités et ses joies : tâches ménagères, menstruation, grossesse, allaitement6, accompagnement des enfants …
En mettant le nom « femellité » sur des vécus féminins qui sont souvent passés sous silence, Nicole Roelens nous incite d’abord à lever la chape du silence, à reprendre et enrichir la prise de conscience féministe telle qu’elle apparaît dans les récits autobiographiques, par exemple dans le célèbre Parole de femmes d’Annie Leclerc, 1974.
La reconnaissance de la femellité, quand elle peut s’exprimer librement et sans être bridée par les idéologies phallocratiques, nous aide à mieux comprendre l’appartenance de tous les individus humains au monde vivant et à en tirer des conséquences éthiques dans la conduite de notre vie sociale.
La femellité dans la gestation, l’enfantement et le maternage
C’est évidemment dans la reproduction que les différences biologiques constitutives de la femellité sont les plus incontournables. Néanmoins, la mise en valeur des spécificités biologiques femelles dans la reproduction est porteuse d’un message éthique universellement humain. Nous allons en parler maintenant.
Les femmes peuvent faire tout ce que font les hommes (à la seule condition que l’ordre social dominant ne le leur interdise pas), mais seules les femmes peuvent être enceintes, enfanter et allaiter. Ces capacités, elles les ont en commun avec les autres femelles mammifères. Or il ne s’agit pas seulement de capacités physiologiques. La grossesse, puis l’enfantement, est une expérience de vie, l’expérience à la fois corporelle et imaginative d’un autre être à l’intérieur de soi-même, un être qui pourra (bien ou mal) devenir un nouveau sujet humain, un être qui est de moi, en moi (bouleversant complètement le vécu de moi-même), puis avec moi, puis autre que moi. Nicole Roelens a détaillé ces significations de la maternité et leurs enjeux féministes au long des 270 pages du tome 2 7. Elle décrit à propos de la grossesse « l’effondrement de l’égocentrisme naïf et de la perception égocentrée du monde » (p.88), et « le déplacement du centre de gravité de son existence » (nous y reviendrons dans quelques lignes). Dans l’image de soi comme personnage social, le premier enfantement vaut comme un rite de passage d’une identité de fille à une identité de mère. Et tout cela s’inscrit dans l’histoire collective des rapports de pouvoir entre les sexes.
La femellité est vécue aussi par les femmes qui médicalement ne peuvent pas faire d’enfant, et par celles qui choisissent pour de bonnes raisons de ne pas en faire (Il est heureux pour l’ensemble des humain.es que Simone de Beauvoir ait passé son temps à faire des livres plutôt que des enfants. Les femmes nullipares ne sont pas pour autant nulles en tant que femmes). Dans la vie de toutes les femmes les expériences de la femellité leur sont présentes par le fonctionnement sexué de leur corps, par les rôles de genre qui leur sont plus ou moins assignés par la culture commune (la fameuse « féminité »), et tout simplement par le vécu concret des autres femmes qu’elles côtoient8.
Bref, la référence à la femellité ne saurait être enfermée dans un biologisme « essentialiste »9.
Dans l’approche du féminisme par la femellité, il ne s’agit pas de faire du « différentialisme » et d’enfermer les femmes dans une « identité » de femme. Il s’agit d’abord d’exprimer en première personne LE VIVANT, culturel et biologique, tel qu’il est dans l’expérience des femmes. Et comme on le verra cette expérience est porteuse d’éthique.
Les hommes peuvent essayer de comprendre le vécu spécifique des femmes, ils peuvent même plus ou moins le partager émotionnellement par empathie, mais ils ne vivent pas la femellité dans leur corps avec la même intensité que les femmes.
Cela dit, la femellité est présente dans le monde intersubjectif des hommes : eux aussi ont eu une mère, des allomères10 dans leur enfance, puis des amantes, et des partenaires familiales et sociales dans l’éducation des jeunes générations. Et ils rencontrent la mixité dans toutes sortes d’activités professionnelles ou autres.
La femellité concerne tou.tes les humain.esy compris ceux qui ne sont pas des femmes.
C’est aussi aux hommes de reconnaître cette expérience et ce qu’elle leur apprend sur leur propre vécu sexué, inscrit dans les rapports entre individu.es et entre groupes sociaux, et dans la chaîne intergénérationnelle (biologique et culturelle) des humain.es.
L’être-au-monde spécifiquement femelle11 et l’universalité de l’appartenance des humain.es, hommes et femmes, au vivant.
