CHARLIE HEBDO :
AL-QUAIDA, SYMPTOME D'UN OCCIDENT MALADE,
OU
QUAND LE NEANT S'EN PREND AU NEANT
Mesdames et Messieurs les politiques,
de France, d'Europe, d'Occident, démocrates, de droite, de gauche, d'états républicains ou monarchistes, vous vous êtes dès le mercredi 7 janvier, sur le champ, unanimement indignés. L'image de deux fanatiques criblant de balles et de haine une douzaine d'hommes qui incarnaient ce que la volonté d'indépendance politique de l' esprit peut produire de plus libre et de plus joyeux, noyau fondamental et irréductible d'intensité démocratique maximale, cette apparition de cauchemar vous a comme à nous tous glacé le sang. Nous ne doutons pas, en tout cas pour la grande majorité d'entre vous, de la parfaite authenticité de votre réaction. Cela dit, le moment d'émotion passé, revenant à la surface et sortant la tête de ces trombes d'eau glauques, traumatiques et obscènes, il s'est agi rapidement de reprendre la barre et, devant mille micros impatiemment tendus et tremblants, tout en rassemblant vos esprits, de laisser libre cours à une juste révolte exposée avec la solennité qui convenait.
Lors de la crise économique de 2008, et alors que le cynisme financier mondialisé avait... éxagéré, c'était la morale, qu'un peu rouillée, on avait en grande pompe ressortie de son étui. Mercredi-soir 7 janvier, déjà, vous-même en premier comme il se doit, Monsieur le Président de la République, devant nous, peuple attérré, comme au Moyen-âge les religieux exibaient des reliques miraculeuses, c'est la République et ses valeurs que vous avez brandies, parmi lesquelles la liberté de penser et de dire ce qu'on pense compteraient parmi celles qui nous sont le plus chères, à nous, à vous, et bien sûr à la presse. Le droit de s'exprimer – d'être entendu?- c'est la démocratie même et les tyrans ou les fous d'Allah n'auront pas raison d'elle, avez-vous expliqué en précisant clairement que nous ne céderions pas un pouce de ce terrain là. Et d'ailleurs, preuve que quand les Français se dressent on ne peut rien contre eux, nous allons nous rassembler, pour que cette fois, les partis, mus d'un même élan solidaire et le peuple unanimement mobilisé, ce soit la barbarie qui finisse par être vaincue. D'autrepart, disiez-vous enfin, méfions-nous des amalgames, gros de troubles et de dissensions graves au sein de la société civile ; l'lslam qui veut nous terroriser est un Islam dévoyé et minoritaire alors que les Musulmans, notamment ceux de France, sont les adeptes pacifiques d'une religion tolérante et humaniste.
Cette exhortation à l'union, à faire front massivement contre la terreur, catalysés que nous pouvons être par notre idéal démocratique de liberté, fut également votre réaction immédiate à vous tous, vous autres dirigeants politiques, de droite ou de gauche, extrême ou pas.
Cependant, s'il est certain, et la chose porte en elle une forte charge d'émotion et de solidarité, qu'un grand nombre de citoyens, Français ou non, croyants de toute religion ou athées, se sont rassemblés de maniére spectaculaire dans les villes le soir même du 7 janvier, et que ce dimanche 11 ils étaient cette fois des millions, ne croyez pas une seconde, chers politiciens, que ce soit parce qu'ils vous auraient écoutés et suivis.En fait, ce qu'ils sont venus faire c'est pleurer et défendre la mémoire toute chaude encore de gens qu'ils aimaient parce que, talentueux et drôles,ils se moquaient de vous et parce que, fraternels etsolidaires,ils les défendaient contre vous.
