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Billet de blog 10 mai 2022

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Réflexions sur la pluie

À propos d'une tribune parue hier sur Mediapart

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On fait avec l’antisémitisme. C’est ce qu’on fait. On fait ça. Tout le temps. Tout le temps on essaie de voir où est le curseur. Tout le temps on dit, ça il va falloir vivre avec. Ça, non, ça ne va pas être possible. Tout le temps on décide : ça je l’accepte, je le négocie, ça je fais signe, je lance un signe que ce n’est pas acceptable, ça je le refuse tout net et je m’en vais. Tout le temps on fait ça.

Je pense que quand on est noire, ou quand on est musulmane, ou arabe, on fait ça aussi. On fait la même chose. On voit des choses qu’on fait semblant de ne pas voir. On entend des choses qu’on fait semblant de ne pas entendre.

Il y a un proverbe juif qui dit : quand on te crache dessus, ne dis pas qu’il pleut.

On passe son temps à se demander s’il pleut. On passe son temps à dire : il ne pleut pas.

On passe son temps à dire : il pleut.

On passe son temps à s’essuyer, à se demander si on a rêvé, si on a bien vu, si on a bien entendu.

Si on a eu la berlue.

Parfois, on passe son temps à dire : On m’a craché dessus !

Certains passent leur temps à dire : On m’a craché dessus !

On ne peut pas leur jeter la pierre.

Mais

depuis quelques décennies on dit beaucoup : On m’a craché dessus !

Il y en a qui disent beaucoup ça.

Depuis quelques décennies on crie beaucoup : On m’a craché dessus !

Il y en a qui crient beaucoup ça.

Il n’y a plus autant qu’avant le calcul

là oui là non

ou plutôt le calcul

s’appuie sur d’autres critères

il me semble

qu’avant

Certaines personnes crient ça. D’autres disent : qui t’a craché dessus ? regarde, personne ne t’a craché dessus. D’autres encore disent : oui, on t’a craché dessus. Nous aussi on nous crache dessus. Faisons quelque chose ensemble. 

Et là on leur répond : non. Il y a crachat et crachat. Et il y a pluie et pluie.

Alors là tu vois c’est compliqué.

Tu vois que c'est compliqué.

Des fois on dit : on t’a craché dessus, là, tu n’as pas vu ? Tu n’as rien senti ?

Des fois tu dis : regarde, là, on t’a craché dessus !

Et des fois on te répond : Ben non, j’ai rien senti, tu as rêvé.

Des fois tu dis : et là, on t’a craché dessus, c’était très clair. D’ailleurs on m’a craché dessus aussi. Je ne peux pas faire comme si. Tu ne peux pas faire comme si.

Et on te répond : ah bien non, là c’était pas un crachat. C’était la pluie.

C’est un tri, alors : quand ça vient de par là, c’est la pluie. Quand ça vient de par là, c’est un crachat.

Tout le monde fait ça, sinon ce ne serait pas vivable. Ce n’est pas vivable.

Tout le monde fait ça un peu. Presque tout le monde fait ça.

Mais tout le monde ne dit pas : il y a crachat et crachat. Et il y a pluie et pluie.

Quand on est noire ou musulmane c’est la même chose, on voit des choses qu’on fait semblant de ne pas voir. Sinon ce ne serait pas vivable. Ce n’est pas vivable.

Et quand on est noire ou musulmane je suis sûre que c’est la même chose, on se demande si on a eu la berlue.

Quand on est noire ou musulmane on sait qu’on n’a pas eu la berlue.

Je le vois bien : je reconnais le regard de celle qui sait qu’elle n’a pas eu la berlue, et qui ne sait pas si elle va avoir envie de faire le travail qu’il faut faire, là tout de suite, pour convaincre quelqu’un d’autre qu’elle n’a pas eu la berlue.

Des fois elle se dit : oh laisse tomber.

Elle calcule : dire ou ne rien dire.

Souvent elle se dit qu’il vaut mieux ne rien dire.

Sinon ce ne serait pas vivable.

Ce n’est pas vivable.

Elle n’a pas forcément raison.

Et elle n’a pas forcément tort.

On se fatigue d’être branchée en direct sur l’inconscient des gens.

On se fatigue de ça.

D’être aussi sensible à la pluie. 

D’user parapluie après parapluie.

On s’en fatigue.

On se fatigue d’avoir à faire à des gens dont l’inconscient parle si fort

et si politique

et qui ont assez d’énergie pour dire encore et encore que le temps est au beau fixe et que leur bonne éducation garantit des manières impeccables

tout le monde ne peut pas en dire autant

cracher quelle idée

ce sont des manières de sauvages

personne ici ne fait ça

en tous cas pas nous

nous n’avons pas appris à faire ça

nous ne saurions même pas comment faire

Chez vous en revanche

Là d’où vous venez

Ce n’est pas parce que nous faisons semblant de ne pas savoir

d’où vous venez

Tout le monde fait semblant

mais on ne peut pas faire ça tout le temps

ni avec tout le monde

c’est beaucoup d’effort

beaucoup trop d’effort

pour nous

Et là tu dis :

Je ne sais pas si vous savez ce qu’est une métaphore ? 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.