Revenons-en à l’enfantement : c’est une expérience emblématique par excellence de la femellité. Nicole Roelens écrit (tome 2, p.86-87 ; j’encadre.-JM) :
« … Dans l’accouchement, la jeune femme se sent dépassée par ce qu’elle est en train de vivre physiquement. Elle perd l’illusion de maîtriser ce qui se passe dans son propre corps. [ … ] »
« La déclôture du corps maternel perturbe l’affirmation narcissique de soi comme être clairement distinct de tous les autres et défini par les limites de son propre corps. Tous les aspects charnels de l’accouchement sont autant d’initiations à la vie transpersonnelle qui viennent contredire la vision de soi comme individualité séparée des autres humains et des autres êtres vivants. »
Ici l’autrice souligne de façon appuyée un aspect très important de la condition humaine universelle, qu’on peut désigner comme une double polarité dans les actes : d’un côté s’affirme l’individualité, l’autonomie du « je veux » ; d’un autre côté (et forcément dans l’enfantement) s’affirme l’appartenance au devenir du vivant génération après génération, l’appartenance à la temporalité du monde, à la transmission de la vie dans et par l’écosystème, et à l’histoire en cours des sociétés humaines. Par la femellité reproductive, les femmes vivent cette appartenance de la façon la plus charnelle qui soit. Et dans cette appartenance l’individualité est mortelle, limitée dans le temps, précaire à chaque instant.
Ainsi, pour toutes et tous, la présence sensible de la femellité dans notre être-avec-autrui dans le monde (notre « Mitsein » dans le vocabulaire allemand de la philosophie existentialiste) met en relief de façon irremplaçable l’appartenance de l’individu.e au vivant, appartenance intime et universellement en tension dans la condition humaine.
- « Ouais, bon, mais c’est quand même des trucs de bonnes femmes. »
- Pas seulement ! Homme ou femme, tout membre de l’espèce humaine peut prendre conscience d’être un maillon dans la succession sexuée des générations de cette espèce, un.e transmetteur/trice de la vie, par sa fonction biologique de reproducteur/trice (relativement limitée de la part des mâles) mais aussi par ses fonctions nourricière, protectrice, éducative, et de producteur/trice de la société humaine dans laquelle vivent et vivront les générations suivantes. Et pour toutes et tous les leçons de la femellité nous aident à appréhender nos choix éthiques possibles en tant qu’individu.e d’une espèce consciente et sexuée. Je ne me vis pas comme un esprit hors-sol, désincarné : je suis dans mon corps de chair, à la fois objet physique dans le monde et sujet sentant. Je suis un organisme vivant et qui éprouve des émotions et sensations dans le monde des vivants, c’est-à-dire dans les écosystèmes naturels et sociaux. (Et les sciences nous apprennent que ce monde est celui de l’aventure transformiste des vivants dans un coin de l’univers, ce qu’on appelle l’évolution.) Pour parler comme Merleau-Ponty je suis un « SUJET INCARNÉ » dans mon corps, et par mon corps dans le monde en devenir.
Je suis un.e individu.e plus ou moins heureux/se ou malheureux/se, fort.e et faible, malade ou bien portant, mortel.le et plus ou moins avancé.e en âge, un.e individu.e en rencontre avec les autres
… mais pas seulement un.e individu.e puisque je suis un relai dans la chaîne des générations, un.e récepteur/trice et un.e transmetteur.trice d’ADN et de phénotype (le tout plus ou moins modifié à chaque génération), et aussi l’héritier.e et le co-inventeur/trice d’une culture. Biologiquement et culturellement je suis un être-en-transmission.
Et par le corps que j’habite, par le tissu social dont je fais partie, et dans le temps qu’il me reste à vivre, je contribue par mon ressenti, mes actes et mes choix, à construire LE MONDE DES VIVANT.ES qui existeront dans le futur sans moi,
… mais attention ! : cela pourra être pour le meilleur ou pour le pire, donc tous mes actes ont des enjeux éthiques qui requièrent des choix.
Ces choix, je les fais à partir de la « situation » (au sens fort, sartrien) que je vis dans mon corps et dans l’enchaînement temporel à la fois biologique et social des générations.
Cette appartenance active et éthique à l’histoire des vivants, tous les humains l’éprouvent dans le vécu de leur corps, mais les femmes avec plus de variantes charnelles que les hommes.
Un mot sur la question de la liberté dans le vivant
Nicole Roelens évoque souvent des enchaînements récurrents dans les choix humains, empruntant les « sentiers battus » dans les habitudes sociales et dans le flux du vivant. Un exemple : l’enchaînement désir → amour sexuel → procréation → amour parental → rôles générationnels : cet enchaînement est fréquent, banal même, et néanmoins fondamental comme mise en forme du vivant.