Car, sachez-le bien, votre soudain recours rhétorique et creux aux valeurs de la République, même s'il a pu produire un effet mobilisateur sur certaines consciences très émues mais naïves , est apparu à beaucoup grotesque et scandaleux. Car, au regard de ces valeurs et de ce que représente l'âme de la République, votre crédit est proche de zéro parce que votre exemplarité avoisine le nul. Vous devez d'être élus à une presse, qui, sauf admirables exceptions, est aussi libre de s'exprimer qu'un âne peut l'être de brouter au delà de ce que lui laisse la corde tenue par son maître. Vos idées, ou votre manque d'idées, confortent nécessairement une finance qui assujettit à peu près tout, mais que l'esprit de liberté qui prétendument vous anime ne semble décidément pas désireux de contester. Vous continuez à vivre en prospérant sur des privilèges qui de toute évidence n'inquiétent guère votre conscience égalitaire et républicaine puisque vous comptez chaque jour davantage imposer une politique de restriction budgétaire terriblement terne et triste en trahissant des gens qui pensaient pouvoir compter sur votre bienveillance généreuse et tonique. Et, enfin, car finissons-là cette énumération vite lassante de vos médiocrités, vous comptez promouvoir un esprit d'entreprise qui n'est en fait qu'un pouvoir d'asservir en consacrant l'emploi comme un graal méritoire qui n'offre généralement comme seule possibilité que celle de devoir produire n'importe quoi en accomplissant un travail dénué de sens et, tant qu'à faire, mal payé.
Il convient, évidemment, dans ce rapide examen de ne pas s'appesantir sur l'affligeante anecdote du nouveau président de l'UMP qui, profitant d'une liberté peut-être provisoire, gravement juché sur un pupître de procureur, avec ses deux hautes oreilles profilées comme des lames, vint prononcer par anticipation les châtiments qu'il destinait aux assassins. Quant à Philippe Val, dont nous avons entendu le terrible chagrin, qu'on n'oublie pas, malgré tout, que l'une de ses toutes premières décisions de responsable de France-inter fut pour ce grand adepte de la liberté d'expression, le limogeage de l'humoriste Stéphane Guillon, suivi de deux autres, ceux de Didier Porte et de Gérald Dahan.
Autrement dit,le peuple de France n'a pas eu besoin de vouspour improviser soudain son union déjà très solide et, alors que vous pensez ou faites croire qu'il marche rassemblé derrière vous, dites-vous bien que, désormais dans sa marche en avant, c'estvous qui suivez derrière lui.
Mais là n'est sans doute pas le fond de ce qui me pousse à m'adresser à vous . En effet, la question essentielle, hormis celle de savoir comment faire face rapidement au terrorisme d'Al-Quaïda, est celle de son origine, c'est à dire celle de sa nature. Et il s'agit en fait d'identifier les motifs pour lesquels il peut être tentant pour un jeune maghrébin de devenir un combattant fanatisé. Et pourtant, c'est sur ce point essentiel, politique et sociologique, que votre aveuglement est à la fois le plus dangereux et le plus inquiétant.
Ce que vous expliquez tient en quelques mots : l'Occident, cahin-caha, qui malgré tout imprime sa direction au monde, est porté par une force de progrès, économique et politique, et le grand commerce mondialisé, malgré ses défaillances, apporte toujours un peu de démocratie dans ses valises à ceux qui n'en n'ont pas. Mais sur sa route se dresse une force religieuse, archaïque, rétrograde et obscurantiste, assoiffée de violence et dont les dirigeants, probablement frustrés et revanchards, ont juré de mettre au pas l'Islam modéré et pacifique tout en désirant anéantir et l'Occident et toute modernité. C'est dans ce contexte qu'en Europe, beaucoup de jeunes adolescents – musulmans d'origine ou pas – délaissés par le système ou ne parvenant pas à s'y intégrer, souffrant de vide et de dévalorisation existentielle, deviennent des proies faciles pour les recruteurs et l'embrigadement . Ils ont enfin une cause à vivre pour se sentir exister tout en fraternisant pour se venger. Car c'est un fait, au demeurant, que si vivre de manièreintense est l'objectif de tout humain, autrement dit, si c'est jouir qui nous importe, il convient de remarquer que notre excellente société, par ses médias, ne cesse de promouvoir la violence comme degré maximal de l'intensité de cette jouissance et, pour ainsi dire, comme degré maximal de l'intensité de la vie. Par conséquent, comme...vérité de la vie !
