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Lettre aux enseignants
Je suis professeur des écoles et aujourd’hui je m’interroge.
Autour de moi, une voix prédomine :
Celle qui dit :
"On ne peut pas rouvrir les écoles, les conditions sanitaires ne sont pas réunies, le protocole du gouvernement est impossible à mettre en œuvre, je ne retournerai pas enseigner à l’école, je n’y mettrai pas mes enfants."
Et alors quoi ! Nous les champions de la pédagogie, nous qui passons notre temps à dire aux élèves « Essaye donc, avant de dire que tu ne vas pas y arriver ! », nous déclarons que le protocole sanitaire sera impossible à mettre en œuvre avant même d’avoir essayé ?
Nous qui avons déployé des trésors d’inventivité pour assurer l’école à distance, en utilisant des technologies qui ne nous étaient pas forcément familières, nous ne serions pas capables de mettre en œuvre l’école distanciée ? Je n’y crois pas !
L’école distanciée, c’est pourtant bien ce qui nous attendra encore sûrement pour la prochaine rentrée, alors pourquoi ne pas s’y atteler tout de suite ?
Toute l’année, nous déplorons le manque de temps, les classes trop chargées, nous aurons des demi-groupes, profitons-en !
Prenons le temps, faisons autrement, faisons de la littérature, de l’art, organisons des débats philosophiques, écoutons les enfants, donnons-leur la parole, ce langage oral qui est au centre des programmes, mettons-le à l’honneur, faisons les rire, faisons les pitres, chantons, mimons ,mettons en scène des marionnettes, lisons, écrivons de la poésie, faisons l’école au dehors, du land-art et du jardinage, milles choses pour voir leurs regards confiants et leurs sourires.
Et quand bien même nous ne ferions que de la garderie, non je ne me sentirais pas sacrifiée pour autant mais fière d’être à mon humble niveau un des rouages qui permette de remettre la France en route.
Car non, nous ne sommes pas sacrifiés, nous ne sommes pas de la chair à canon, toutes ces familles qui comptent sur nous pour raccrocher leur enfant perdu aux apprentissages scolaires, qui voient leurs entreprises menacées de fermeture, qui n’en peuvent plus de l’école à la maison, qui ne savent pas faire, qui ne savent ni lire, ni écrire, ni parler français, ce sont elles les sacrifiées. Ce sont nos jeunes qui rentrent dans le monde du travail, ce sont tous les précaires, tous ceux qui sont menacés par le chômage.
Mais il y a cette terreur irraisonnée du virus, un virus qui tue si peu proportionnellement, un virus pourtant qui a mis la moitié de notre planète à l’arrêt. Alors de la même manière que le code de la route, la surveillance policière, et les radars tentent de réduire la mortalité sur la route, les mesures sanitaires de distanciation tentent de réduire la contamination, les malades et les morts, dans l’attente d’un vaccin efficace qui devrait renverser la situation. Mais de risque zéro, il n’y a pas.
Devrions nous rester enfermés jusqu’à la découverte d’un vaccin ?
Pourquoi avoir plus peur de rencontrer le virus que de faire 40 km en moto pour aller travailler ? Pourquoi avoir plus peur d’en mourir que de mourir d’un cancer, d’un AVC ou d’un infarctus ?
J’aimerais entendre aussi des enseignants, des directeurs, des maires qui défendent la réouverture des écoles, ceux-là, les médias ne les montrent pas. Et c’est ce qui m’interroge.
Nous ne travaillons pas pour obtenir de la reconnaissance ou des applaudissements, mais parce que nous sommes des acteurs essentiels de la formation des futurs citoyens, parce que nous sommes fonctionnaires et que nous devons fonctionner.
J’aimerais que nous montrions l’exemple à nos enfants, à nos élèves, j’aimerais que nous suivions l’exemple, celui de tous ceux qui ont continué à travailler au dehors, pour nous soigner, nous nourrir ou collecter nos déchets, oui c’est difficile, c’est vrai, on n’a jamais fait ça, on ne sait pas faire, c’est compliqué et ça fait peur, mais on va essayer, on va y arriver, on va réinventer une école à l’ère du virus, on va relever le défi, d’une seule voix et d’un seul corps, celui auquel je suis fière d’appartenir, le corps des enseignants.
J. Walter