Mais il n’est pas inéluctable : on peut tracer d’autres chemins pour la vie. Exemples actuels : dans l’éthique collective on est en train d’inventer la reconnaissance pleine et entière de la parentalité homo. Et bientôt probablement on réinventera en Occident le marrainage ou parrainage médiéval et le principe africain « il faut tout un village pour élever un enfant »...
Insister sur notre enracinement dans le monde vivant, ce n’est pas renoncer au libre arbitre dans le traçage de nos propres chemins, c’est donc entretenir une part non négligeable de liberté au sens « création de soi-même » (autopoïèse).
L’effort éthique, comme la vie dans l’évolution avec ses mutations et ses hybridations, mais avec plus de conscience, inclut la créativité individuelle et la co-construction dans la rencontre avec les autres, donc la liberté des choix et l’ouverture aux essais dans la diversité.
Cette liberté s’enracine dans la créativité de l’organisme vivant et de ses interactions sociales avec d’autres organismes individuels. Mais il n’y a pas de raison de penser la liberté comme un pouvoir absolu, capable de s’isoler des appartenances biologiques et sociales.
« Le réel prosaïque de la vie des humains »
Les expériences de la femellité ont quelque chose d’animal, et les humain.es, surtout les mâles hégémoniques12, peuvent les dévaloriser comme « bêtement » condamnées à la simple reproduction biologique : avoir ses règles, avoir des désirs sexuels et avoir affaire à ceux d’autrui, se trouver enceinte et vivre la grossesse en l’ayant voulu ou pas, enfanter, accueillir l’enfant avec l’aide des autres (bonne ou mauvaise), nourrir les petits jour après jour, travailler, aller vers la mort … tout ce que Nicole Roelens appelle « le réel prosaïque de la vie des humains ». Ce réel insistant s’impose physiquement dans la vie des femmes et des hommes et imprègne leur affectivité. Mais dans l’univers mental des mâles hégémoniques, ce sont les décisions des individus et des institutions qui donnent sens à l’existence, et le réel du vivant reste disqualifié, dénigré ou banalisé, occulté, ou parfois encensé et comme momifié. Il y a là un déni de l’appartenance des humain.es au vivant, un déni gouverné par le refus de la précarité-et-mortalité de l’individu. L’expérience vécue des femmes et ce que Nicole Roelens appelle leur « sapience femelle » (nous reviendrons sur ce concept) les incite à déjouer ce déni, alors que les hommes ont plutôt tendance à s’y cramponner. Et ce déni s’exprime, plus de la part des hommes que de la part des femmes, par une volonté de pouvoir de l’individu et de sa communauté. Selon Nicole Roelens le mépris du vécu « prosaïque » du réel humain, et plus largement le mépris du vivant dans l’exaltation du pouvoir, est un mensonge fondateur du suprématisme masculin13.
[Personnellement (JM) j’insisterais davantage sur l’idée que cet esprit de domination, plutôt masculin, s’explique en premier par la conflictualité hommes-femmes qui a été entretenue dans l’évolution par la sélection naturelle, depuis bien avant l’espèce humaine14. Néanmoins cela n’enlève rien à l’analyse psychologique par Nicole Roelens de la métaphysique machiste du pouvoir et à la légitimité de sa dénonciation éthique.]
« Life flows on within you and without you »15
Le sujet éthique que je suis, la personne qui fait des choix, est d’abord tout bonnement un être vivant. Et allons plus loin :
Je suis dans le flux du vivant, je suis le produit de processus matériels de construction et reconstruction : au niveau moléculaire (l’ADN, la croissance physiologique…) et au niveau de ma survie un certain temps dans un écosystème en transformation, évolutif, et dans l’histoire d’une société. Cela, je le perçois dans ma chair sexuée et plus ou moins avancée en âge, et dans le récit social de mes rôles dans la succession des générations. J’interagis dans le monde des vivants, le flux du vivant me dépasse, et en même temps il est en moi, il est ma force. Mon « moi » est une construction provisoire, un personnage auquel je crois, à bien des égards une fiction, une illusion16, mais néanmoins ce moi est une partie de la réalité, l’expression d’une subjectivité vivante, l’un des méandresdu flux du vivant ou l’une de ses constructions. Cette construction que je suis est précaire, mais pas seulement. Cette construction est un être-en-transmission, produit par descauses qui me dépassent, et que plus ou moins je transmets. Qu’on soit une femme ou un homme, ou autre, on vit cela ; ignorant.e ou savant.e on en est conscient.e d’une façon ou d’une autre.