Dans ces conditions, ce que vous en déduisez c'est que bien que nous ne soyons pas des saints, c'est quand même bien l'Occident qui est agressé et les fous de Dieu qui sont les agresseurs. « C'est pas nous, dites-vous comme les enfants à l'école primaire, c'est eux. » Or, il s'agit là d'un raisonnement simpliste et radicalement faux qui rejoint en quelque sorte la mythologie risible de l'huttingtonien « choc des civilisations ». Affrontement final et grandiose, comme au Moyen-Age le jugement de Dieu, entre le « Bien » et le « Mal ». Or, il n'ya ni bien ni mal qui s'affrontent. Ce qui s'affronte c'est la haine qui les anime, eux, et la pulsion de mort dont nos sociétés occidentales ou qui s'occidentalisent recouvrent le monde. C'est de manière exemplaire que l'occident est devenu économiquement et politiquement, le parangon de la haine de la vie, et tel quel, ce que Al-Quaïda sent bien, c'est que nous ne sommes pas fondés à lui donner des leçons. Mais pourquoi tenir un tel discours extrémiste, paradoxal et finallement provocateur ?
La vérité c'est que, pour l'instant, les massacres perpétrés par Al-Quaïda, bien qu'il choisisse bien mal ses victimes, sont la réponse du néant d'esprits faibles, dévoyés et manipulés au néant de l'Europe et de l'occident. Al-Quaïda n'est que le symptôme d'un occident et d'une Europe malades. L'Europe et ce qui l'a faite, destinés à être l'un des phares du monde, n'a désormais de lumière que vos faibles lanternes. Ils trahissent le Coran, dites-vous, mais nous est-ce que par hasard depuis si longtemps nous ne trahissons pas un peu plus chaque jour l'Europe de l'égalité et de la fraternité, de la démocratie et de la liberté, l'Europe, non pas celle des intensités de la violence, mais celle des intensités créatrices et généreuses, celle de la grande énergie d'une vraie bonté? Diderot, Condorcet, Goethe dont nous sommes les enfants, ont avant tout été des humains aimant et leur Europe, qui est la nôtre, est fille de leur amour. Mais nous, est-ce que nous n'avons pas vendu son âme, à l'Europe, en la transformant par des traités malsains en marche-pied du mercantilisme et de la financiarisation la plus abjecte et la plus veule ? Et, en fait, ce que nous avons laissé faire, c'est la substitution d'une gestion prétendument neutre au gouvernement politique de nos états. Ce que vous êtes devenus, vous les politiques, ce sont des petits comptables avec un crayon sur l'oreille et, de surcroît, capables, au nom d'additions imbécilles, de rendre nécessaire qu'à des enfants grecs, espagnols ou français il ne reste plus pour manger que l'humiliation de la soupe populaire. Et, au cas où vous seriez tentés d'en appeler au réalisme ou à la réalité pour vous défendre contre tout indexe accusateur, argument fréquemment opposé par maints économistes ou politiques lors de débats médiatisés, sachez d'abord que, la réalité, vous êtes payés pour la changer, surtout quand elle en est venue à désespérer un grand nombre de vos concitoyens. Ensuite, sachez bien aussi que le réalisme ne réside pas dans les objectifs qu'on se fixe mais dans les moyens qu'on se donne pour les atteindre.
Ce qui nous apparaît donc, désormais avec la plus grande clarté c'est que l'enjeu réel d'une telle neutralisation démoralisante de l'Europe est non seulement le fait que vous, dirigeants politiques, vous ayez laissé lentement dériver les valeurs qui nous constituaient, mais surtout que vous ayez trahi l'éthique heureuse qui les inspirait en la transformant en un moralisme duret contraignant. Votre cruauté, plus ou moins involontaire certes, emportée par le culte d'un économisme débridé, vous a rendus au fond insensibles et souvent méchants. Madame Merkel n'annonce-t-elle pas récemment, haut et fort, « que l'Allemagne ne fera plus de cadeaux aux Grecs ! »
Or, c'est ici que se révèle l'inaptitude philosophique et existentielle qui vous caractérise et qui vous rend dangereux pour les peuples que vous êtes pourtant censé diriger . Car, si vous continuez malgré tout à agiter comme des moulins à prière les valeurs qui fondent nos démocraties, vous continuez d'ignorer le principe essentiel qui les légitime et qui rend votre moralisme absolument contraire à ce qu'elles portent. En effet, les valeurs ne valent que ce que vaut la nature des émotions et de la relation nécessaires pour les communiquer, c'est à dire pour les vivre et les faire vivre.
On ne met donc en appétit que si l'on est gourmand et qu'on aime ceux pour qui on prépare le plat. A défaut, les valeurs restent des coquilles vides dont l'argumentation qui les expose a une puissance d'impact nulle. On ne triche donc, à moyen terme, ni avec le bien qu'on prétend vanter, ni avec le mal qui vous anime et qu'on voudrait dissimuler. C'est ainsi qu'une société, qu'une civilisation, ou même ce que produit une économie ou une pédagogie, ne peuvent valoir que ce que vaut la nature des relations individuelles et collectives qu'elles mettent en jeu et qui lient ou pas les humainsconcernés.
C'est même là l'essence profonde de l'écologie politique qu'il va bien s'agir un jour de mettre en oeuvre puisque le type de relation que nous entretenons avec la nature est toujours conforme au type de relation que nous entretenons entre humains et s'en trouve donc, non pas la cause, mais la conséquence. D'autrepart, cela veut dire également que chercher à définir d'une manière relationnelle le critère d'évaluation des valeurs rend caduque l'opinion actuellement répandue qui tend à les définir comme relatives les unes par rapport aux autres et qui, comme nous le croyons à tort, tiendrait en échec nos prétentions occidentales à l'universalité. Car, dés lors, dans cette logique de la relation éthique il ne reste en lice, quels que soient leur nombre et leur disparité, que deux catégories de valeur : celles qui supposent de haïr et de faire plier et celles qui supposent d'aimer et d'épanouir. Soit que, depuis toujours mal aimés, nous tenons pour responsables de ce qu'ils sont et de ce qu'ils font ceux dont nous avons la responsabilité, soit que, portés par la bienveillance et l'amour que nous avons reçus, nous les partageons spontanément et incitons à aimer le monde et la vie ceux dont nous avons la charge et dont nous nous sentons solidaires.
C'est, par conséquent, à l'aune de ce critère du lien éthique inhérent ou étranger à telle ou telle valeur que se révèle de la manière la plus nette, comme dans un microscope, le fait capital que l'essentiel de ce qui représente désormais l'occident dévoyé, ce qu'il fait et ce qu'il veut, ne vaut désormais pas beaucoup plus cher que l'Islamisme radical qui lui a déclaré la guerre. Nous aussi, et les choses se poursuivent grâce à vous et aux effrayantes politiques de contrôle et d'évaluation maniaques que vous faites appliquer, qui au nom de la concurrence et du mérite, au sein de l'école ou des entreprises, produisent des niais souriants et stressés, conformes et fiers de l'être mais au fond malheureux, nous aussi nous fabriquons, même si c'est par une contrainte plus douce et plus subtile, une bonne majorité d'asservis volontaires dont l'autoritarisme feutré qui les tient dans sa poigne a peu à envier, sur le fond, à l'autoritarisme subtilement féroce auquel se plient les recrues djihadistes. La différence n'est pas de nature mais de quantité. Il se trouve simplement que pour eux, à la jouissance collective de partager un ennemi commun clairement diabolisé, s'ajoute celle d'exister sous la houlette de quelques autoritaires qui, bien qu'ils se les assujettissent dans leur main de fer, les rassurent en leur donnant soudain une vie et un sens à cette vie. La force de ce lien, essence même du fanatisme, lui aussi très volontaire asservissement, dont la fièrté qu'ils en retirent va devenir pour eux un enjeu absolument vital, les rend plus forts que toute crainte de la mort. Ils sont donc, tant qu'ils demeurent tenus dans ce lien, autant protégés de la peur de leur propre mort que du remords de l'infliger à ceux qu'ils massacrent. C'est là, chez nous comme chez eux, l'art de transformer le plaisir de vivre en devoir frustrant dont il convient d'être fier. Autrement dit, frustrés les uns autant que les autres, nous compensons, nous, en consommant et, eux, en assassinant.