Simplement, chez les femmes cette conscience de transformation inter- et transpersonnelle s’enracine dans certaines expériences plus bouleversantes que celles des hommes, dans un vécu corporel plus fort et plus présent. Dans l’expérience de l’enchaînement ovulation → fécondation → gestation → enfantement → maternage → remplacement des générations, se construit ce que Nicole Roelens appelle « une sapience femelle » : une mémoire corporelle (empathique en relation avec l’embryon), des savoirs, une sollicitude dans le care, le soin à autrui et à soi-même, une sagesse, enfin une attitude d’ouverture vivante au monde. Cette sapience fait partie de la culture féminine et féministe.
Le féminisme de Roelens, par son insistance sur le vécu corporel, fait penser à l’existentialisme de Merleau-Ponty, et par son enracinement dans notre être biologiquement sexué il s’écarte de l’existentialisme classiquement anti-nature de Sartre et de Simone de Beauvoir17. En insistant sur le vécu femelle de la procréation, Nicole Roelens nous aide chacun.e à comprendre notre « être dans le monde », notre Dasein humain comme sujet éthiquement conscient, responsable, mais d’abord « incarné ». Et qui doit se décentrer de soi.
Décentrement
Pour construire sa volonté éthique sans rompre (au contraire) avec son appartenance biologique, l’individu.e doit se déprendre de son « égocentrisme naïf ». Bien sûr c’est toujours le sujet individuel qui vit, éprouve et décide. Mais ce sujet n’est pas seulement lui-même, il est un moment dans le flux, le produit de transformations en cours, et il est lui-même un.e transmetteur/trice, plus ou moins créatif.ve. Et qui disparaîtra. Son souvenir même disparaîtra, laissant à d’autres un legs matériel et culturel qui fructifiera peut-être. On doit reconnaître et assumer ce décentrement de soi-même, c’est l’une des bases de l’éthique humaine dans le Mitsein, l’être-avec-autrui-dans-le-monde.
Dans toutes les philosophies de l’éthique il y a l’exigence d’un détachement critique du sujet vis-à-vis du personnage qu’est son moi. Mais dans une éthique fondée sur la conscience de mon appartenance au flux de la vie, cette conversion critique n’est pas tant un détachement, une prise de recul vis-à-vis du vécu égocentriste, qu’un décentrement dans le flux de la vie. C’est un aspect de l’affirmation de la puissance qui est en moi. Ainsi la critique du moi n’a pas une valeur éthique en elle-même, mais comme un moment nécessaire de la reconnaissance de la vie plus forte que moi et qui est en moi : Life flows on within you and without you.
Or les femmes, dans leur vécu de la gestation et de l’accouchement, sont contraintes à ce décentrement. La culture de la femellité les y prépare plus que les hommes.
Pour une éthique alternative à l’héroïsme viril
Les hommes ne vivent pas cette initiation charnelle. À cet égard ils sont moins préparés que les femmes à se dessaisir du pouvoir de leur propre moi, de leur autoséduction, et de la culture sociale du narcissisme. Mais ils ont d’autres occasions de se décentrer. Classiquement, il y a l’horizon de ma mort dans le paysage de tous mes projets (memento mori : souviens-toi que tu vas mourir) : la certitude de ma mort m’incite à passer de l’agrippement à moi-même au lâcher-prise. Et plus largement il y a toutes les prises de conscience de la « vanité » des réalisations humaines. Mais le terme pompeux de « vanité » donne une connotation péjorative à la précarité de tout ce qui vit, et entre autres de moi-même. C’est qu’il advient dans la culture que la révolte du Je contre les vanités de l’existence ne soit pas pensée comme un acte de sagesse tourné vers la vie, mais comme un geste de mépris face au vivant et à sa précarité. Cette révolte fière de l’homme contre l’apparent non-sens de la vie, révolte à la fois volontariste et amèrement pessimiste, la culture peut la célébrer comme une marque impressionnante et méritoire de l’identité virile, forte, héroïque … et un brin ridicule dans son égocentrisme : voyez le thème de « l’absurde » de l’existence, devenu un classique sous la plume de Jean-Paul Sartre et d’Albert Camus. Annie Leclerc, dans Parole de femme il y a cinquante ans18, a tourné en dérision ce thème de la projection héroïque de soi dans l’adversité comme fondement de l’ethos de la virilité. En contraste, on peut considérer la précarité de l’existence humaine (et de nos tentatives pour lui donner du sens), comme un aspect du flux du vivant, comme un côté certes destructif des processus vivants, processus qui néanmoins produisent notre existence, processus vivants auxquels chaque être humain participe, et peut participer avec conscience, moyennant un décentrement de soi-même et l’acceptation de sa propre précarité. Comme on l’a vu plus haut, la déclôture charnelle de soi-même dans les expériences vécues (et partagées) de la gestation et de l’enfantement, et la prise de conscience d’être emportée dans le flux du vivant au fil de la transmission entre les générations, sont des exemples par excellence d’un cheminement éthique de déprise de soi qui s’oriente vers la solidarité (avec les humain.es et les autres habitant.es des écosystèmes), l’empathie, la coopération, plutôt que vers un héroïsme égocentrique.
Altruisme, féminisme, écoféminisme
Par cette approche empathique du monde vivant, l’écoféminisme n’est pas seulement une lutte contre la domination masculine, mais une éthique de l’affirmation du vivant. Cela dit cette éthique n’exclut pas les valeurs de courage et d’affirmation de soi,
… car le féminisme est toujours une lutte. Il s’agit de changer les rapports de force entre les hommes et les femmes. Cela passe entre autre par la capacité des femmes à conquérir ou construire des positions de pouvoir. Ou des contre-pouvoirs. Mais dans cette démarche ou cette tactique, les femmes courent le risque non seulement de s’intégrer aux institutions dominantes, mais d’adopter les méthodes, et même les formes d’affirmation de soi que pratiquent les hommes hégémoniques. L’éthique de l’écoféminisme ouvre une autre perspective, en affirmant d’abord et constamment l’adhésion au vivant, et en s’appuyant sur le vécu de la femellité.
C’est un peu une utopie. Mais comme le réel est toujours en train de se transformer, les utopies peuvent toujours inspirer des réalisations. La pratique des utopies permet de les tester, avec prudence (contrairement à ce que font les pouvoirs qui parient sur des catastrophes). Ernst Bloch a fait connaître le terme d’utopie concrète. Quoi de plus concret que le vivant, les écosystèmes ?
En tant que sujet incarné, tout être humain est non seulement conscient mais charnellement sensible à ce que lui fait son appartenance au vivant. Par exemple dans le vécu de la bonne santé et de la maladie. Et ce de façon plus intense dans la femellité.
La femellité n’est pas seulement un ensemble de caractères distinctifs de l’une des deux moitiés de l’humanité. Les fonctions biologiques et les expériences vécues spécifiques de la femellité sont à la fois fortement sexuées et fortement EMBLÉMATIQUES DE LA CONDITION HUMAINE UNIVERSELLE, notamment de ses dimensions transpersonnelles.
Par là nous avons, au-delà de notre conscience de soi comme individu.e, une conscience d’appartenance vitale au monde, à l’écosystème et au flux du vivant (à la chaîne des générations et d’abord à la chaîne alimentaire!) Nous avons aussi une conscience d’appartenance sur le plus long terme à l’aventure de l’évolution, que nous avons appris à comprendre par le darwinisme, la génétique, et autres sciences biologiques. Cette conscience est le support d’une éthique du vivant : l’individu.e peut se placer au-delà de son intérêt et de son égocentrisme, au-delà de son appartenance communautaire, de son identité ethnique, voire de son identité d’espèce. L’éthique du vivant est possiblement universaliste, ou plutôt pluriversaliste.
Toutefois, cette prise de conscience (de préférence féministe) de l’appartenance de chacun.e au flux du vivant rencontre des obstacles typiques, psychologiques et socio-économiques. Exemple banal : les tendances instinctives et culturelles à la coopération sont contrecarrées par les impératifs liés à la situation de concurrence entre les individu.es (ladite « lutte de tous contre tous »), avec chez chaque individu.e, surtout mâle, une tendance lourde et très répandue à chercher à s’affirmer comme un dominant. (Dont Nicole Roelens analyse les actes comme ceux d’un colonisateur dans les rapports mâles-femelles.)
Les « parasites impérieux » - un peu de psychologie
Ici je voudrais signaler en quelques mots un apport intéressant de Nicole Roelens en termes d’analyse psychologique : les hommes oppriment les femmes non seulement par des pratiques d’inégalité, de coercition et d’exploitation, mais par une conduite qu’elle désigne comme un « parasitisme impérieux ».