Ni l'Europe, ni d'une manière générale l'occident, ne se sortiront de cette situation tragique en cherchant à définir des stratégies plus ou moins offensives, économiques ou miltaires ; elles seraient suicidaires. Dans un monde devenu minuscule il n'est plus possible qu'il y ait des vainqueurs et, par conséquent, des vaincus ; nous serons tous vainqueurs ou tous vaincus. Sans doute est-il urgent, maintenant, que les états, cessant toute conquête extérieure, mais, en cherchant néanmoins à développer leur solidarité, se lancent corps et âme enfin dans la conquête de leur propre intériorité, c'est à dire à la conquête d'eux-mêmes. Et cette réflexion sur soi, cette tentative d'accroître son espace intérieur, historique, politique et ...écologique suppose, non pas de chercher toujours à s'étendre dans la surenchère des volumes et des quantités, de traquer le record, mais d'aménager autrement l'exploitation de ses propres ressources. Elle suppose, en ce sens, qu'on vise désormais un seul et unique objectif profondément révolutionnaire. Si vous voulez faire à nouveau briller la France et l'Europe de tous leurs feux, redéfinissez, politiciens, une France et une Europe dont le but exclusif et incessant devienne que tout ce qui s'y produise, s'y crée, s'y cultive et s'y enseigne soit la cristallisation de relations passionnées et joyeuses, individuelles ou collectives, entre les citoyens.
Quelle pourrait donc être la raison qui empêcherait que le critère maximal et ultime de la justice devienne pour un état de pouvoir garantir à chacun la possibilité de devenir par ses rencontres, à commencer par celle, à l'école, de ses maîtres, dépositaire d'une passion généreuse capable de lui conférer un destin et de le rendre contagieux ? Ne serait-ce pas là la seule et très accessible condition pour que progressivement et spontanément nous puissions, sans armes, substituer aux intensités de la violence et de la guerre, toujours tentantes pour le délaissé ou l'ambitieux vacant, les intensités de la paix et de la création qui séduisent tout le monde et qui font des grands vivants heureux, illustres ou inconnus ? C'est qu'en effet, le grand avantage de cette méthode c'est que des passionnés généreux, nos peuples en regorgent et que vous n'aurez donc, en quelque sorte, qu'à vous baisser pour les ramasser et, hors de toute exhortation moralisante, enfin ! les rassembler. Encore faudra-t-il que du rôle d'interprètes du même et simpiternel morceau de fanfare gestionnelle auquel vous avez été formés et que vous vous obstinez à nous rejouer vous passiez à celui de compositeurs et de chefs d'orchestre de la symphonie politique dont nous attendons tous avec tant d'impatience qu'elle nous transporte.
Stéphane Mallarmé, qui, davantage encore que les autres poètes, cherchait à faire atteindre la gloire de l'absolu au langage, affirma un jour « que le monde devait nécessairement finir par un beau livre. » La formule, inversée et, en fait, plus encourageante, mais cette fois appliquée au rire, résumerait assez bien ce à quoi aspiraient nos dessinateurs martyrisés et dont ils furent pour ainsi dire la permanente illustration. Ce qu'ils n'arrêtèrent pas de nous dire, eux, c'est que « c'est par un grand rire que le monde doit nécessairement commencer. »Et c'est ainsi que leur mort, au moins, à nos chers artistes, n'aura pas été leur fin.
Et justement, pour conclure, Mesdames et Messieurs les politiques, permettez-moi encore une rapide remarque. L'obstination des artistes que nous pleurons, quelles qu'aient pu être les menaces préalables de leurs assassins, obstination provocatrice que nous pouvons louer ou, à l'inverse, ne pas soutenir, ne laisse aucun doute sur un fait essentiel : c'est qu'ils auront, eux, mis leur peau sur la table. Mais, dites-moi, quant à vous, cessant une bonne fois pour toute de vous payer de mots, c'est à dire de vous payer notre tête, quand donc, sur la table de l'histoire, risquerez-vous enfin la vôtre ? Si c'est précisément cette capacité là qui différencie le peintre du dimanche de l'artiste, le vrai, est-ce qu'elle ne serait pas aussi ce qui différencie semblablement le politicien en carton pâte du politique capable de gouverner ? Pour vous c'est toujours l'impunité, enjeu zéro, abus et corruption ou pas, politique profitable au peuple ou précarité, casse et échec pour lui. En fait vous n'avez pas le centième du cran du moindre artisan qui crée son officine.
Aussi , pour vous, va-t-il être temps. Décidez-vous et inventez quelque chose de fort à nous dire et à faire, prenez la barre vers la haute mer et gouvernez ! Ou bien alors laissez la place , on vous aura assez vus.
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