Dans l’enfance la construction de soi passe par la découverte de la puissance propre de ses désirs, et par une affirmation du narcissisme (= amour d’une image idéalisée de soi-même), et de l’égocentrisme. Il y a là une démarche d’autoconstruction qui doit être encouragée par les adultes dans l’éducation. Or dans cette interaction éducative il est plus ou moins inévitable que l’enfant profite de l’amour des adultes et des soins qu’ils (ou plus souvent elles) lui prodiguent, pour imposer son « moi-je » comme le centre du monde. L’enfant éprouve de toute façon un besoin d’aide pour son développement, mais ce besoin d’aide peut se manifester par le désir de tyranniser les adultes en manipulant leurs sentiments (en tapant du pied, en criant, en boudant etc.) pour jouir de son pouvoir sur eux. C’est cette conduite infantile dans la relation à autrui que Nicole Roelens désigne par la formule bien trouvée de « parasitisme impérieux ».
Une des tâches fondamentales de l’éducation éthique est d’amener les enfants (et les grands enfants !) à se détourner du parasitisme impérieux, en apprenant à la fois l’autonomie et l’écoute d’autrui, l’empathie, la coopération, le respect de règles. C’est une éducation à la fois à la construction de soi et au dépassement de l’égocentrisme et de la tyrannie. (Ce dépassement est genré, il est moins évident chez les garçons que chez les filles.)
Dans cette éducation, la sapience femelle est d’un grand apport à la critique et au dépassement du modèle machiste de l’enfant petit roi. Mais ce modèle reste présent dans tout pouvoir de l’individu.e adulte, qu’il s’agisse d’une puissance technique sur les choses ou d’un pouvoir sur autrui, pouvoir politique, psychique ou économique.
L’écoféminisme pour repenser la civilisation
Dans le sillage écoféministe et anticapitaliste de Vandana Shiva et Maria Mies19, Nicole Roelens souligne le parallèle et même l’homologie entre le pouvoir prédateur des hommes sur les femmes et celui des sociétés humaines (plus précisément de leurs décideurs économiques !) sur la nature : ceux qui contrôlent les techniques, à commencer par l’usage des armes, s’approprient la capacité de production biologique de la nature et celle, biologique, culturelle, et économique, des femmes. Et dans les deux cas les hommes qui se veulent dominants méprisent et occultent la fécondité et la capacité d’autonomie des dominé.es que sont les femmes et les écosystèmes agricoles, ou urbains et industriels, etc. Dans le fond les dominants dépendent de la fécondité de la nature et de celle des femmes et autres producteurs, mais ils vivent dans le déni de cette dépendance et dans le mépris du vivant.
Ici la notion de parasitisme impérieux est une belle métaphore qui dépeint à la fois
- la suprématie-exploitation que les hommes dominants font subir aux femmes, ainsi qu’aux travailleurs et travailleuses soumis.es et exploité.es,
- et la surexploitation des écosystèmes (jusqu’à l’écocide) par les décideurs économiques grâce au pouvoir du capital sur la société.
Pour les écoféministes la critique de la civilisation capitaliste et celle du suprématisme masculin expriment une même révolte, non seulement au nom de la justice et de la démocratie, mais aussi au nom de l’enracinement des humain.es dans le vivant.
Et c’est par un même mouvement que la résistance au capitalisme pointe vers ce que Vandana Shiva appelle une « économie de la régénération » : une économie de la justice et de solidarité écosystémique orientant la créativité humaine non vers la surexploitation des écosystèmes (et des êtres humains), mais vers la régénération de leur fécondité.
D’une éthique du vivant à une politique de l’écologie
Une éthique du vivant doit se soucier au minimum de gérer et de garder vivable notre appartenance à un écosystème. Et comme un écosystème est l’histoire d’une perpétuelle construction, toute éthique doit inclure l’aménagement du monde vivant, le soin (care20) des écosystèmes de façon que le monde reste au moins vivable : ce qu’on appelle l’écologie politique.
La notion d’écoféminisme n’est pas seulement un assemblage bien pratique mais bizarre entre l’écologie et le féminisme, deux préoccupations qui seraient distinctes et juste complémentaires. C’est une même réponse éthique et politique à deux facettes du mépris du vivant.
Dans ce texte je ne discute pas sur tous les « comment » et les procédés politiques d’une éthique du vivant, je défends seulement l’idée que l’affirmation de la femellité en fait partie21.
D’une part le féminisme de Nicole Roelens repense les questions universelles de la condition humaine, d’autre part ce féminisme s’efforce de répondre aux urgences actuelles des catastrophes écologiques. Enracinement éthique dans le vivant, et reconstruction écologique de l’économie (et de la démocratie) : à ce double titre, l’écoféminisme est plus radical que celui qui se fonde sur l’exigence de l’égalité hommes-femmes – exigence par ailleurs toujours indispensable pour débusquer l’oppression et l’exploitation.
1. Sommaire détaillé : https://entreleslignesentrelesmots.files.wordpress.com/2013/11/manifeste_pour_la_decolonisation_de_lhumanite_femelle_tome_la_femellite.pdf
Voir aussi une interview de Nicole Roelens par Francine Sporenda :
2. Note autobiographique pour les philosophes.
J’avais écrit en 2002 un article intitulé Quels fondements pour l'éthique après Lévinas et Habermas ?, http://joel.martine.free.fr, dossier Ethique. En conclusion de cet article je prenais parti pragmatiquement pour une éthique du vivant, dans les termes suivants(auto-citation) :
« On est alors amené à un fondement en définitive naturaliste de l’éthique [...]. La démarche de Lévinas (mais aussi, pour le Droit, celle de Apel) apparaît alors non comme un ensemble d’exigences inconditionnées, mais comme un artefact pragmatiquement utile à la prise de conscience et à la décision éthiques, un garde-fous, dans le cadre d’une éthique qui en définitive est de l’ordre de la prudence vitale. »
Dans le présent article, écrit en 2023, je défends l’apport indispensable du féminisme à la construction d’une telle éthique.
Et je n’emploierais pas l’expression de « fondement en définitive naturaliste », mais plutôt l’expression un peu paradoxale de « biologisme historique », que je propose à la fin du chapitre 5 du livre Féminin/masculin – Le conflit des sexes, de la nature à la culture, éd. Libre et solidaire, 2020.
3. Je me suis laissé dire que la question a été posée à Axel Honneth par une autrice mais je n’ai pas la référence.
4. Je (JM) ne crois pas que la dimension sexuelle de la femellité soit particulièrement occultée dans les définitions actuelles du genre féminin et de la « féminité ». Certes, quand l'érotisme féminin est encouragé, c'est le plus souvent comme auxiliaire du désir masculin (et de façon très caricaturale et cruelle dans la pornographie), mais les femmes ont imposé dans la culture commune, notamment dans la littérature, une place reconnue à leur vécu sexuel. À cet égard l'expérience lesbienne est de plus en plus reconnue. Or, dans cette expérience, comme le désir d'une femme rebondit sur celui d'autres femmes, il peut y avoir affirmation d'une sexualité non phallocentrée (pas toujours, certes, car une identité féminine peut inclure des rôles phallocratiques) qui entre autres choses va revisiter dans les fantasmes le rapport mère-fille dans la petite enfance ...
5. Cela apparaît clairement dans des magazines comme Elle ou Cosmopolitan, qui certes valorisent le désir d’affirmation autonome des femmes, mais le plus souvent en réinventant les codes de la féminité.
6. Chez les humains la lactation par les mâles existe, mais seulement dans certaines situations exceptionnelles d’importante sous-alimentation ou de pathologie hormonale. Voir Jared Diamond, Pourquoi l’amour est un plaisir, Hachette, p. 61-76, et mon commentaire dans Féminin/masculin – Le conflit des sexes de la nature à la culture, éd. Libre et Solidaire, p.169-172, § « Pourquoi les mâles n’allaitent-ils pas ? »
7. Sur ce sujet, voir aussi une autre analyse remarquable : Patricia Rossi, Éclosion du matriciel, expérience du féminin - Ce que le premier accouchement déclenche chez une femme, dans Dialogue 2002/3 (no 157), p. 51-58 :
https://www.cairn.info/revue-dialogue-2002-3-page-51.htm#re2no2
et mes commentaires dans Enfantement, allaitement, féminisme : http://www.millebabords.org/IMG/pdf/enfantement_allaitement_feminisme-2.pdf
8. De même, l’idée que la femellité fait sens y compris pour les femmes qui ne sont pas mères, même si leur expérience propre est un apport indispensable dans la vie de la société, cette idée s’applique a fortiori aux intersexes. Les intersexes font partie des possibilités de l’espèce. Par leur existence même, elles/ils sont la preuve vivante de ce que la sexualité ne se réduit pas à la sexuation mâles-femelles. Néanmoins cette binarité est une tendance lourde de notre existence biologique et un schème structurant de l’ordre symbolique ( = de l’organisation inconsciente de la pensée) . Un.e intersexe peut en toute bonne santé mentale apporter à la société humaine son expérience propre qui participe à la déconstruction et à la prise de conscience des genres. Et en même temps elle/il doit se situer, avec sa singularité, vis-à-vis de l’ordre symbolique bisexué de cette société … comme doit faire tout.e individu.e humain.e et ce n’est pas toujours facile, notamment pour les adolescent.es.
9. Voir Féminin/masculin – Le conflit des sexes de la nature à la culture, ouvrage cité, p.148-150, § « La querelle de l’essentialisme et le schibboleth de l’anti-essentialisme ».
10. En éthologie animale le mot « allomère » (ou mieux « alloparent ») désigne un.e individu.e qui sans être la mère, remplit une fonction de maternage comme remplaçant.e ou comme auxiliaire de la mère. Par exemple chez les chimpanzés les mâles ne s’occupent pas des bébés habituellement, donc le maternage fait partie des comportements typiques de la femellité, mais si les femelles viennent à manquer dans le groupe, les mâles, même sans lien paternel, s’occupent des bébés : ils sont dans un rôle d’allomère. Autres exemples : chez certaines chauves-souris les grand-mères restent dans la grotte pour s’occuper des petits pendant que les mères volent à l’extérieur pour rapporter des insectes à manger ; dans diverses espèces d’oiseaux, et quelques-une de mammifères, qui vivent en famille monogame, le compagnon de la mère apporte de la nourriture au gîte pour les petits.
11. Si vous voulez utiliser le nom « femelle » comme un adjectif, il faudrait proposer le masculin « femel ».
12. Sur les rôles masculins, voir Raewyn Connell, Masculinités – Enjeux sociaux de l’hégémonie, éd. Amsterdam.
13. Pour une explication détaillée, voir dans le tome 3 du Manifeste pour la décolonisation de l’humanité femelle le chapitre 2 : « Sexisme, phallocentrisme et déni passionné du réel prosaïque de la vie humaine ».
14. Voir mon livre Féminin/masculin – Le conflit des sexes, de la nature à la culture, éd. Libre et solidaire, 2020.
Voir aussi Pascal Picq, Et l’évolution créa la femme. Coercition et violence chez l’Homme, éd. Odile Jacob, 2020.
15. George Harrison, The Beatles, Sergeant Pepper’s Lonely Hearts Club Band, 1967. (Le titre de cette chanson est plus parlant que le reste de ses paroles.)
16. On trouve dans la psychologie bouddhiste une compréhension critique radicale du moi comme fiction : voir Serge-Christophe Kolm, Le bonheur-liberté – Bouddhisme profond et modernité, PUF, 1994, pages 431-497 , dont présentation de diverses approches du même thème dans la philosophie occidentale moderne (Hume, Sartre, la psychanalyse, et surtout la phénoménologie…). On voit cela aussi en neurologie. Exemple : Francisco Varela, Evan Thompson, Eleanor Rosch, L’inscription corporelle de l’esprit – Sciences cognitives et expérience humaine, éd. Seuil, 1993.
17. Quand Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir refusaient toute référence morale à une nature humaine (biologique ou théologique) et à un ordre naturel, ils avaient raison de défendre la liberté contre une image réactionnaire de la « nature », autoritaire et sacrée. Mais cette image classique, qui pouvait être compatible avec la science fixiste prédarwinienne des espèces biologiques, cette image encore vivante dans la pensée réactionnaire du milieu du XXème siècle, était déjà supplantée par le schéma mutations-sélection dans le transformisme de Darwin, qui est confirmé par la génétique depuis la découverte de l’ADN en 1953. De plus, la vision réactionnaire du vivant a été également réfutée par des faisceaux de découvertes sur le poids des interactions entre les individus (autrement dit des rapports de force sociaux, notamment entre femelles et mâles chez les animaux) dans le fonctionnement de la « sélection naturelle » et de la « sélection sexuelle ». Voir à ce sujet l’article de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle : L’évolution, du gène égoïste à l’entraide, https://www.terrestres.org/2018/11/15/levolution-du-gene-egoiste-a-lentraide/ , article initialement publié en annexe à leur livre L’entraide, l’autre loi de la jungle, éd. Les liens qui libèrent, 2017.
18. Lire p 31-37 de l’édition Grasset.
19. Livre Écoféminisme, cité plus haut.
20. Le mot français soin possède toute la polysémie de l’anglais care.
21. Dans cette approche que devient la notion de « masculinité » ?
Certain.es théoricien.nes féministes s’interrogent sur de nouvelles valeurs masculines, en rupture avec la domination, et d’autres préfèrent que les hommes comme les femmes s’orientent vers des valeurs sociales généralement humaines, non genrées ou non binaires, communes et individuellement diverses. De plus, l’idée d’une (ou plusieurs) masculinité non machiste est difficile à rendre populaire et c’est peut-être une fausse route, car les valeurs typiquement masculines qui sont actuellement pratiquées sont toujours plus ou moins imprégnées de domination, même si on essaie de les réorienter. Il est intéressant de veiller à ce que ces débats restent ouverts.